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REMONSTRANCE TRÈS HUMBLE

A MONSEIGNEUR L'ILLUSTRISSIME

ARCHEVESQUE DE PARIS.

Sa Majesté la Reyne régente ayant esté touchée, d'un sentiment aussi pieux que royal, de la nécessité publique, et cognoissant qu'il n'y a rien qui l'augmente davantage que le malheureux remède où elle est obligée de recourir, qui est l'usure; et sachant aussi que cette usure se multiplie tellement que, si on n'y donne un prompt remède, ce sera une contagion générale par tout l'Estat, veu que l'abus est venu jusque-là que non-seulement une infinité de familles particulières la pratiquent en secret, mais qu'il y a des bureaux où on en fait un commerce public; que ces particuliers font payer deux sols par escu d'intérêt par mois sur des

gages, et un sol par escu pour celuy qui le porte, le tout sans aucun tesmoin que leur mauvaise conscience, au danger visible d'une grande perte pour les propriétaires, desquels les gages sont vendus rigoureusement et sans remise à faute d'estre promptement retirés ;

Et que, pour les bureaux publics où on preste aussi de l'argent sur des gages, on extorque l'intérest par advance des trois sols d'enregistrement sur chaque gage, et de plus six deniers encore par livre, lorsqu'on les vend; et que, comme il paroist par les plaintes de plusieurs personnes qui seront nommées cy-après, on y commet une infinité d'autres friponneries indignes, on y prend souvent les gages, on les vend devant le temps, on contraint les nécessiteux de faire de grands présens aux officiers pour ne point languir entre leurs mains, et par toutes ces pratiques les intérests montent à des six vingts pour cent et plus;

Pour ces raisons, Sadite Majesté n'a pas voulu seulement employer sa charité, mais elle a employé la grandeur de sa prudence et de sa piété pour faire que ce remède fust tel qu'il peust tout ensemble soulager cette nécessité et détruire le vice dont cette mesme nécessité est innocemment l'origine.

Et sçachant que les Papes, et mesme les conciles généraux, ayant eu autrefois le mesme dessein, avoient, après beaucoup de méditations et de délibérations saintes là-dessus, jugé que l'établissement des Monts (qu'ils appellèrent de piété) est l'unique et la plus heureuse voye qu'on peut employer pour cela; que pour cette raison ils les avoient establis avec joye en beaucoup d'endroits de l'Italie, où ils ont tousjours heureusement subsisté depuis qu'ils les avoient remplis de dons temporels et chargés de bénédictions spirituelles; que le concile de

Latran avoit commandé aux prédicateurs d'en publier l'utilité aux peuples, et fulminé anathème contre celuy qui en blasmeroit l'institution; que le concile de Trente a encore ordonné depuis qu'on les visite comme des lieux saints aux bonnes festes;

De plus, que les cendres de la feue infante archiduchesse Isabelle, tante de Sa Majesté (le miracle de la piété et de la vertu), reçoivent encore à présent mille bénédictions des peuples qu'elle a gouvernez pour leur avoir en son temps procuré ce pieux establissement, et que les villes où il y a de ces Monts en ont esté si satisfaites que, estant tombées sous l'obéissance du feu Roy d'heureuse mémoire, elles l'ont supplié très instamment de les vouloir conserver, comme Arras, Nancy et Sedan;

Sadite Majesté a creu qu'elle ne pouvoit pas errer en suivant de si grands exemples et des approbations si infaillibles, et ainsi, par l'advis de Son Altesse Monseigneur le duc d'Orléans, de Monseigneur le prince de Condé, et autres princes et seigneurs de la couronne, elle a fait expédier et sceller des lettres patentes pour l'establissement des Monts-de-Piété, non-seulement en sa bonne ville de Paris, mais dans toutes les principales de son obéissance.

L'utilité en commencera par les plus pauvres, ausquels on ménagera un prest gratuit; elle s'estend à tous autres nécessiteux de toute condition. L'affermissement du commerce y est compris, et de plus on espère, après quelque temps de cedit establissement dans les villes et places maritimes, qu'on trouvera moyen de nourrir plus de cent mille ames par l'agrandissement d'un traffic que la France n'a pas encore pratiqué et dont les autres nations sont en possession. On s'est dis

pensé d'en parler plus particulièrement, afin que ces advantages puissent estre procurez aux sujets du Roy sans que les autres nations les en empeschent.

Ceux que Sa Majesté a choisis pour estre surintendans de cet establissement sont soumis à la surveillance particulière des premiers princes de la couronne, et leur administration doit avoir les mesmes règles, la mesme méthode, la mesme conduite et les mesmes principes de tous les autres. On ne leur donne que les mesmes droits qui leur ont esté accordez, comme il paroist par plusieurs actes imprimez, et s'offrent de les diminuer, au soulagement du public, aussitost que les grandes despenses qu'il leur faut pour les bastimens et pour une infinité d'autres choses nécessaires dans leur commencement le pourront permettre; de quoy ces princes mesmes doivent estre les juges. Et la seule différence qu'il y a est que les susdits surintendans ont demandé moins de privilége que ceux des autres, et se sont soumis à des obligations plus grandes, comme entre autres à ce prest gratuit aux pauvres de la bonne ville de Paris, quoiqu'ils n'aient autre raison, pour se persuader qu'ils en seront capables, que leur zèle d'appliquer toute leur industrie et économie pour faire réussir un si charitable dessein, qui sera tout particulier à la France, ne se pouvant prouver que ceux qui ont estably les dixsept Monts-de-Piété de Brabant et de Flandres, et les autres vingt-deux de Liége, d'Aix, de Nancy, d'Arras et de Sedan, l'ayent jamais fait, quoique le prix de toutes choses y soit moindre, que l'argent et le change y soient plus bas, et que par conséquent les bastimens y soient à meilleur marché, aussi bien que les alimens et les gages des officiers.

Ces susdits Monts de Brabant et de Flandres n'ont

pu en vingt-huit ans diminuer leurs premiers droits de trois deniers par livre que d'un denier seulement, et cette impossibilité a paru à ceux qui en ont esté et sont les protecteurs et surveillans, encore que l'illustrissime archevesque de Malines eust fait don au Montde-Piété de Bruxelles de cent mille livres, et monsieur Pequins, chancelier de Brabant, de cinquante mille livres, que d'autres personnes pieuses eussent augmenté les fonds gratuitement, et aidé au payement des mai

sons.

C'est pourquoy les intendans que Sa Majesté a nommez pour faire maintenant cet establissement en France se persuadent que leur entreprise est beaucoup plus difficile, en ce que personne ne s'est encore offert d'y faire aucuns fonds gratuitement, que toute cette masse d'argent, laquelle y est nécessaire, tant pour faire achapt des maisons et magasins, et les approprier à l'usage des Monts-de-Piété, que pour payer les gages et salaires des officiers, doit estre prise à intérests, tel que les négotians le voudront prester, y engageant euxmesmes les premiers leur substance. Et pour cette raison, comme, à l'exemple de ces autres susdits, ils s'asseurent assez de la possibilité de cet establissement, ne croyant pas avoir moins d'industrie que les Flamands, qui sont arrivez où ils en sont par des commencemens assez médiocres, aussi, à leur mesme exemple, ils croyent estre obligez en conscience de ne se point précipiter et ne présumer pas de faire inconsidérément un édifice qui ait des colonnes trop foibles, qui leur retombe sur le dos par le trop de charge, et ruine (avec eux) quantité de gens de bien qui s'y seront engagez. Mais, pour satisfaire encore davantage le public, ils se sont soumis à l'examen de surveillans et de juges. Ils

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