Images de page
PDF
ePub

par billets qui ne seroient vus que du secrétaire. Cela se fit ainsi, et les trois commissaires furent monsieur de Bourzeys, monsieur Chapelain et monsieur des Marests. La tâche de ces trois messieurs n'étoit que pour l'examen du corps de l'ouvrage en gros; car, pour celui des vers, il fut résolu qu'on le feroit dans la compagnie. Messieurs de Cérisy, de Gombauld, Baro et l'Estoile, furent seulement chargez de les voir en particulier et de rapporter leurs observations, sur lesquelles l'Académie ayant délibéré en diverses conférences, ordinaires et extraordinaires, monsieur des Marests eut ordre d'y mettre la dernière main. Mais pour l'examen de l'ouvrage en gros, la chose fut un peu plus difficile. Monsieur Chapelain présenta premièrement ses mémoires; il fut ordonné que messieurs de Bourzeys et des Marests y joindroient les leurs, et soit que cela fût exécuté ou non, de quoi je ne vois rien dans les regîtres, tant y a que monsieur Chapelain fit un corps qui fut présenté au Cardinal écrit à la main. J'ai vu avec beaucoup de plaisir ce manuscrit apostillé par le Cardinal, en sept endroits, de la main de monsieur Citois, son premier médecin. Il y a même une de ces apostilles dont le premier mot est de sa main propre; il y en a une aussi qui marque assez quelle opinion il avoit du Cid. C'est en un endroit où il est dit que la poésie seroit aujourd'hui bien moins parfaite qu'elle n'est sans les contestations qui se sont formées sur les ouvrages des plus célèbres auteurs du dernier temps, la Jérusalem (1), le Pastor Fido; en cet endroit il mit à la marge: «L'ap

(1) Ce furent les dissertations sur la Gerusalemme du Tasse qui occupèrent tout d'abord l'Académie de la Crusca.

[ocr errors]

plaudissement et le blâme du Cid n'est qu'entre les doctes et les ignorans, au lieu que les contestations sur les autres deux pièces ont été entre les gens d'esprit. » Ce qui témoigne qu'il étoit persuadé de ce qu'on reprochoit à monsieur Corneille, que son ouvrage péchoit contre les règles. Le reste de ces apostilles n'est pas considérable; car ce ne sont que de petites notes, comme celle-ci, où le premier mot est de sa main : Bon, mais se pourroit mieux exprimer, » et cette autre : «Faut adoucir cet exemple. » D'où on recueille pourtant qu'il examina cet écrit avec beaucoup de soin et d'attention. Son jugement fut enfin que la substance en étoit bonne, «mais qu'il falloit (car il s'exprima en ces termes) y jeter quelques poignées de fleurs.» Aussi n'étoit-ce que comme un premier crayon qu'on avoit voulu lui présenter, pour savoir en gros s'il en approuveroit les sentimens. L'ouvrage fut donc donné à polir, suivant son intention, et par délibération de l'Académie, à messieurs de Serizay, de Cérisy, de Gombauld et Sirmond. Monsieur de Cérisy, comme j'ai appris, le coucha par écrit, et monsieur de Gombauld fut nommé par les trois autres, et confirmé par l'Académie, pour la dernière révision du style. Tout fut lu et examiné par la compagnie en diverses assemblées, ordinaires et extraordinaires, et donné enfin à l'imprimeur. Le Cardinal étoit alors à Charonne, où on lui envoya les premières feuilles; mais elles ne le contentèrent nullement; et soit qu'il en jugeât bien, soit qu'on le prît en mauvaise humeur, soit qu'il fût préoccupé contre monsieur de Cérisy, il trouva qu'on avoit passé d'une extrémité à l'autre, qu'on y avoit apporté trop d'ornemens et de fleurs, et renvoya à l'heure même en diligence dire qu'on arrêtât l'impression. Il voulut enfin

que messieurs de Serizay, Chapelain et Sirmond le vinssent trouver, afin qu'il pût leur expliquer mieux son intention. Monsieur de Serizay s'en excusa sur ce qu'il étoit prêt à monter à cheval pour s'en aller en Poitou; les deux autres y furent, Pour les écouter il voulut être seul dans sa chambre, excepté messieurs de Bautru et de Boisrobert, qu'il appela comme étant de l'Académie. Il leur parla fort longtemps très civilement, debout et sans chapeau. Monsieur Chapelain voulut, à ce qu'il m'a dit, excuser monsieur de Cérisy (1) le plus doucement qu'il put; mais il reconnut d'abord que cet homme ne vouloit pas être contre dit, car il le vit s'échauffer et se mettre en action jusque-là que, s'adressant à lui, il le prit et le retint tout un temps par ses glands, comme on fait sans y penser quand on veut parler fortement à quelqu'un et le convaincre de quelque chose. La conclusion fut qu'après leur avoir expliqué de quelle façon il croyoit qu'il falloit écrire cet ouvrage il en donna la charge à monsieur Sirmond, qui avoit en effet le style fort bon et fort éloigné de toute affectation. Mais monsieur Sirmond ne le satisfit point encore; il fallut enfin que monsieur Chapelain reprît tout ce qui avoit été fait, tant par lui que par les autres, de quoi il composa l'ouvrage tel qu'il est aujourd'hui, qui, ayant plu à la compagnie et au Cardinal, fut publié bientôt après, fort peu différent de ce qu'il étoit dès la première fois qu'il lui avoit été présenté écrit à la main, sinon que la matière y est un peu plus étendue et qu'il y a quelques ornemens ajoutez.

(1) Hubert de Cérisy était un des admirateurs du Cid. Quand on lui demanda son sentiment sur cet ouvrage : « Je voudrais bien l'avoir fait,» répondit-il.

Ainsi furent mis au jour, après environ cinq mois de travail, les Sentimens de l'Académie Françoise sur le Cid, sans que durant ce temps-là ce ministre, qui avoit toutes les affaires du royaume sur les bras et toutes celles de l'Europe dans la tête, se lassât de ce dessein et relâchât rien de ses soins pour cet ouvrage. Il fut reçu diversement de monsieur de Scudéry, de monsieur Corneille et du public.

Pour monsieur de Scudéry, quoique son adversaire n'eût pas été condamné en toutes choses et eût reçu de très grands éloges en plusieurs, il crut avoir gagné sa cause et écrivit une lettre de remerciment à la compagnie, avec ce titre : A Messieurs de l'illustre Académie, où il leur rendoit graces avec beaucoup de soumission, «et des choses qu'ils avoient approuvées dans ses écrits et de celles qu'ils lui avoient enseignées en le corrigeant, » et témoignoit enfin d'être entièrement satisfait de la justice qu'on lui avoit rendue. Le secrétaire fut chargé de lui faire une réponse. Le sens en étoit qu'il l'assuroit « que l'Académie avoit eu pour principale intention de tenir la balance droite, et de ne pas faire d'une chose sérieuse un compliment ni une civilité; mais qu'après cette intention elle n'avoit point eu de plus grand soin que de s'exprimer avec modération, et de dire ses raisons sans blesser personne; qu'elle se réjouissoit de la justice qu'il lui faisoit en la reconnoissant juste; qu'elle se revancheroit à l'avenir de son équité, et qu'aux occasions où il lui seroit permis d'être obligeante il n'auroit rien à désirer d'elle. »

Quant à monsieur Corneille, bien qu'il se fût soumis avec répugnance à ce jugement, s'y étant pourtant résolu pour complaire au Cardinal, il témoigna

au commencement d'en attendre le succès avec beaucoup de déférence. En ce sens il écrivit à monsieur de Boisrobert, dans une lettre du 15 novembre 1637: « J'attens avec beaucoup d'impatience les sentimens de l'Académie, afin d'apprendre ce que doresnavant je dois suivre; jusques-là je ne puis travailler qu'avec défiance et n'ose employer un mot en sûreté. » Et en une autre du 3 décembre: «Je me prépare à n'avoir rien à répondre à l'Académie que par des remercimens, etc. » Mais lorsque les Sentimens sur le Cid étoient presque achevez d'imprimer, ayant su par quelque moyen que ce jugement ne lui seroit pas aussi favorable qu'il eût espéré, il ne put s'empêcher d'en témoigner quelque ressentiment, écrivant par une autre dont je n'ai vu qu'une copie sans date et sans souscription: «Je me résous, puisque vous le voulez, à me laisser condamner par vostre illustre Académie. Si elle ne touche qu'à une moitié du Cid, l'autre me demeurera tout entière; mais je vous supplie de considérer qu'elle procède contre moi avec tant de violence, et qu'elle emploie une autorité si souveraine pour me fermer la bouche, que ceux qui sauront son procédé auront sujet d'estimer que je ne serois point coupable si l'on m'avoit permis de me montrer innocent. » Il se plaignoit ensuite comme si on eût refusé d'écouter la justification qu'il vouloit faire de sa pièce, de vive voix et en présence de ses juges; de quoi pourtant je n'ai trouvé aucune trace, ni dans les regîtres, ni dans la mémoire des académiciens que j'ai consultez. Il ajoutoit à cela : « Après tout, voici quelle est ma satisfaction: je me promets que ce fameux ouvrage, auquel tant de beaux esprits travaillent depuis six mois, pourra bien être estimé le sentiment de l'Académie

« PrécédentContinuer »