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les orateurs. Monsieur Dubourg, voyant la plaisante pensée qu'il avoit, poursuit sa pointe, répond que le Cardinal étoit plus fin qu'on ne croyoit; que, depuis dix ans, tous les partis qu'on avoit vus avoient eu ainsi de beaux commencemens et des prétextes honnêtes, mais qu'on viendroit infailliblement des orateurs aux procureurs, qu'on les condamneroit à l'amende pour chaque faute qu'ils feroient, ou que pour s'en racheter on les contraindroit à payer de grosses taxes; qu'un nommé ***, qui étoit le sien au parlement de Toulouse, étoit ruiné : «< Car, ajoutoit-il, le moyen qu'il se réforme maintenant! Il y a trente ou quarante ans qu'il est au palais, et lors même qu'il veut faire un compliment il lui échappe toujours quelques termes de chicane. » Sur tout cela il prenoit monsieur de Fontrailles pour juge, qui ne manquoit pas d'approuver tout et de consentir à tout, ni ce jeune gentilhomme non plus de s'obstiner au contraire; ce qu'il fit durant une après-soupée entière, avec tant de zèle pour la défense de la vérité, et un tel dépit de voir de si honnêtes gens dans une opinion si étrange, que ce conte, qui vous semblera peutêtre froid en le lisant, ne me repasse jamais dans l'esprit encore aujourd'hui sans me donner envie de rire.

Or, pour revenir maintenant au parlement de Paris et à la difficulté qu'il faisoit de vérifier l'édit de l'Académie, vous ne croirez pas et personne ne s'imaginera sans doute qu'il appréhendât pour le style des procureurs. Quant à moi, voici ce que j'en pense: ce grand corps, où il y a toujours quelques personnes extraordinaires parmi beaucoup d'autres qui ne le sont pas, étoit divisé, si je ne me trompe, sur le sujet de l'Académie et du cardinal de Richelieu, par les mêmes passions et par les mêmes opinions qui divisoient tout le

reste de la France, excepté peut-être qu'il y avoit en cette compagnie moins d'affection pour lui que partout ailleurs, et que la pluspart le considéroient en euxmêmes comme l'ennemi de leur liberté et l'infracteur de leurs priviléges. J'estime donc qu'il pouvoit y avoir trois partis dans le parlement sur ce sujet : le premier, et le moindre, de ceux qui, jugeant sainement des choses, ne voyoient rien ni à blâmer ni à mépriser dans ce dessein; le second, de ceux qui, pour être ou animez contre le Cardinal ou trop attachez à la seule étude du palais et des affaires civiles, se mocquoient de cette institution comme d'une chose puérile; et de ceux-là il y en eut un (à ce que j'ai appris) qui, opinant sur la vérification des lettres, dit que « cette rencontre lui remettoit en mémoire ce qu'avoit fait autrefois un empereur qui, après avoir ôté au sénat la connoissance des affaires publiques, l'avoit consulté sur la sausse qu'il devoit faire à un grand turbot qu'on lui avoit apporté de bien loin (1). » Je crois enfin qu'il y avoit un troisième et dernier parti, qui peut-être n'étoit pas le moins puissant, de ceux qui, tenant tout pour suspect, appréhendoient tout aussi bien que le vulgaire quelque dangereuse conséquence de cette institution. J'en ai deux preuves presque convaincantes: la première, cette lettre du Cardinal où vous voyez qu'il assure le premier président que « les académiciens ont un dessein tout autre que celui qu'on avoit pu lui faire croire; » la seconde, cette

(1) Le conseiller de grand'chambre qui tint ce discours étoit monsieur Scarron, père du fameux poète de ce nom. Il donna d'autres sujets de mécontentement au cardinal de Richelieu, qui enfin l'exila et supprima sa charge en 1641.

II SÉRIE, T. VI.

(Note de l'abbé d'Olivet. )

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clause de l'arrêt de vérification, que « l'Académie ne pourra connoître que de la langue françoise et des livres qu'elle aura faits ou qu'on exposera à son jugeinent; » comme s'il y eût quelque danger qu'elle s'attribuât d'autres fonctions et qu'elle entreprit de plus grandes choses. Et c'est là, comme je pense, la cause des obstacles qu'on apporta durant deux ans à la vérification de ces lettres.

Je finirois en ce lieu cette première partie de mon travail touchant la naissance et la fondation de l'Académie; mais il me souvient que j'ai parlé en passant des satires qu'on fit d'abord contre elle, et que, pour ne rien omettre, il est à propos de vous en dire ici quelque chose, comme d'autant de circonstances de son établissement.

Le premier qui écrivit contre l'Académie fut l'abbé de Saint-Germain, qui étoit alors à Bruxelles, accompagnant la Reine mère, Marie de Médicis, dans son exil. Comme il déchiroit sans cesse par ses écrits et avec une animosité étrange toutes les actions du cardinal de Richelieu, il ne manqua pas de parler fort injurieusement de l'Académie Françoise, qu'il confondoit même avec cette autre académie que le gazetier Renaudot avoit établie au Bureau d'Adresse, soit qu'il voulût ainsi se méprendre, soit qu'en effet il ne fût pas bien informé de ce qui se passoit à Paris. L'Académie ne voulut point y répondre par un ouvrage exprès; mais monsieur du Chastelet, qui en étoit et qui répondoit alors pour le Cardinal à la pluspart de ces libelles de Bruxelles, fut prié, après la proposition qu'il en fit lui-même dans l'assemblée, d'ajouter sur ce sujet quelques lignes qui furent ensuite lues et approuvées par la compagnie. Les pièces de l'abbé de Saint-Germain contre

le cardinal de Richelieu ont été imprimées depuis à Paris en deux volumes, après la mort du feu Roi Louis XIII. Les réponses de monsieur du Chastelet étoient dans une pièce qu'il n'acheva point, étant prévenu par la mort, et qui n'a point été imprimée.

De toutes les autres choses qui ont été faites contre cette compagnie, je n'en ai vu que trois qui méritent qu'on en parle. La première est cette Comédie de l'Académie qui, après avoir couru longtemps manuscrite, a été enfin imprimée en l'année 1650, mais avec beaucoup de fautes, et sans nom ni de l'auteur ni de l'imprimeur. Quelques-uns ont voulu l'attribuer à un des académiciens même (1), parce que cet ouvrage ne se rapporte peut-être pas mal à son style, å son esprit et à son humeur, et qu'il y est parlé de lui comme d'un homme qui ne fait guère d'état de ces conférences; mais quelques autres m'ont assuré qu'elle étoit d'un gentilhomme normand nommé monsieur de Saint-Evremont. Et véritablement, si l'auteur de cet écrit étoit de l'Académie, je dirois qu'il y auroit mis plusieurs choses à dessein pour faire croire qu'il n'en étoit pas, comme quand il fait monsieur Tristan académicien, qui ne l'étoit point encore et ne l'a été que plus de dix ans après, et quand aussi il introduit le marquis de Bréval délibérant s'il doit aller à la guerre ou demeurer à l'Académie; le marquis de

(1) A monsieur de Saint-Amant. Chevreau, pag. 307 de ses Chevræana, dit que cette comédie est du comte d'Etlan, fils du maréchal de Saint-Luc. Il n'y a pas à douter qu'elle ne soit de monsieur de Saint-Evremont, puisqu'elle a été insérée après sa mort dans le recueil de ses autres ouvrages, mais remaniée, et fort différente de ce qu'elle est dans l'édition faite en 1650. (Note de l'abbé d'Olivet.)

Bréval, dis-je, qui n'en a jamais été, et duquel je ne trouve aucune mention, petite ni grande, dans les regîtres ni dans les Mémoires qui m'ont été communiquez. Cette pièce, quoique sans art et sans règles, et plustôt digne du nom de farce que de celui de comédie, n'est pas sans esprit et a des endroits 'fort plaisans.

La seconde dont j'ai à vous parler, et qui a été moins vue que les autres, est intitulée : Rôle des présentations faites aux grands jours de l'éloquence françoise. C'est comme un regître de quelques requêtes ridicules pour la conservation ou bien pour la suppression de certains mots, suivies d'autant de réponses imaginaires de l'Académie, comme par exemple : « Se sont présentez les secrétaires de saint Innocent, requérans qu'il soit déclaré que le mot de secrétaire ne peut signifier en bon françois le clerc d'un conseiller. » Réponse: «Seront sur ce faites remontrances au Roi de la Bazoche.» «S'est présenté H. Fierbras, cadet gascon, se faisant fort de tous ceux de son pays, et requérant qu'on n'ôtât pas le point à leur honneur ni l'éclaircissement à leur épée. » Réponse: «Pour ce qui est du point, soit communiqué aux professeurs des mathématiques, et pour l'éclaircissement, renvoyé aux fourbisseurs. » Quelqu'un m'a dit que ce Rôle de présentations étoit de l'auteur (1) du Francion (2) et du Ber

(1) Charles Sorel, de qui l'on a encore un autre ouvrage contre l'Académie sous ce titre : Discours sur l'Académie Françoise, pour savoir si elle est de quelque utilité aux particuliers et au public. Paris, in-12, 1564. (Note de l'abbé d'Olivet.)

(2) Le titre de cet ouvrage est: La Vraie Histoire comique de Francion, Paris, 1622-1623, in-8. Ce roman, qui a été autrefois traduit dans toutes les langues, a encore aujourd'hui quelque

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