Images de page
PDF
ePub

d'Athènes; mais il s'avisa de donner aux philosophes de son temps un jardin de quelques arpens de terre au fauxbourg de cette fameuse ville; ce lieu fut appelé l'Académie; de là est venu ce mot si connu aujourd'hui 'par toute la terre, qui fera vivre à jamais le nom et la mémoire de ce héros. Ainsi l'appelle positivement l'Histoire grecque, quoique nous ne voyions point qu'il ait rien fait d'ailleurs qui soit remarquable.

Toutes ces choses, qui n'étoient pas ignorées du cardinal de Richelieu, peuvent faire croire ce que plusieurs ont dit, qu'ayant projetté depuis longtemps de faire dans le marché aux chevaux, proche la porte SaintHonoré, une grande place qu'il eût appelée Ducale, à l'imitation de la Royale, qui est à l'autre extrémité de la ville, il y vouloit marquer quelque logement (1) com

(1) Monsieur de la Mesnardière, dans le discours qu'il fit à l'Académie pour sa réception, nous apprend plus en détail quelles étoient les vues du cardinal de Richelieu.

« J'eus de Son Eminence, dit-il, de longues et glorieuses audiences vers la fin de sa vie, durant le voyage de Roussillon, dont la sérénité fut troublée pour lui de tant d'orages. Il me mit entre les mains des mémoires, faits par lui-même, pour le plan qu'il m'ordonna de lui dresser de ce magnifique et rare collége qu'il méditoit pour les belles sciences, et dans lequel il avoit dessein d'employer tout ce qu'il y avoit de plus éclatant pour la littérature dans l'Europe. Ce héros, messieurs, votre célèbre fondateur, eut alors la bonté de me dire la pensée qu'il avoit de vous rendre arbitres de la capacité, du mérite et des récompenses de tous ces illustres professeurs qu'il appeloit, et de vous faire directeurs de ce riche et pompeox Prytanée des belles-lettres, dans lequel, par un sentiment digne de l'immortalité dont il étoit si amoureux, il vouloit placer l'Académie Françoise le plus honorablement du monde, et donner un honnête et doux repos à toutes les personnes de ce genre qui l'auroient mérité par leurs travaux. » (Note de l'abbé d'Olivet.)

mode pour l'Académie, et qu'il lui auroit même établi quelque revenu ; mais que ce dessein et plusieurs autres qu'il réservoit pour un temps plus calme et plus tranquille furent interrompus par sa mort.

Quant à la forme des assemblées de l'Académie, elle est telle elles se font en hiver dans la salle haute, en été dans la salle basse de l'hôtel Séguier, et sans beaucoup de cérémonie. On s'assied autour d'une table; le directeur est du côté de la cheminée; le chancelier et le secrétaire sont à ses côtez, tous les autres, comme la fortune ou la simple civilité les range. Le directeur préside; le secrétaire tient le regitre. Ce regitre se tenoit autrefois fort exactement jour par jour; mais aujourd'hui que le travail du Dictionnaire est la seule occupation de l'Académie, on n'en tient point que des assemblées où il arrive quelque chose d'extraordinaire et d'important. Quand le protecteur s'y trouve, il se met à la place du directeur, lequel, avec les deux autres officiers, est à sa main gauche. Il recueille les voix et prononce les délibérations comme feroit le directeur luimême. Le Cardinal n'y entra jamais, mais monsieur le chancelier y assiste souvent, et fait tout ce que je viens de dire. Ce qui est de plus remarquable, c'est qu'il a honoré cette compagnie de sa présence, non pas durant son loisir et lorsqu'il a été éloigné des affaires, comme beaucoup d'autres qui font de l'étude des belles-lettres leur pis-aller, mais au milieu même de sa faveur et de ses plus grandes occupations. Je trouve particulièrement dans les regitres qu'il y assista le 19 décembre 1643, après qu'on l'eut fait protecteur, et le 20, avril 1651, un peu après qu'on lui eut rendu les sceaux, qui avoient été donnez à monsieur de Châteauneuf; qu'alors même ce fut lui qui proposa de s'assembler deux fois la se

maine pour avancer le travail du Dictionnaire, comme je vous ai dit qu'on fait encore aujourd'hui. On lui rend aussi ce témoignage qu'en ces rencontres il est impossible d'en user plus civilement qu'il fait avec tous les académiciens, et qu'il préside avec la même familiarité que pourroit faire un d'entre eux, jusques à prendre plaisir qu'on l'arrête et qu'on l'interrompe, et à ne vouloir point être traité de monseigneur par ceux-là même de ces messieurs qui sont ses domestiques.

III.

Je viens maintenant aux occupations de l'Académie depuis son institution. Vous avez vu dans son projet qu'elle se proposoit de donner non-seulement des règles, mais encore des exemples, et d'examiner très sẻvèrement ses propres ouvrages, pour parvenir la première à la perfection où elle vouloit amener les autres. Ainsi, après le dessein du Dictionnaire, de la Grammaire, de la Rhétorique et de la Poétique, dès le second jour du mois de janvier 1635, avant même que les lettres de l'établissement fussent scellées, on fit par sort avec des billets un tableau des académiciens; on ordonna que chacun seroit obligé de faire à son tour un discours sur telle matière et de telle longueur qu'il lui plairoit; qu'il y en auroit un pour chaque semaine, commençant par la première du mois de février suivant; que ceux qui se défieroient de leur mémoire pourroient lire ce qu'ils auroient.composé; qu'on écriroit aux absens, afin que, s'ils ne pouvoient venir prononcer leurs discours, ils les envoyassent. Mais la bizarrerie du sort ayant mis aux premiers rangs quelques personnes absentes ou

qui n'étoient pas en état de s'attacher à ces exercices, on changea l'ordre du tableau en cela, et on mit en leur place d'autres académiciens présens, de ceux qui y témoignoient le plus d'inclination. Ainsi, au lieu de monsieur Maynard, qui étoit le premier dans le catalogue, on mit monsieur du Chastelet; au lieu de monsieur de l'Estoile, qui étoit le second, monsieur de Bourzeys; au lieu de monsieur Bardin, qui étoit le troisième, monsieur Godeau, maintenant évêque de Grasse (1), et au lieu de monsieur de Colomby, qui étoit le sixième, monsieur de Gombauld. Il y eut vingt de ces discours prononcez de suite dans l'Académie :

Le premier, de monsieur du Chastelet, sur l'Eloquence françoise;

Le second, de monsieur de Bourzeys (2), Sur le des

(1) On prétend que Godeau dut son évêché de Grasse au désir qu'eut le Cardinal de faire un bon mot. L'abbé lui présentant une paraphrase du cantique Benedicite, le ministre lui répondit: « Vous me donnez Benedicite, moi je vous donne Grasse (gråces). » Godeau a beaucoup travaillé. On a oublié ses poésies, qui l'avaient rendu célèbre à l'hôtel Rambouillet, où il était le nain de Julie; mais son Histoire de l'Eglise, depuis le commencement du monde jusqu'à la fin du vina siècle, en cinq gros volumes, Eloges historiques des Empereurs, ses Vies de saint Augustin, de saint Charles Borromée, recommandent cet auteur aux lecteurs modernes.

ses

« Godeau, est-il dit dans les Menagiana, III, 326, étoit parent de Conrart, fort laid et petit, mais probe. » On lit encore, dans les Mélanges tirés des Lettres manuscrites de Chapelain, le détail suivant qui fait honneur au caractère de Godeau. « On avoit jeté les yeux sur lui, y est-il dit, pour l'éducation de monsieur le Dauphin; mais le zèle qu'il avoit marqué en quelques occasions contre la morale relâchée lui fit donner l'exclusion.» Cet académicien, né en 1605 à Dreux, mourut à Vence en 1672.

(2) Bourzeis (Amable de), né à Volvic, près Riom, en 1606,

sein de l'Académie et sur le différent génie des langues. C'est celui-là même dont notre commun ami monsieur de Saint-Alby, qui nous promet depuis si longtemps une relation de ce qu'il a vu dans l'Académie della Crusca, a gardé durant plusieurs années une copie sans en savoir l'auteur, et qui, à mon avis, n'est pas un des moindres;

Le troisième est de monsieur Godeau, Contre l'Eloquence;

Le quatrième est de monsieur de Boisrobert, Pour la défense du Théâtre

Le cinquième, de monsieur de Montmor, maître des requêtes, De l'utilité des Conférences;

Le sixième est de monsieur Gombauld (1), Sur le Je ne sais quoi;

mort en 1672. Il a laissé des Sermons et a travaillé au Journal des Savans. Louis XIII lui avait donné l'abbaye de Saint-Martin de Coses. Plus tard Colbert, qui faisait le plus grand cas de son caractère et de son savoir, le mit à la tête de l'Académie des Inscriptions.

(1) Gombauld (Jean Ogier de), un des habitués de l'hôtel Rambouillet, fort connu de son temps pour des ouvrages bien oubliés aujourd'hui. C'était du reste un huguenot de grande vertu; on trouve de lui les détails suivants dans les Mélanges tirés des Lettres manuscrites de Chapelain, page 230: « Il parle avec pureté, esprit, ornement, en vers et en prose, et n'est pas ignorant de la langue latine. Depuis plus de cinquante ans il a vécu à la cour avec une pension, tantôt bien, tantôt mal payée. Son fort est dans les vers, où il paraît soutenu et élevé. » Boileau a dit de lui :

«Et Gombauld tant loué garde encor sa boutique. >>>

Richelieu disait un jour à Gombauld qu'il ne comprenait pas ses vers. Ce n'est pas ma faute, osa répondre ce poète. Il était né à Saint-Just-de-Lussac, en Saintonge, vers 1576; il mourut à Paris en 1606.

« PrécédentContinuer »