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quelques états, ceux même qui les ont fomentées, prouvent assez combien l'autorité que les princes laissent à de certains ordres pour leur service leur doit être peu suspecte, puisque, dans l'égarement même, ils ne soupiroient qu'après les lois et leur devoir, et retardoient la fougue et l'impétuosité dés factieux plus qu'ils ne pouvoient la servir. (1)

Le cardinal de Richelieu, pensant peut-être qu'il avoit trop avili les ordres de l'état, a recours, pour le soutenir, aux vertus du prince et de ses ministres (2); et il exige d'eux tant de choses, qu'en vérité il n'y a qu'un ange qui puisse avoir tant d'attention, tant de lumières, tant de fermeté, tant de connoissances; et on peut à peine se flatter que, d'ici à la dissolution des monarchies, il puisse y avoir un prince et des ministres pareils.

Comme les peuples qui vivent sous une bonne police sont plus heureux que ceux qui, sans règle et sans chefs, errent dans les forêts; aussi les monarques qui vivent sous les lois fondamentales de leur état sont-ils plus heureux que les princes despotiques qui n'ont rien qui puisse régler le cœur de leurs peuples, ni le leur.

(1) Mémoires du cardinal de Retz, et autres histoires. (2) Testament politique.

CHAPITRE XII.

Continuation du même sujet.

Qu'on n'aille point chercher de la magnanimité dans les états despotiques; le prince n'y donneroit point une grandeur qu'il n'a pas lui-même chez : lui, il n'y a pas de gloire.

C'est dans les monarchies que l'on verra autour du prince les sujets recevoir ses rayons; c'est là que chacun, tenant, pour ainsi dire, un plus grand espace, peut exercer ces vertus qui donnent à l'âme, non pas de l'indépendance, mais de la grandeur.

CHAPITRE XIII.

Idée du despotisme.

QUAND les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l'arbre au pied, et cueillent le fruit (1). Voilà le gouvernement despotique.

CHAPITRE XIV.

Comment les lois sont relatives au principe du gouvernement despotique.

Le gouvernement despotique a pour principe la crainte : mais, à des peuples timides, ignorants, abattus, il ne faut pas beaucoup de lois.

(1) Lettres édifiantes, Recueil 11, page 315.

Tout y doit rouler sur deux ou trois idées : il n'en faut donc pas de nouvelles. Quand vous instruisez une bête, vous vous donnez bien de garde de lui faire changer de maître, de leçons, et d'allure; vous frappez son cerveau par deux ou trois mouvements, et pas davantage.

Lorsque le prince est enfermé, il ne peut sortir du séjour de la volupté sans désoler tous ceux qui l'y retiennent. Ils ne peuvent souffrir que sa personne et son pouvoir passent en d'autres mains. Il fait donc rarement la guerre en personne, et il n'ose guère la faire par ses lieutenants.

Un prince pareil, accoutumé, dans son palais, à ne trouver aucune résistance, s'indigne de celle qu'on lui fait les armes à la main : il est donc ordinairement conduit par la colère ou par la vengeance. D'ailleurs, il ne peut avoir d'idée de la vraie gloire. Les guerres doivent donc s'y faire dans toute leur fureur naturelle, et le droit des gens y avoir moins d'étendue qu'ailleurs. Un tel prince a tant de défauts qu'il faudroit craindre d'exposer au grand jour sa stupidité naturelle. Il est caché, et l'on ignore l'état où il se trouve. Par bonheur, les hommes sont tels dans ce pays, qu'ils n'ont besoin que d'un nom qui les gouverne.

Charles XII étant à Bender, trouvant quelque résistance dans le sénat de Suède, écrivit qu'il leur enverroit une de ses bottes pour commander. Cette botte auroit commandé comme un roi despotique.

Si le prince est prisonnier, il est censé être mort,

et un autre monte sur le trône. Les traités que fait le prisonnier sont nuls; son successeur ne les ratifieroit pas. En effet, comme il est les lois, l'état, et le prince, et que, sitôt qu'il n'est plus le prince, il n'est rien, s'il n'étoit pas censé mort, l'état seroit détruit.

Une des choses qui détermina le plus les Turcs à faire leur paix séparée avec Pierre Ier, fut que les Moscovites dirent au visir qu'en Suède on avoit mis un autre roi sur le trône. (1)

La conservation de l'état n'est que la conservation du prince, ou plutôt du palais où il est enfermé. Tout ce qui ne menace pas directement ce palais ou la ville capitale, ne fait point d'impression sur des es-prits ignorants, orgueilleux et prévenus; et, quant à l'enchaînement des événements, ils ne peuvent le suivre, le prévoir, y penser même. La politique, ses ressorts et ses lois, y doivent être très-bornés ; et le gouvernement politique y est aussi simple que le gouvernement civil. (2)

Tout se réduit à concilier le gouvernement politique et civil avec le gouvernement domestique, les officiers de l'état avec ceux du sérail.

Un pareil état sera dans la meilleure situation lorsqu'il pourra se regarder comme seul dans le monde qu'il sera environné de déserts, et séparé

(1) Suite de Puffendorff, Histoire universelle, au Traité de la Suède, Chapitre x.

(2) Selon M. Chardin, il n'y a point de conseil d'état en Perse.

des peuples qu'il appellera barbares. Ne pouvant compter sur la milice, il sera bon qu'il détruise une partie de lui-même.

Comme le principe du gouvernement despotique est la crainte, le but en est la tranquillité : mais ce n'est point une paix, c'est le silence de ces villes que l'ennemi est près d'occuper.

La force n'étant pas dans l'état, mais dans l'armée qui l'a fondé, il faudroit, pour défendre l'état, conserver cette armée : mais elle est formidable au prince. Comment donc concilier la sûreté de l'état avec la sûreté de la personne?

Voyez, je vous prie, avec quelle industrie le gouvernement moscovite cherche à sortir du despotisme, qui lui est plus pesant qu'aux peuples mêmes. On a cassé les grands corps de troupes, on a diminué les peines des crimes, on a établi des tribunaux, on a commencé à connoître les lois, on a instruit les peuples. Mais il y a des causes particulières, qui le rameneront peut-être au malheur qu'il vouloit fuir.

Dans ces états, la religion a plus d'influence que dans aucun autre; elle est une crainte ajoutée à la crainte. Dans les empires mahométans, c'est de la religion que les peuples tirent en partie le respect étonnant qu'ils ont pour leur prince.

C'est la religion qui corrige un peu la constitution turque. Les sujets, qui ne sont pas attachés à la gloire et à la grandeur de l'état par honneur, sont par la force et par le principe de la religion.

le

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