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mie Françoise, en notre bonne ville de Paris, laquelle, n'étant composée que de personnes de grand mérite et savoir, ne peut être que beaucoup avantageuse au public et à la réputation et accroissement du nom françois. A ces causes, nous voulons et vous mandons que vous ayez à procéder à l'enregîtrement des susdites lettres, selon leur forme et teneur, et faire jouir cette compagnie des priviléges desquels nous l'avons voulu avantager, sans y apporter aucune longueur, restriction ni difficulté; si n'y faites faute, car tel est notre plaisir. Donné à Saint-Germain-en-Laye, le trentième jour de décembre 1635. Signé Louis. Et plus bas : DE LOMÉNIE. Et au-dessus : « A nos amez et féaux con»seillers les gens tenans notre cour de parlement à » Paris. >>

Outre tout cela, le Cardinal témoigna au procureur général, qui l'étoit allé voir à Conflans, qu'il désiroit absolument cette vérification, et qu'ayant donné son seing aux statuts de l'Académie il l'avoit jugée digne des priviléges qui lui étoient accordez. Il fit aussi entendre au premier président que, pour peu qu'on apportât encore de longueurs ou d'obstacles à cette affaire, il feroit présenter et vérifier les lettres au grandconseil. On continua les sollicitations en son nom, et ceux qui les faisoient disoient de sa part qu'il avoit défendu à l'Académie de s'en mêler, voulant qu'elle ne reçût cette grace que de lui. Enfin le procureur général donna ses conclusions favorables, et monsieur Savarre, conseiller en la grand'chambre, entre les mains duquel les lettres avoient passé, témoigna aussi qu'il étoit très bien disposé, ajoutant même «qu'il ne croyoit pas avoir reçu un plus grand honneur, depuis qu'il étoit

dans le parlement, que de contribuer quelque chose à l'établissement de l'Académie. » Il n'eut pourtant pas cette satisfaction, car il devint malade peu de jours après, et soit qu'il y eût encore d'autres empêchemens, soit que sa maladie, qui fut longue et dont il mourut å la fin, en fût la cause, tant y a que les lettres retournèrent entre les mains de monsieur de Bernay, et ne furent vérifiées qu'un an après ou davantage, le 10 juillet 1637, avec cette clause: « A la charge que ceux de ladite assemblée et Académie ne connoîtront que de l'ornement, embellissement et augmentation de la langue françoise, et des livres qui seront par eux faits, et par autres personnes qui le désireront et voudront. »>

L'Académie, assemblée trois jours après, vouloit députer au Cardinal pour le remercier; mais il lui fit dire par monsieur de Boisrobert qu'il ne le désiroit pas, et qu'ils allassent seulement remercier monsieur de Bernay, rapporteur, monsieur le procureur général et monsieur le premier président; ce qui fut fait par les trois officiers. Ensuite monsieur du Tillet, greffier du parlement, envoya l'arrêt de vérification à l'Académie lors assemblée, le dernier juillet de la même année. Son secrétaire, qu'il en avoit chargé, fut introduit dans l'assemblée, et remercié de la part du corps par le di

recteur.

Ainsi l'Académie Françoise, bien qu'elle s'assemblât cependant et fit les mêmes conférences qu'aujourd'hui, ne fut toutefois entièrement établie que trois ans et quelques mois après qu'on eut commencé d'y travailler; car on employa depuis le mois de février de l'année 1634 jusqu'à celui de l'année suivante 1635 à lui donner la forme qu'elle devoit avoir, à dresser ses statuts et à faire sceller l'édit de son érection, et depuis

ce mois de février 1635 jusqu'à celui de juillet 1637 à faire vérifier cet édit au parlement.

Quand vous lirez cet ouvrage, je ne doute point que vous ne cherchiez avec quelque étonnement par quelle raison ou par quel caprice un corps si judicieux que le parlement de Paris consentoit avec tant de peine à un dessein, je ne dirai pas si innocent, je dirai même si louable. Mais pour mieux comprendre quelle étoit la disposition du parlement, il faut se représenter quelle étoit alors celle de toute la France, où le Cardinal de Richelieu, ayant porté l'autorité royale beaucoup plus haut que personne n'avoit fait encore, étoit aimé et adoré des uns, envié des autres, haï et détesté de plusieurs, craint et redouté presque de tous. Outre donc que l'Académie étoit une institution nouvelle, qui n'eût pas manqué d'elle-même de partager les esprits et d'avoir des approbateurs et des ennemis tout ensemble, on la regardoit comme l'ouvrage de ce ministre, et on en jugeoit ou bien ou mal suivant la passion dont on étoit prévenu pour lui. Ceux qui lui étoient attachez parloient de ce dessein avec des louanges excessives ; jamais, à leur dire, les siècles passez n'avoient eu tant d'éloquence que le nôtre en devoit avoir; nous allions surpasser tous ceux qui nous avoient précédez et tous ceux qui nous suivroient à l'avenir, et la plus grande partie de cette gloire étoit due à l'Académie et au Cardinal. Au contraire, ses envieux et ses ennemis traitoient ce dessein de ridicule, accusoient l'Académie d'inventer des mots nouveaux, de vouloir imposer des loix à des choses qui n'en pouvoient recevoir, et ne cessoient de la décrier par des railleries et par des satires. Le peuple aussi, et les personnes ou moins éclairées, ou plus défiantes, à qui tout ce qui venoit de ce minis

tre étoit suspect, ne savoient si sous ces fleurs il n'y avoit point de serpent caché, et appréhendoient pour le moins que cet établissement ne fût un nouvel appui de sa domination, que ce ne fussent des gens à ses gages, payez pour soutenir tout ce qu'il feroit et pour observer les actions et les sentimens des autres. On disoit même qu'il retranchoit quatre-vingt mille livres de l'argent des boues de Paris pour leur donner deux mille livres de pension à chacun, et cent autres choses semblables.

Et sur ce sujet, si vous me permettez de mêler les choses plaisantes aux sérieuses et d'oublier pour un peu de temps le parlement de Paris, auquel je ne manquerai pas de revenir, je puis vous faire deux contes qui serviront non-seulement à vous divertir, mais encore à vous confirmer ce que je viens de vous dire sur l'opinion que le vulgaire avoit de l'Académie.

Le premier est d'un certain marchand de Paris, qui avoit, dit-on, fait déjà le prix d'une maison assez commode pour lui dans la rue des Cinq-Diamans, où logeoit monsieur Chapelain, chez qui l'Académie s'assembloit alors. Il prit garde qu'à certains jours il y avoit grand abord de carosses; il en demanda la cause et l'apprit, et en même temps rompit son marché, sans en rendre autre raison sinon qu'il ne vouloit se loger dans une rue où il se faisoit toutes les semaines une Cadémie de Manopoleurs.

L'autre conte n'est peut-être pas moins plaisant. Pendant que nous étions au collège mon frère et moi, on nous permettoit d'aller passer tout le temps des vacations à la campagne, chez quelques-uns de nos parens, tantôt à Ondes, ce séjour aimable dont je n'oublierai jamais ni le nom ni les douceurs, tantôt en

Gascogne auprès de monsieur Dubourg, dans sa belle maison de Clermont. Ce gentilhomme, comme vous savez sans doute, avec une grande connoissance des belles-lettres et avec beaucoup d'esprit, possède une humeur si gaie et si enjouée qu'elle lui fait trouver presque en toutes choses quelque matière de raillerie, mais d'une raillerie noble et galante, qui sent son bien et sa personne de condition, comme il l'est en effet, ayant l'honneur de compter parmi ses ancêtres le fameux Anne Dubourg, conseiller au parlement de Pau, et Antoine Dubourg, chancelier de France sous le règne de François Ier. Nous étions donc chez lui, et monsieur de Fontrailles son proche voisin, celui-là même que vous connoissez, et qui depuis a eu tant de part à une des plus importantes affaires de notre temps (1), y étoit aussi. Il y vint un jeune gentilhomme nouvellement arrivé de la cour; on lui demanda (comme c'est la coutume) ce qui s'y passoit de nouveau; il répondit qu'il n'y avoit rien de plus remarquable qu'une Académie établie depuis quelques années par monsieur le cardinal de Richelieu pour la réformation du style, «Vous verrez, dit monsieur Dubourg qui ne demandoit qu'à rire, que cet homme aura inventé quelque nouveau parti contre les procureurs et autres gens du palais, pour les obliger, ou à réformer leur style, ou à financer.» Le jeune gentilhomme, qui étoit peut-être informé des mauvais bruits qu'on faisoit courir dans Paris de l'Académie, crut bonnement que son hôte pouvoit être dans quelque erreur semblable, et pour le désabuser s'efforça de lui montrer par de vives raisons que cette réformation du style ne regardoit que les poètes et

(1) La conjuration de Cinq-Mars.

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