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Tu seras fait du vulgaire la fable,
Tu bastiras sur l'incertain du sable

Et vainement tu peindras dans les Cieux, ›
- Ainsi disait la Nymphe qui m'affolle,
Lorsque le Ciel, tesmoin de sa parolle,
D'un dextré éclair fut présage à mes yeux.

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On pensait, chez les anciens Latins, que les foudres et les éclairs du côté gauche étaient signes et présages de bonheur, et ceux du côté droit de malheur. Avant le soir..., ce vers Et vainement tu tout moderne a l'air d'être d'André Chénier. peindras dans les Cieux. Peindre dans les Cieux est une expression pleine de splendeur et de magnificence. Et puis tout ne s'est-il pas vérifié? Le poète n'a-t-il pas été fait la fable du vulgaire, et ses neveux n'ont-ils pas ri de ses soupirs?

Enfin cette même idée de la mort entrevue en un jour de meilleure espérance, lui a inspiré une ode aussi élevée que touchante, et qui a su trouver grâce auprès de ses plus moroses

censeurs.

De l'élection de son sépulcre.

Antres, et vous fontaines,
De ces roches hautaines
Qui tombez contre-bas

D'un glissant pas;

Et vous, forests et ondes
Par ces prez vagabondes,
Et vous, rives et bois,
Oyez ma vois

Quand le Ciel et mon heure
Jugeront que je meure,

Ravi du beau séjour

Du commun jour;

Je défens qu'on me rompe
Le marbre, pour la pompe
De vouloir mon tombeau
Bastir plus beau,

Mais bien je veux qu'un arbre
M'ombrage au lieu d'un marbre,
Arbre qui soit couvert
Toujours de verd.

De moy puisse la Terre

Engendrer en lierre

M'embrassant en main tour
Tout à l'entour:

Et la vigne tortisse (*)
Mon sépulchre embellisse,
Faisant de toutes parts
Un nombre espars!

Là viendront chaque année
A ma feste ordonnée

Avecques leurs taureaux
Les pastoureaux :

Puis ayant fait l'office
Du dévot sacrifice,
Parans à l'Isle ainsi,

Diront ceci :

«Que tu es renommée
D'estre tombe nommée
D'un de qui l'Univers
Chante les vers!

Qui oncques en sa vie
Ne fut brulé d'envie
D'acquérir les honneurs
Des grands Seigneurs ;

Ny n'enseigna l'usage
De l'amoureux breuvage,
Ny l'art des anciens
Magiciens;

Mais bien à nos campagnes
Fit voir les Sœurs compagnes
Foulantes l'herbe aux sons

De ses chansons.

(*) Tortisse, flexueuse.

Car il fit à sa Lyre
Si bons accords eslire,
Qu'il orna de ses chants
Nous et nos champs.

La douce Manne tombe
A jamais sur sa tombe,
Et l'humeur que produit
En May la nuit.

Tout à l'entour l'emmure
L'herbe et l'eau qui murmure,
L'un tousjours verdoyant,
L'autre ondoyant.

Et nous, ayans mémoire
De sa fameuse gloire,
Luy ferons comme à Pan
Honneur chaque an. »

Ainsi dira la troupe,
Versant de mainte coupe
Le sang d'un aguelet

Avec du lait

Dessur moy, qui à l'heure

Seray par la demeure

Où les heureux Esprits

Ont leur pourpris.

La gresle ne la nége

N'ont tels lieux pour leur siége, Ne la foudre oncques là

Ne dévala

Mais bien constante y dure
L'immortelle verdure,

Et constant en tout temps

Le beau Printemps.

Le soin, qui sollicite

Les Rois, ne les incite

Leurs voisins ruiner

Pour dominer;

Ainsi comme frères vivent,

Et morts encore suivent

Les mestiers qu'ils avoient
Quand ils vivoient.

Là, là, j'oirray d'Alcée
La Lyre courroucée,

Et Sapphon qui sur tous
Sonne plus dous.

Combien ceux qui entendent
Les chansons qu'ils respandent
Se doivent resjouir

De les ouir;

Quand la peine receuě
Du rocher est deceuë
Et quand le vieil Tantal
N'endure mal! (*)

La seule Lyre douce

L'ennuy des cœurs repousse,
Et va l'esprit flatant

De l'escoutant.

Cette pièce délicieuse réunit tous les mérites. Les idées en sont simples, douces et tristes; la couleur pastorale n'y a rien de fade; l'exécution surtout y est parfaite. Ce petit vers masculin de quatre syllabes qui tombe à la fin de chaque stance produit à la longue une impression mélancolique ; c'est comme un son de cloche funèbre.

On sait avec quel bonheur madame Tastu a employé ce même vers de quatre syllabes dans sa touchante pièce des Feuilles du Saule:

L'air était pur, un dernier jour d'automne
En nous quittant arrachait la couronne
Au front des bois;

Et je voyais, d'une marche suivie,
Fuir le soleil, la saison et ma vie
Tout à la fois.

Eu rapprochant le petit vers de celui de six syllabes avec lequel il rime, Ronsard a été plus simple encore. Au reste, il a

(*) Puisque Sysiphe lui-même en oublie son rocher et Tantale sa soif.

très-bien compris qu'à une si courte distance une grande richesse de rime était indispensable, et il s'est montré ici plus rigoureux sur ce point qu'à son ordinaire. C'est en effet une loi de notre versification que, plus les rimes correspondantes se rapprochent, plus elles doivent être riches et complètes. (M. Sainte-Beuve, Tableau de la Poésie française au XVIe siècle.)

AUTRES EXEMPLES.

Que conclure de ces citations qu'on pourrait aisément multiplier? On dirait vraiment qu'il y eut deux poètes en Ronsard : l'un asservi à une méthode, préoccupé de combinaisons et d'efforts, qui se guinda jusqu'à l'ode pindarique, et trébucha fréquemment; l'autre encore naïf et déjà brillant, qui continua, perfectionna Marot, devança et surpassa de bien loin Malherbe dans l'ode légère.

Ce n'est point toutefois à dire que Ronsard n'était pas fait pour la haute poésie lyrique, qu'il n'avait pas une âme capable d'en concevoir les beautés profondes, et qu'en des temps meilleurs il n'aurait pas réussi à les exprimer. Sous les entraves qui le resserrent, il sent lui-même l'impuissance de s'élancer où une voix secrète l'appelle, et plus d'une fois il en gémit avec une sincérité de tristesse qui n'appartient qu'au vrai talent. Dans une élégie adressée à Jacques Grévin, nous le voyons s'accuser de n'être qu'un demi-poète et envier le sort des cinq ou six privilégiés qui, jusque là, sont apparus au monde. Aux nobles traits dont il les signale, on comprend assez qu'il n'était pas indigne de marcher sur leurs traces:

Dieu les tient agités, et jamais ne les laisse, D'un aiguillon ardent il les pique et les presse, Ils ont les pieds à terre et l'esprit dans les cieux. Lui-même, osons le dire, il n'a pas toujours été malheureux dans ses bardiesses. Il suffit quelquefois de pardonner une expression basse, de comprendre un tour obscur, de pénétrer une allusion érudite, en un mot, de soulever un léger voile pour le trouver éblouissant et inspiré. Ses poésies même renferment un grand nombre de passages d'une excellente facture :

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