Tu seras fait du vulgaire la fable, Et vainement tu peindras dans les Cieux, › 103 On pensait, chez les anciens Latins, que les foudres et les éclairs du côté gauche étaient signes et présages de bonheur, et ceux du côté droit de malheur. Avant le soir..., ce vers Et vainement tu tout moderne a l'air d'être d'André Chénier. peindras dans les Cieux. Peindre dans les Cieux est une expression pleine de splendeur et de magnificence. Et puis tout ne s'est-il pas vérifié? Le poète n'a-t-il pas été fait la fable du vulgaire, et ses neveux n'ont-ils pas ri de ses soupirs? Enfin cette même idée de la mort entrevue en un jour de meilleure espérance, lui a inspiré une ode aussi élevée que touchante, et qui a su trouver grâce auprès de ses plus moroses censeurs. De l'élection de son sépulcre. Antres, et vous fontaines, D'un glissant pas; Et vous, forests et ondes Quand le Ciel et mon heure Ravi du beau séjour Du commun jour; Je défens qu'on me rompe Mais bien je veux qu'un arbre De moy puisse la Terre Engendrer en lierre M'embrassant en main tour Et la vigne tortisse (*) Là viendront chaque année Avecques leurs taureaux Puis ayant fait l'office Diront ceci : «Que tu es renommée Qui oncques en sa vie Ny n'enseigna l'usage Mais bien à nos campagnes De ses chansons. (*) Tortisse, flexueuse. Car il fit à sa Lyre La douce Manne tombe Tout à l'entour l'emmure Et nous, ayans mémoire Ainsi dira la troupe, Avec du lait Dessur moy, qui à l'heure Seray par la demeure Où les heureux Esprits Ont leur pourpris. La gresle ne la nége N'ont tels lieux pour leur siége, Ne la foudre oncques là Ne dévala Mais bien constante y dure Et constant en tout temps Le beau Printemps. Le soin, qui sollicite Les Rois, ne les incite Leurs voisins ruiner Pour dominer; Ainsi comme frères vivent, Et morts encore suivent Les mestiers qu'ils avoient Là, là, j'oirray d'Alcée Et Sapphon qui sur tous Combien ceux qui entendent De les ouir; Quand la peine receuě La seule Lyre douce L'ennuy des cœurs repousse, De l'escoutant. Cette pièce délicieuse réunit tous les mérites. Les idées en sont simples, douces et tristes; la couleur pastorale n'y a rien de fade; l'exécution surtout y est parfaite. Ce petit vers masculin de quatre syllabes qui tombe à la fin de chaque stance produit à la longue une impression mélancolique ; c'est comme un son de cloche funèbre. On sait avec quel bonheur madame Tastu a employé ce même vers de quatre syllabes dans sa touchante pièce des Feuilles du Saule: L'air était pur, un dernier jour d'automne Et je voyais, d'une marche suivie, Eu rapprochant le petit vers de celui de six syllabes avec lequel il rime, Ronsard a été plus simple encore. Au reste, il a (*) Puisque Sysiphe lui-même en oublie son rocher et Tantale sa soif. très-bien compris qu'à une si courte distance une grande richesse de rime était indispensable, et il s'est montré ici plus rigoureux sur ce point qu'à son ordinaire. C'est en effet une loi de notre versification que, plus les rimes correspondantes se rapprochent, plus elles doivent être riches et complètes. (M. Sainte-Beuve, Tableau de la Poésie française au XVIe siècle.) AUTRES EXEMPLES. Que conclure de ces citations qu'on pourrait aisément multiplier? On dirait vraiment qu'il y eut deux poètes en Ronsard : l'un asservi à une méthode, préoccupé de combinaisons et d'efforts, qui se guinda jusqu'à l'ode pindarique, et trébucha fréquemment; l'autre encore naïf et déjà brillant, qui continua, perfectionna Marot, devança et surpassa de bien loin Malherbe dans l'ode légère. Ce n'est point toutefois à dire que Ronsard n'était pas fait pour la haute poésie lyrique, qu'il n'avait pas une âme capable d'en concevoir les beautés profondes, et qu'en des temps meilleurs il n'aurait pas réussi à les exprimer. Sous les entraves qui le resserrent, il sent lui-même l'impuissance de s'élancer où une voix secrète l'appelle, et plus d'une fois il en gémit avec une sincérité de tristesse qui n'appartient qu'au vrai talent. Dans une élégie adressée à Jacques Grévin, nous le voyons s'accuser de n'être qu'un demi-poète et envier le sort des cinq ou six privilégiés qui, jusque là, sont apparus au monde. Aux nobles traits dont il les signale, on comprend assez qu'il n'était pas indigne de marcher sur leurs traces: Dieu les tient agités, et jamais ne les laisse, D'un aiguillon ardent il les pique et les presse, Ils ont les pieds à terre et l'esprit dans les cieux. Lui-même, osons le dire, il n'a pas toujours été malheureux dans ses bardiesses. Il suffit quelquefois de pardonner une expression basse, de comprendre un tour obscur, de pénétrer une allusion érudite, en un mot, de soulever un léger voile pour le trouver éblouissant et inspiré. Ses poésies même renferment un grand nombre de passages d'une excellente facture : |