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naïve, ignorante, légère, capricieuse, aux formes majestueuses, aux savantes allures de la poésie ancienne, à l'élan sublime de la Muse pindarique. Sans doute la poésie ingénieuse et négligée de Villon, le tour délicat et heureux de Marot, ne suffisaient pas aux destinées de la langue française. Ces beautés locales, ces grâces fugitives de l'expression, ces détails de mœurs piquants et originaux, qui caractérisent les ouvrages de nos premiers poètes, ne pouvaient avoir pour la postérité le même intérêt, le même charme qu'ils avaient pour des contemporains. Pour vivre, pour se faire reconnaître de toute l'Europe, la poésie française devait donc prendre des traits plus fiers et plus nobles; elle devait cesser d'être uniquement la poésie du peuple et de la cour; elle devait se rattacher au fond impérissable de la nature humaine, peindre l'homme et non l'individu.

MÉRITES ET BEAUTÉS DE RONSARD.

Toutefois rendons justice à Ronsard. Après avoir signalé ses erreurs et ses défauts, signalons ses mérites et ses beautés. Sans rechercher ce qui aurait pu arriver, dans des conjonctures plus opportunes et avec une autre direction, de cette langue savante qu'il a voulu créer; si l'on n'envisage de sa réforme qu'une portion plus humble, il a bien assez fait pour que son nom soit entouré de quelque estime et de quelque reconnaissance. A ne le prendre que dans des genres de moyenne hauteur, dans l'élégie, dans l'ode légère, dans la chanson, il y excelle; et le charme, mêlé de surprise, qu'il nous fait éprouver, n'y est presque plus, comme ailleurs, gâté de regrets. Ici, point de prétention ni d'enflure; une mélodie soutenue, des idées gracieuses et de fraîches couleurs. La langue de Marot est retrouvée, mais avec plus d'éclat; elle a déjà revêtu ces beautés vives qui, plus tard, n'appartiendront qu'à La Fontaine : Mignonne, allons voir si la Rose, Qui ce matin avait déclose Sa robe de pourpre au soleil, A point perdu cette vesprée

Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.

Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las, ses beautés laissé cheoir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, Mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Est-il besoin de faire remarquer le vif et naturel mouvement de ce début : Mignonne, allons voir? Et pour le style, quel progrès depuis Marot! que d'images, la robe de pourpre, laissé cheoir ses beautés, cet âge qui fleuronne en sa verte nouveauté, cueillir sa jeunesse! Malherbe a-t-il bien osé biffer de tels vers, et Despréaux les avait-il lus? Son goût le plus sévère n'eûtpas encore été fléchi par la petite pièce suivante :

il

La belle Vénus un jour,
M'amena son fils Amour;
Et l'emmenant me vint dire :
Ecoute, mon cher Ronsard,
Enseigne à mon enfant l'art
De bien jouer de la lyre.
Incontinent je le pris,
Et soigneux je lui appris
Comme Mercure eut la peine
De premier la façonner,
Et de premier en sonner
Dessus le mont de Cyllène;

Comme Minerve inventa
Le hautbois, qu'elle jeta
Dedans l'eau toute marrie;
Comme Pan le chalumeau,
Qu'il pertuisa du roseau
Formé du corps de s'amie.

Ainsi, pauvre que j'étois,
Tout mon art je recordois

A cet enfant pour l'apprendre :
Mais lui, comme un faux garçon,
Se moquait de ma chanson,
Et ne la vouloit entendre.

Pauvre sot, se me dit-il,
Tu te penses bien subtil!
Mais tu as la tête folle,
D'oser t'égaler à moi,

Qui jeune en sais plus que toi,
Ni que ceux de ton école.

Et alors il me sourit,
Et en me flattant m'apprit
Tous les œuvres de sa mère,
Et comme pour trop aimer
Il avoit fait transformer
En cent figures son père.

Il me dit tous ses attraits,
Tous ses jeux, et de quels traits
I blesse les fantaisies

Et des hommes et des dieux,
Tous ses tourments gracieux,
Et toutes ses jalousies,
Et me les disant, alors
J'oubliai tous les accords
De ma lyre dédaignée,
Pour retenir en leur lien

L'autre chanson que ce Dieu

M'avoit par cœur enseignée. ()

C'est ainsi qu'il fallait toujours reproduire la grâce antique

et nous pénétrer de son parfum.

La Fontaine, encore une fois, ne faisait pas mieux. On a ce nom de La Fontaine sans cesse à la bouche quand on parle de nos vieux poètes, dont il fut, en quelque sorte, le dernier et le plus parfait. Lui, qui traduisait l'Amour mouillé avec la dé

(*) On peut comparer cette imitation exquise de Bion avec la seconde élégie d'André Chénier.

licatesse d'Anacréon et sa propre bonhomie, n'eût pas rougi d'avouer cette autre imitation, où la même bonhomie se fond dans la même délicatesse :

Les Muses lièrent un jour
De chaînes de roses Amour,
Et, pour le garder, le donnèrent
Aux Grâces et à la Beauté
Qui, voyant sa déloyauté,
Sur Parnasse l'emprisonnèrent.
Sitôt que Vénus l'entendit,
Son beau ceston (*) elle vendit
A Vulcan pour la délivrance
De son enfant, et tout soudain,
Ayant l'argent dedans la main,
Fit aux Muses la révérence;

Muses, déesses des chansons,
Quand il faudroit quatre rançons
Pour mon enfant, je les apporte ;
Délivrez mon fils prisonnier. ›
Mais les Muses l'ont fait lier
D'une chaîne encore plus forte.
Courage donques, Amoureux,
Vous ne serez plus langoureux;
Amour est au bout de ses ruses;
Plus n'oseroit ce faux garçon
Vous refuser quelque chanson,

Puisqu'il est prisonnier des Muses.

Parfois Ronsard mêle à ces chants joyeux une douce et touchante mélancolie; son vers est facile, son expression n'a rien de forcé, c'est presque du Malherbe :

Nous ne tenons en nostre main
Le jour qui suit le lendemain ;
La vie n'a point d'asseurance,
Et pendant que nous désirons
La faveur des roys, nous mourons
Au milieu de notre espérance.

(*) Sa ceinture.

Voilà la langue et le tour poétique : voilà la coupe savante et néanmoins naturelle.

Une des pièces les plus gracieuses de Ronsard est assurément ce sonnet, dans lequel une idée mélancolique, souvent exprimée par les anciens et par Ronsard lui-même, se trouve si heureusement renouvelée :

Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies;
Qui ne les eust à ce vespre cueillies,
Cheutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain

Que vos beautez, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flatries,
Et comme fleurs périront tout soudain.

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,
Las! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame :

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aymez-moy, cependant qu'estes belle.

Ronsard, de bonne heure, avait beaucoup pensé à la mort, et aussi aux diverses chances hasardeuses de sa tentative littéraire tous ceux qui aiment la gloire sont ainsi. Dès ses poésies premières, on voit qu'il avait conçu un pressentiment grandiose et sombre de son avenir. Voici un admirable sonnet dans lequel il identifie sa maîtresse Cassandre avec l'antique prophétesse de ce nom; il se fait prédire par elle ses destinées, qui se sont accomplies presqu'à la lettre :

Avant le temps les tempes fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant le soir se clorra ta journée,
Trahis d'espoir tes pensers périront:

Sans me fleschir tes escrits flétriront,
En ton désastre ira ma destinée,
Pour abuser les Poètes je suis née,
De tes soupirs nos neveux se riront :

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