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semble que vous ne l'eussiez pu refuser sans vous faire tort à vous-même et sans offenser ceux qui vous l'ont préparé avec tant de sagesse et de jugement. Elle croit donc que vous avez eu raison de déférer aux avis et à la prudence de ces messieurs, et que vous ne pouviez avoir de plus sûres ni de plus illustres cautions de la réparation de votre honneur que tant de personnes à qui il est plus précieux que leur propre vie, qui en connoissent parfaitement les loix, et qui, pour user de vos termes, sont très capables d'en faire de nouvelles, comme ils l'ont fait voir en cette occasion. Enfin, Monsieur, elle estime qu'un gentilhomme ne peut être traité plus glorieusement que vous l'avez été par tous ceux de votre profession, qui, dans cet accommodement, ne paroissent pas moins vos protecteurs que vos juges, et elle s'en promet un avantage particulier, qui est de vous voir bientôt ici, où elle vous témoignera elle-même combien elle loue Dieu de ce que cette affaire s'est terminée si heureusement. Mais en vous attendant, elle a jugé à propos de vous donner ce témoignage que vous avez désiré de son sentiment et de son affection, par la plume,

» Monsieur,

» De votre très humble et très affectionné serviteur,

>> CONRART. »

C'est là, si je ne me trompe, tout ce qui a été écrit jusques ici à l'Académie Françoise ou qui a été fait en son honneur. Mais comme j'étois en cet endroit de ma relation, il est arrivé une chose qui mérite d'être ajoutée, et qui vous témoignera en quelle estime est aujourd'hui cette compagnie dans les pays étrangers. Les

Intronati de Sienne se vantent qu'un homme de savoir, nommé Thomas, de la ville de Bergue, en Norvége, envoyé par son prince pour rechercher les plus grandes raretez de l'Italie, vint exprès dans leur ville, avec des lettres de recommandation du fameux Vicenzo Pinelli, de Padoue, pour voir leur compagnie et emporter leurs statuts. L'Académie Françoise a reçu ces jours passez un honneur qu'on peut estimer encore plus grand; le baron Spar, grand seigneur de Suède, lui fit témoigner par monsieur Tristan qu'il désiroit de la saluer, et, ayant été introduit, il lui fit son compliment, comme je le trouve dans les regîtres, en termes non-seulement fort purs et fort françois, mais encore fort élégans. Il. assura ces messieurs et de la passion qu'il avoit eue de voir leur assemblée, comme une des choses les plus remarquables de Paris et du royaume, et de l'estime particulière que la Reine sa maîtresse faisoit de leur corps, dont elle ne manquoit jamais de demander des nouvelles à tous ceux qui retournoient de France en Suède (1). Le directeur répondit pour tous, comme le méritoit la civilité de ce seigneur et les rares qualitez

(1) En 1658, après son abdication, la Reine Christine vint ellemême rendre visite à l'Académie, qui s'assemblait alors chez le chancelier Séguier. Comme elle ne s'était pas fait annoncer, les académiciens lui furent diverses pièces de leur composition quiTM n'avaient aucun trait à la circonstance, et même le hasard servit celle-ci assez mal; comme on montrait à la Reine l'essai du Dictionnaire, on tomba sur le mot jeu où se trouvait cette citation qu'on lut: Jeux de prince, qui ne plaisent qu'à ceux qui les font. Christine fut la première à rire, probablement comme n'étant plus aussi intéressée dans la question.

On peut consulter sur cette visite de Christine à l'Académie le tome II des OEuvres de Patru, page 512, édition de Paris, 1732,

de cette auguste princesse, qu'on peut appeler avec raison l'ornement de notre siècle et la principale gloire des belles-lettres. Le baron, qu'on avoit fait asseoir à main gauche du directeur, en la place du secrétaire qui étoit absent, assista encore à la lecture d'une ode d'Horace, traduite par monsieur Tristan; après quoi il se retira, et fut reconduit par les officiers, suivis des autres académiciens, jusques à la porte de la salle, où messieurs de Racan et de Boisrobert avoient été le recevoir avec monsieur Tristan.

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V.

Me voici enfin à la dernière partie de mon travail, qui regarde les académiciens en particulier. J'y observerai cet ordre premièrement, je dirai en quel temps et en quelle occasion chaque académicien a été reçu dans la compagnie, depuis son premier établissement; puis je parlerai séparément de ceux qui sont déjà morts, et enfin j'ajouterai quelque chose des vivans.

Je les appelle académiciens parce qu'ils ont euxmêmes choisi ce nom en l'assemblée du 12 février 1635, celui d'académistes qu'on proposoit aussi, ayant été rejetté à cause des autres significations qu'il a d'ordinaire.

Je vous ai dit au commencement que ceux qui donnèrent naissance à l'Académie par leurs assemblées secrètes et familières furent monsieur Godeau, maintenant évêque de Grasse, monsieur de Gombauld, monsieur Giry, monsieur Chapelain, messieurs Habert, monsieur Conrart, monsieur de Serisay et monsieur de Malleville. A ceux-là se joignirent messieurs Faret, des Marets et de Boisrobert. Depuis, lorsque le Cardinal en voulut former un corps, on y ajouta plusieurs per

sonnes à la fois, qui furent monsieur de Bautru, monsieur Silhon, monsieur de Sirmond, monsieur l'abbé de Bourzeys, monsieur de Méziriac, monsieur Maynard, monsieur Colletet, monsieur de Gomberville, monsieur de Saint-Amant, monsieur de Colomby, monsieur Baudoin, monsieur de l'Estoile et monsieur de Porchères-d'Arbaud, sans que l'absence de quelques-uns de ces messieurs les empêchât de recevoir cet honneur. Alors on commença à faire des assemblées réglées et à tenir un regître qui justifie en quel temps chacun des autres académiciens a été reçu.

Le premier fut monsieur Servien, alors secrétaire d'Etat, depuis plénipotentiaire et ambassadeur pour la paix à Munster (1), et ministre d'Etat, dont il est ainsi parlé dans le regître du 13 de mars 1634 : «L'Académie, se tenant honorée de la prière que monsieur Servien, secrétaire d'Etat, lui a fait faire d'y être admis, a résolu qu'il en sera remercié et qu'on l'assurera qu'il y sera reçu quand il lui plaira. » Il y vint ensuite le 10 d'avril, s'excusa de n'y avoir pas assisté plustôt sur les affaires importantes ausquelles il étoit occupé, fit son compliment à l'Académie et en reçut la réponse par la bouche du directeur; mais je passe en deux mots toutes ces choses pour n'être pas excessivement long.

Le même jour 13 de mars 1634, auquel on proposa monsieur Servien, monsieur de Boisrobert fit voir une

(1) Servien fut envoyé, comme on sait, avec le comte d'Avaux à Munster, pour y préparer le traité de Westphalie. On peut consulter avec profit, sur cette mission diplomatique, deux histoires des négociations de Westphalie, l'une écrite par le Père Bougeant, français et catholique, l'autre par Seniller, protestant et étranger. Servien mourut en 1609; il avait alors la charge de surintendant des finances.

lettre qu'il écrivoit de son chef à monsieur de Balzac. Il l'avertissoit du dessein de monsieur le Cardinal pour l'établissement de l'Académie, ajoutant que « s'il désiroit d'y être admis, il pouvoit le témoigner à la compagnie par ses lettres, et qu'il ne doutoit point qu'elle ne le lui accordât volontiers en considération de son mérite. » On en usa ainsi pour exécuter une résolution qu'on venoit de faire de ne recevoir personne qui ne l'eût fait demander; ce qu'on observe encore aujourd'hui. Je ne vois pas dans le regître ce qui suivit ; mais infailliblement monsieur de Balzac sur sa réponse fut reçu peu de temps après dans l'Académie; et je trouve qu'en l'année 1636 il y lut quelque partie de son Prince (1), qu'il nommoit alors le Ministre d'Etat.

Monsieur Bardin, qui étoit du nombre de ceux sur lesquels on avoit jetté les yeux au commencement, fut reçu ensuite, après qu'il se fût excusé de quelque froideur qu'on l'accusoit d'avoir témoignée et qu'il eût assuré la compagnie du déplaisir qu'il ressentoit des mauvais discours qu'on avoit tenus de lui.

Ceux qui furent reçus les premiers après celui-là sont monsieur de Boissat, monsieur de Vaugelas, monsieur de Voiture et monsieur de Porchères-Laugier. Mais à la réception de ce dernier, qui avoit été proposé par monsieur de Malleville, il fut fait deux règlemens que je ne dois pas omettre le premier, qu'à l'avenir on opineroit sur les élections par billets et non pas de vive voix, comme on avoit fait jusques alors; le second, qu'on ne recevroit plus d'académicien qui n'eût été

(1) Le Prince, le Socrate chrétien, l'Aristippe, etc., ont été réunis, sous le titre d'OEuvres diverses, dans une édition de Leyde, 1651, in-24.

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