Images de page
PDF
ePub

Que de ces vins mêlés j'ai reconnu l'adresse.
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison
J'espérais adoucir la force du poison.

Mais, qui l'aurait pensé? pour comble de disgrâce.
Par le chaud qu'il faisait nous n'avions point de glace.
Point de glace, bon Dieu! dans le fort de l'été!
Au mois de juin! Pour moi, j'étais si transporté,
Que, donnant de fureur tout le festin au diable,
Je me suis vu vingt fois prêt à quitter la table;
Et, dut-on m'appeler et fantasque et bourru,
J'allais sortir enfin, quand le rot a paru.

Sur un lièvre 'flanqué de six poulets étiques
S'élevaient trois lapins, animaux domestiques
Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentaient encore le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées
Régnait un long cordon d'allouettes pressées ;
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentaient pour renfort leurs squelettes brûlés.
A côté de ce plat paraissaient deux salades,
L'une de pourpier jaune, et l'autre d'herbes fades
Dont l'huile de fort loin saisissait l'odorat,"

Et nageait dans des flots de vinaigre rosat.

Tous mes sols, à l'instant, changeant de contenance,
Ont loué du festin la superbe ordonnance;
Tandis que mon faquin, qui se voyait priser,
Avec un ris moqueur les priait d'excuser.
Surtout certain håbleur, à la gueule affamée,
Qui vint à ce festin conduit par la fumée,
Et qui s'est dit profès dans l'ordre des coteaux,
A fait en bien mangeant l'éloge des morceaux.
Je riais de le voir, avec sa mine étique,
Son rabat jadis blanc et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons cauchois en superbes ramiers;
Et, pour flatter notre hôte, observant son visage,
Composer sur ses yeux son geste et son langage:
Quand notre hôte charmé, m'avisant sur ce point :
« Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Je vous trouve aujourd'hui l'âme tout inquiète,
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette.

Aimez-vous la muscade? on en a mis partout.

Ah! Monsieur, ces poulets sont d'un merveilleux goût!
Ces pigeons sont dodus, mangez, sur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche et molle.
Ma foi, tout est passable, il le faut confesser,
Et Mignot aujourd'hui s'est voulu surpasser.
Quand on parle de sauce, il faut qu'on y raffine;
Pour moi, j'aime surtout que le poivre y domine :
J'en suis fourni, Dieu sait! et j'ai tout Pelletier
Roulé dans mon office en cornets de papier. »>
A tous ces beaux discours j'étais comme une pierre,
Ou comme la statue est au Festin de Pierre;
Et, sans dire un seul mot, j'avalais au hasard
Quelque aile de poulet dont j'arrachais le lard.
Cependant mon håbleur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte,
Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri,
Avec un rouge-bord acceptent son défi.

Un si galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté partout des verres à la ronde,

Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
Témoignaient par écrit qu'on les avait rincés:
Quand un des conviés, d'un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique,
Tous mes sots à la fois, ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique sans doute était rare et charmante!
L'un traine en longs fredons une voix glapissante;
Et l'autre, l'appuyant de son aigre fausset,
Semble un violon faux qui jure sous l'archet.

Sur ce point, un jambon d'assez maigre apparence,
Arrive sous le nom de jambon de Mayence.
Un valet le portait, marchant à pas comptés,
Comme un recteur suivi des quatre facultés.
Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes,
Lui servaient de massiers, et portaient deux assiettes,
L'une de champignons avec des ris de veau,

Et l'autre de pois verts qui se noyaient dans l'eau.
Un spectacle si beau surprenant l'assemblée,
Chez tous les conviés la joie est redoublée;
Et la troupe à l'instant, cessant de fredonner,

D'un ton gravement fou s'est mise à raisonner.
Le vin au plus muet fournissant des paroles,
Chacun a débité ses maximes frivoles,

Réglé les intérêts de chaque potentat,
Corrigé la police et réformé l'Erat;

Puis, de là s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande ou battu l'Angleterre.

Enfin, laissant en paix tous ces peuples divers,
De propos en propos on a parlé de vers.

Là tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maitres du Parnasse.
Mais notre hôte surtout, pour la justesse et l'art,
Elevait jusqu'au ciel Théophile et Ronsard;
Quand un des campagnards, relevant sa moustache,
Et son feutre à grands poils ombragé d'un panache,
Impose à tous silence, et d'un ton de docteur :

Morbleu! dit-il, La Serre est un charmant auteur!
Ses vers sont d'un beau style, et sa prose est coulante.
La Pucelle est encore une œuvre bien galante,

Et je ne sais pourquoi je baille en la lisant.
Le Pays, sans mentir, est un bouffon plaisant :
Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture,
Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture.
A mon gré, le Corneille est joli quelquefois.
En vérité, pour moi j'aime le beau françois.
Je ne sais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre;
Ce n'est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les héros chez Quinaut parlent bien autrement,
Et jusqu'à je vous hais, tout s'y dit tendrement.
On dit qu'on l'a drapé dans certaine satire;
Qu'un jeune homme... Ah! je sais ce que vous voulez dire,
A répondu notre hôte : « Un auteur sans défaut,

La raison dit Virgile, et la rime Quinaut. »

- Justement. A mon gré, la pièce est assez plate.
Et puis, blåmer Quinaut!..... Avez-vous vu l'Astrate?
C'est là ce qu'on appelle un ouvrage achevé.
Surtout l'Anneau royal me semble bien trouvé..
Son sujet est conduit d'une belle manière;
Et chaque acte, en sa pièce, est une pièce entière.
Je ne puis plus souffrir ce que les autres font.
- Il est vrai que Quinaut est un esprit profond,
A repris certain fat qu'à sa mine discrète

Et son maintien jaloux j'ai reconnu poète :
Mais il en est pourtant qui le pourraient valoir.
Ma foi, ce n'est pas vous qui nous le ferez voir,
A dit mon campagnard avec une voix claire,
Et déjà tout bouillant de vin et de colère.

Peut-être, a dit l'auteur pâlissant de courroux : Mais vous, pour en parler, vous y connaissez-vous? Mieux que vous mille fois, dit le noble en furie.

Vous? mon Dieu! mêlez-vous de boire, je vous prie,

A l'auteur sur le champ aigrement reparti.

- Je suis donc un sot, moi? vous en avez menti,
Reprend le campagnard; » et, sans plus de langage,
Lui jette pour défi son assiette au visage.
L'autre esquive le coup; et l'assiette volant
S'en va frapper le mur et revient en roulant.
A cet affront l'auteur, se levant de la table,
Lance à mon campagnard un regard effroyable;
Et, chacun vainement se ruant entre deux,
Nos braves s'accrochant se prennent aux cheveux.
Aussitôt sous leurs pieds les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles cassées :
En vain à lever tout les valets sont fort prompts,
Et les ruisseaux de vin coulent aux environs.

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare,

De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les sépare;
Et leur première ardeur passant en un moment
On a parlé de paix et d'accommodement.

Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y conspire,
J'ai gagné doucement la porte sans rien dire,
Avec un bon serment que, si pour l'avenir
En pareille cohue on me peut retenir,

Je consens de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie;
Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,

Et qu'à peine au mois d'août l'on mange des pois verts.

LES EMBARRAS DE PARIS.

Qui frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris?
Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris?
Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières,
Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?

J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi,
Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi :
L'un miaule en grondant comme un tigre en furie;
L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie.
Ce n'est pas tout encor: les souris et les rats
Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats,
Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,
Que jamais, en plein jour, ne fut l'abbé de Pure.
Tout conspire à la fois à troubler mon repos,
Et je me plains ici du moindre de mes maux :
Car à peine les coqs commençant leur ramage,
Auront de cris aigus frappé le voisinage,
Qu'un affreux serrurier, laborieux Vulcain,
Qu'éveillera bientôt l'ardente soif du gain,
Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il apprête,
De cent coups de marteau me va fendre la tête.
J'entends déjà partout les charettes courrir,
Les maçons travailler, les boutiques s'ouvrir :
Tandis que dans les airs mille cloches émues,
D'un funèbre concert font retentir les nues;
Et se mêlant au bruit de la grèle et des vents,
Pour honorer les morts font mourir les vivants.

Encor je bénirais la bonté souveraine
Si le ciel à ces maux avait borné ma peine.
Mais si seul en mon lit je peste avec raison,
C'est encor pis vingt fois en quittant la maison.
En quelque lieu que j'aille, il faut fendre la presse
D'un peuple d'importuns qui fourmillent sans cesse :
L'un me heurte d'un ais dont je suis tout froissé;
Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé.
Là d'un enterrement la funèbre ordonnance
D'un pas lugubre et lent vers l'église s'avance;
Et plus loin des laquais l'un l'autre s'agaçants
Font aboyer les chiens et jurer les passants.
Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage.
Là, je trouve une croix de funeste présage;
Et des couvreurs grimpés au toit d'une maison
En font pleuvoir l'ardoise et la tuile à foison.
Là, sur une charrette une poutre branlante
Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente;
Six chevaux attelés à ce fardeau pesant

« PrécédentContinuer »