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que dix-neuf, une allégorie sur l'art d'aimer, le Temple de Cupido, son premier essai poétique et le plus long de ses ouvrages. Ce n'était à encore qu'une imitation du Roman de la Rose, mais embellie de tous les attraits qu'avait pu lui prêter la fraiche et riante imagination du jeune poète. Ce brillant début lui valut dès l'abord les faveurs du maître et plus tard le double surnom de prince des poètes et de poète des princes.

Fils de Jean Marot, valet de chambre de Louis XII et poète déréglé dans ses mœurs, Clément marcha sur les traces de son père. Le libertinage et la rime lui arrivèrent comme par héritage. A quinze ans, on le vit acteur dans la troupe des Enfants sans-souci dirigée par Gringoire et de Pontalais; plus tard, on voulut en faire un avocat; mais, ennuyé de la chicane et de cet antre de procès

Où sans argent pauvreté n'a raison,

il étudia peu, devint page de Marguerite, et étudia moins encore. Il puisa dans le commerce des grands et des dames ce tour noble et gracieux, la finesse ingénieuse, la familiarité de bon goût qu'on ne trouve pas dans Villon; il échangea le patois du Quercy, son pays natal, contre la langue française,

dans les cours estimée,

Laquelle enfin quelque peu s'est limée.

Une fois poète et courtisan, son amour des plaisirs ne lui laissa guère le temps de suppléer à son manque d'éducation première; cependant il acquit quelque teinture de la littérature latine, et sut qu'il avait existé jadis une littérature grecque.

Dès lors commença pour Marot cette vie aventureuse et galante dont la misère et l'exil devaient être le triste dénouement. Blessé à Pavie près de son maître, il fut fait comme lui prisonnier. De retour en France, il s'attira la haine de Diane de Poitiers, dont il s'était fait l'ennemi après avoir été son admirateur déclaré. La vengeance de Diane fut prompte; elle accusa d'hérésie Clément dont l'imprudente confiance lui avait sans doute donné des armes contre lui. Emprisonné d'abord au Châtelet, puis transféré à Chartres, il y composa son Enfer, satire sanglante contre ses juges. Rendu à la liberté par le retour du roi, Marot

osa lever les yeux jusqu'à Marguerite; cette témérité lui causa de nouvelles traverses. Eloigné de la cour, il alla chercher asile auprès de Rénée de France, duchesse de Ferrare, protectrice avouée des protestants. Mais ce ne fut pas sans regret qu'il abandonna la France. En vain il veut s'armer de fermeté et quitter sa patrie ingrate; l'amour du pays l'emporte, et il s'écrie: Tu mens, Marot; grand regret tu sentis!

Dans son exil, il suppliait François 1er de le rendre à sa patrie, à ses amis; on n'aura plus à craindre ses imprudences. II a vécu à Venise ; il a appris deux mots de grand profìt, défiance et silence. Enfin, au bout d'un an d'exil, il obtint sa rentrée. Son père était mort; il sollicita son emploi: on le lui accorda, mais de mauvaise grâce.

Protestant par bon ton, parce que la Réforme était à la cour le parti des gens railleurs et des femmes frivoles; hérétique par état de poète, parce qu'il y trouvait l'occasion d'exercer sa malice, Marot s'avisa de traduire les psaumes en français, avec François Vatable, l'un des liseurs du roi en l'Université. Dès que cette traduction parut, la cour en fut enchantée. Le roi en tredonnait tout le long du jour quelque psaume; les dames et les courtisans les chantaient sur des airs de vaudeville. Pendant un été, ce fut la mode d'aller, tous les soirs, dans la promenade du Pré aux clercs, pour chanter en choeur les psaumes de Marot. Cette ferveur ne se soutint pas : soit inconstance, soit avertissement, la cour s'arrêta dans ses velléités d'hérésie, et Marot paya pour tous. Il fut obligé de fuir devant les censures de la Sorbonne. Il se refugia à Genève, où régnait Calvin, qui s'empressa d'adopter sa traduction des psaumes; mais les déréglements du poète abrégèrent l'hospitalité que lui donnait le réformateur, et Clément, fouetté, dit-on, comme adultère, se retira à Turin, où il mourut presque dans l'indigence, à l'âge de cinquante ans.

CARACTÈRE DE SA POÉSIE.

La vie agitée de Marot se réfléchit dans ses ouvrages. Après le Temple de Cupido, il ne rima guère de fictions; la poésie prit place dans son existence et devint pour lui une amie qui l'ait

dait à jouir de la bonne fortune et le défendait dans la mauvaise; c'était l'interprète de ses infortunes et de ses joies, de ses succès et de ses remerciements, de ses prières et de ses invectives. De là sans doute cette heureuse convenance et cette harmonie parfaite entre ses vers et son caractère ou sa situation. Tour à tour tendre et enjoué, toujours plaisant, souvent malicieux, rarement sérieux ou indigné, il écrit sous l'inspiration du moment, et prend avec une égale facilité tous les tons, excepté le sublime, qu'il ne connut jamais.

Héritier naturel de Charles d'Orléans et de Villon, c'est Marot qui a épuré les divers genres qui les ont distingués, et réuni les plus aimables traits du vieux génie de sa patrie. Il joint plus de finesse, d'élégance, de souplesse, des saillies plus brillantes à la naïveté satirique ou gracieuse qui les caractérise. Supérieur à tous ceux qui l'ont précédé, il suit leurs traces et bientôt il les devance. Son premier ouvrage est encore une allégorie dans le goût gothique; Marot en rajeunit l'ensemble par le charme des détails. Il ne tarde pas à quitter ce genre faux que tant d'écrivains avaient épuisé. Des épîtres légères où une causerie facile semée de bens mots et de vers charmants s'exerce tour à tour sur tous les sujets, des épigrammes tournées avec une brièveté piquante ou une facilité spirituelle ; des satires qui ressemblent à ses épîtres; enfin des chansons légères tels furent les produits de sa Muse peu ambitieuse, folâtre, maligne, négligente, et qui vivra autant que notre langue.

Il a tous les anciens défauts de la versification française; le seul progrès en ce genre que l'on remarque dans ses œuvres est ce perfectionnement de la césure que Lemaire lui avait enseigné. Les vers, masculins ou féminins, se mêlent et se confondent chez lui sans aucun ordre. Il abrége ses mots quand le nombre des syllabes l'embarrasse; et s'il est moins prodigue que Villon de parenthèses et d'enjambements forcés, il fait heurter aussi souvent que lui voyelle contre voyelle. Si donc il est juste de décerner à Marot le prix de la ballade, de l'épître, du rondeau, de l'épigramme, il est juste aussi de dire qu'il ne montre point pour rimer des chemins tout nouveaux, à moins qu'on ne veuille se contenter de voir dans cet arrêt de Boileau un hommage

rendu aux grâces nouvelles dont il sut revêtir des genres longtemps connus avant lui, mais nullement un brevet d'invention.

Rien n'est plus facile et plus élégant que le tour de ses vers. Déjà séduit par l'exemple des Italiens et des Latins, s'il n'essaie pas de renverser, comme devait le tenter Ronsard, notre système de poésie; il emploie avec une facilité sans égale tout ce qu'elle lui offre, et ne semble jamais avoir besoin de ce qui lui manque. C'est une aisance, un laisser -aller, un naturel parfait dans la plaisanterie ou la satire, dans l'expression de la mélancolie ou de la gaieté; un talent délicat et très-rare alors de voiler des traits hardis sous la décence ingénieuse du langage. Pasquier, panégyriste exalté des poètes de la Pléïade, louait encore, vingt ans après, la fluidité de sa veine. Nul écrivain ne possède effectivement une flexibilité plus heureuse une sève poétique, naïve, et spirituelle, anime tout ce qu'il a écrit ; il semble avoir peint son propre talent, en décrivant l'inconstante étourderie de sa jeunesse :

Sur le printemps de ma jeunesse folle
Je ressemblais l'hirondelle qui vole
Puis çà, puis là; l'âge me conduisait
Sans peur, ni soins, où le cœur me disait.

L'APOLOGUE DU LION ET DU RAT.

Deux fois Marot fat mis en prison: la première, comme nous l'avons dit, pour avoir prêté à des soupçons d'hérésie. Du Châtelet où il était captif, il adressa une épître à son ami Lyon Jamet, et employant Papologue du Lion et du Rat, il l'engagea à solliciter son élargissement. L'épitre était, sans contredit, le genre de poésie qui convenait le mieux à Marot, et celle-ci est une des meilleures ; l'on en a souvent imité le début :

Je ne t'écris de l'amour vaine et folle :

Tu vois assez, s'elle sert ou affole.
Je ne l'écris ni d'armes ni de guerre:

Tu vois, qui peut bien ou mal y acquerre.
Je ne t'écris, etc...

Mais je te veux dire une belle fable.

Il raconte alors comment le lion délivra le rat d'un piége où il était pris:

Dont maistre rat échappe vistement :
Puis mit à terre un genouil gentement,
Et en ostant son bonnet de sa teste,
A mercié mille fois la grand'beste :
Jurant le dieu des souris et des rats,
Qu'il lui rendrait.

A son tour, le lion est pris dans les rets, le rat accourt et promet de le délivrer:

Lors le lion ses deux grands yeux vertit
Et vers le rat les tourna en petit
En lui disant : 0 pauvre verminière,
Tu n'as cousteau, serpe ni serpillon....

Va te cacher que le chat ne te voie.
- Sire lion, dit le fils de souris,
De ton propos, certes, je me souris,
J'ai des cousteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc plus tranchant qu'une scie;
Leur gaine, c'est ma gencive et ma bouche;
Bien couperont la corde qui te touche
De si très-près; car j'y mettrai bon ordre.
Lors sire rat va commencer à mordre

Ce gros lien; vrai est qu'il y songea
Assez longtemps, mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu'à la parfin tout rompt:

Et le hon de s'en aller fut prompt.

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La seconde fois que Clément tâta de la prison, il avait, cédant à un mouvement d'humanité, arraché des mains des archers un prisonnier que, sans doute, il croyait innocent. Pour sortir, il eut recours à un tout-puissant protecteur, à François 1er lui

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