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pas de voir renaître un Richelieu, ni même un Mazarin. Quant à Persigny....

Fialin, dit Persigny, Fialin de Persigny n'avait pas le choix, il fallait bien qu'il se reconnût comme le complice de Morny en tous les événements qui avaient précédé et suivaient le coup d'État, il fallait bien qu'il agît comme tel. Mais comment cette barre de fer, ou plutôt cette trique, eût-elle jamais pu vraiment sympathiser si l'on peut s'exprimer ainsi, avec un Morny, tout pareil, lui, à l'une de ces badines incassables qui plient dans la main avant que de fendre jusqu'à l'os, au besoin, le visage de l'ennemi ?

Ce maussade Persigny, au visage encore assombri par des moustaches de sergent et des favoris de loup de mer, ce naïf Persigny, toujours grognon et jadis chassé du régiment pour ses opinions républicaines, était devenu l'ami de Louis-Napoléon parce qu'il avait eu foi en l'étoile du Bonaparte, non point par intelligence comme Morny, mais par foi tout bonnement, et de mauvais garçons diraient tout bêtement. Le prince, d'autre part, lui en savait profondément gré, ce qui est naturel, et l'aimait comme une manière de disciple sauvage, une sorte de prophète de la première heure, quelque Jean-Baptiste hirsute, farouche et nourri de sauterelles. Cependant, et quoiqu'il nous en coûte de porter des jugements si simples, il se pourrait bien que Persigny n'eût jamais été qu'un fâcheux, fût-ce pour LouisNapoléon lui-même.

Ce lourd, ce gauche exalté devait se représenter la politique en images d'Épinal, à la façon des enfants à l'école. Après la tentative de Strasbourg, il répétait avec la plus sotte fierté aux magistrats qui le jugeaient : « Sans l'intervention d'Aladenize, je tuais à coups de baïonnette l'un des sous-lieutenants d'abord, et ensuite le capitaine.... » Tout juste ce qu'il fallait surtout se garder de dire! Mais il se croyait sans doute un Brutus.

Et il se rêvait probablement parfait « prince » du Quattrocento, selon l'idéal de Machiavel, quand il avait la candeur de déclarer chez la comtesse Le Hon, l'avant-veille du 2 décembre : « Tout ça va bientôt finir.... Et nous saurons comment mener l'État une bourse dans une main, la cravache dans l'autre! »

Il pensait à coup sûr que l'âme sublime de Caton revivait en lui, lors d'un dîner demeuré fameux, vers le milieu d'avril 1852. S'adressant au comte de Nieuwerkerke, directeur général des

musées, Persigny s'exprima ainsi : « Je compte m'employer à ce que la grande galerie du Louvre soit désormais occupée par les bureaux d'un ministère. Il est indispensable de concentrer le pouvoir, et de réunir les diverses administrations dans un centre commun, qui devienne comme la grande caserne où le gouvernement siégera avec tout son pouvoir. »

Nieuwerkerke, suffoqué, essaya de sourire. « Mais ce n'est pas une plaisanterie! » répéta Persigny. Et l'autre ayant murmuré avec une pâle ironie : « Il faudra donc vendre nos chefs-d'œuvre?... - Pourquoi pas ? s'écria derechef Persigny. Les arts importent peu en face des graves nécessités politiques. »

Un pareil lourdaud pouvait-il faire en France un chef agréable, utile, opportun, obéi? Non. Même encore aujourd'hui, notre nation se montre assez sentimentale, quant à ses œuvres d'art, quant à celles qui sont du moins étiquetées et reconnues pour telles, et l'on aurait peut-être tort — jusqu'à nouvel ordre de traiter ouvertement ses musées comme de simples marchandises. Mais dès qu'il s'agissait de déplaire ou de commettre des pataquès, le fougueux Persigny ne se possédait plus.

« Persigny revient de Londres ?... Ah, que n'y reste-t-il! Que ne va-t-il étudier le Kamchatka!... Il a peut-être sur toutes choses le don de seconde vue: mais la première lui fait toujours défaut. »

Ainsi parlait Morny vers la fin de sa vie. Il avait sûrement raison. Sait-on-encore un exemple, le dernier, mais le plus beau, le plus touchant! sait-on bien quel conseil Persigny donnait à Bismarck en 1862, au temps que celui-ci était ambassadeur de Prusse en France, et comme tous deux causaient ensemble dans la familiarité charmante d'une entrevue particulière ? Il était alors question d'une dissolution possible de la Chambre prussienne. Persigny dit tout rondement au cher Bismarck, avec cette rude franchise qui convient au génie :

« Écoutez-moi, et retenez bien mes paroles, dissolvez votre Chambre deux fois, trois fois, quatre fois, s'il le faut. Aucune importance.... Seulement, je vous en supplie, n'allez pas négliger votre armée. Voilà qui est capital! Tenez-la toujours en bon état, et prête à servir.... »

En vérité l'on ne prononçait pas toujours le nom de M. le duc de Persigny avec une gravité sans limites. La duchesse, son épouse, y était peut-être aussi pour quelque chose. Elle montrait

un goût désordonné pour les secrétaires d'ambassade, à ce que prétendaient les calomniateurs. « Madame la duchesse est perdue, s'écriait-on, impossible de la retrouver!... Bon, répondait l'autre, avez-vous bien cherché sous tous les meubles, tables, buffets, secrétaires ?... » Et de rire. Les Parisiens sont sans respect.

Nonobstant ces fariboles, il est trop certain que Morny ne fut pas le dernier à souffrir, dès le début, des erreurs, et notamment politiques, du Croquemitaine Persigny. Ils ne se trouvaient pas ennemis, si l'on veut, mais rivaux. Or, de deux rivaux, si l'un est ministre, l'autre a beau jeu : son rôle n'est que de blâmer. Rôle en or, selon le langage des comédiens. Persigny n'y manquait pas. Et puis....

Et puis, il y avait l'hortensia.

Le comte de Morny devait prendre un jour ces armes parlantes, et même criantes : une fleur d'hortensia épanouie, avec la devise Tace sed memento (Tais-toi, mais souviens-toi). Sans doute, en fils trop passionné, avait-il adopté dès 1852 cet emblème indiscret. Le prince Louis-Napoléon, frère légitime, ne disait rien, ne pouvait, ne voulait rien dire de fait, il n'a jamais renié, nous l'avons dit, la parenté si proche de Morny. Pourtant, comment supposer qu'il lui eût été agréable qu'on insistât si fort sur une erreur conjugale de sa mère ? Une fois, plus tard, il fit adresser délicatement un reproche à Morny par l'impératrice, nous conte Émile Ollivier, au sujet d'un portrait de famille trop publiquement affiché.... Aucune excuse, certes, n'avait manqué à la reine Hortense. Pourtant il s'agissait d'une tache, rien de moins, dans la famille de l'ex-roi de Hollande; or, l'Europe, sans même parler du faubourg Saint-Germain, portait dès lors les yeux sur le prince-président, non sans quelque vague ironie, et celui-ci devait faire aussi bonne figure que possible devant les cours étrangères : les rois étaient déjà presque ses

cousins.

Morny eut donc au début l'étourderie de ne point songer assez à ces nuances, psychologiques autant que politiques. Le 4 janvier 1852, au cours d'un banquet que lui offrait le préfet de la Seine, il se montra publiquement d'une extrême imprudence en ses paroles, précisant un peu trop le rang... naturel qu'il eût, à son avis, peut-être pu tenir auprès du souverain, et ce fut là, sans doute, la seule faute de tenue qu'il commit jamais.

Comme il sut bien la réparer, d'ailleurs! Le 22 janvier paraissaient deux décrets, rendus sous la double pression de LouisNapoléon et de Persigny, et contraignant les princes d'Orléans, alors exilés, à vendre les biens immenses qu'ils possédaient en France; en outre, on les privait de la donation considérable à eux faite par Louis-Philippe en 1830, « illégalement, » jugeait le second décret : les millions ainsi récupérés revenaient à l'État, et devaient être employés en œuvres d'amélioration sociale. Ces décrets n'avaient rien de beau, ils présentaient on ne sait quel air de vengeance assez acharnée et de piraterie sournoise : le premier vol de l'aigle, disaient les plaisants du boulevard. Ils furent impopulaires dans tous les partis, même dans l'entourage du prince-président. Il n'y eut pas juqu'au Conseil d'État, pour endoctriné qu'on le vît, qui n'admît qu'à une seule voix de majorité cette inélégante spoliation de princes en exil. Seul, M. de Persigny discernait là l'une des plus heureuses inspirations du nouveau régime.

Or, on se rappelle les anciennes et affectueuses relations qui avaient uni aux princes d'Orléans le jeune Morny. Sans hésiter, il eût le bon goût de donner sa démission de ministre de l'Intérieur à l'apparition des fameux décrets. Ainsi, le geste était irréprochable. Il ne s'en allait point parce que Persigny, Maupas ou d'autres envieux lui avaient chanté pouilles, ni parce que l'hortensia qu'il s'était mis à la boutonnière avait paru démesuré. Non, il quittait la place afin de ne pas s'associer à une action qu'il jugeait inconvenante; afin de ne pas répondre par une discourtoisie, même gouvernementale, aux invitations passées du feu duc d'Orléans, son ami. N'était-ce point là d'un galant homme ?

En quittant le ministère, Morny écrivit à Persigny : « Mon cher ami, agissons sans façon. J'ai un habit de grand uniforme, que je n'ai pas mis. Nous sommes de la même taille. Ne pourriez-vous vous en arranger?... » Il s'agissait de son habit de ministre.

Granier de Cassagnac, qui nous rapporte l'anecdote en ses Souvenirs, se demande gravement si Morny n'a pas voulu réaliser un petit profit, n'étant « pas encore bien millionnaire »; ou bien s'il n'y faut pas voir la « répugnance d'un esprit délicat » à livrer au fripier un tel habit, encore neuf.

Nous pensons que « l'esprit délicat nourrissait des pensées

moins solennelles en rédigeant ce petit billet à l'adresse de l'ami

Persigny.

Les papiers du comte de Flahaut, récemment publiés par lord Kerry, contiennent de curieuses lettres alors adressées par Morny à son père. On y voit que l'ex-ministre de l'Intérieur éprouva malgré tout quelque rancœur, après sa très élégante démission. On l'avait certes acceptée bien légèrement. « Le prince, écrit Morny le 26 janvier 1852, n'a de réelle amitié pour personne, et pour moi peut-être encore moins que pour d'autres, et ma situation particulière par rapport à lui l'ennuie.... Il n'accepta ma présence qu'à contre-cœur, et mes services lui pesaient. Il est méfiant et ingrat, et il n'aime que ceux qui lui obéissent servilement et le flattent.... » Et le démissionnaire revient plusieurs fois sur ce point.

La comtesse Le Hon écrivait aussi au comte de Flahaut : « On n'a rien essayé pour le garder. Vous savez, car je vous l'ai souvent dit, quelle était la jalousie à son égard, et combien certaine personne était hostile à accepter ses décisions ou suivre ses conseils... » etc!... « Certaine personne », c'est le prince LouisNapoléon. Quant à « il, lui, » qui veut-on que ce soit, quand Mme Le Hon parle ?

N'importe, d'ailleurs. Il ne s'agit point de bouder comme un bourgeois. On a fait le joli geste, il faut l'achever à la perfection. « Je suis toujours en bons termes avec le prince, déclare Morny le 23 janvier. Et je ne lui fournirai certainement aucune raison de se plaindre soit de ma conduite, soit de mes paroles.

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