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longtemps que les directeurs les jugent à propos et nécessaires; qu'aussi ce sont les grosses sommes que les nobles, les négotians et les marchands empruntent qui hastent à faire les fonds des Monts en faveur des pauvres, et qu'il n'est pas juste que, puisqu'on leur peut faire du bien par cette voye-là bien promptement, on fasse languir les nécessiteux des siècles entiers, en l'attente que des personnes pieuses puissent estre meues à faire gratuitement les fonds nécessaires pour cet establissement, de mesme que ce seroit une cruauté plustost qu'un bienfait de laisser croupir dans des endroits innondez de milliers de personnes qui y auroient l'eau jusqu'aux genoux, en attendant que les riches eussent fait un fonds gratuit pour faire épuiser cette eau, s'il estoit possible de les ayder par une voye plus prompte.

Encore moins semble-il estre de la charité publique qu'on doive plustost souffrir en France la continuation de l'extortion, laquelle se pratique sur les nécessiteux par les fréquentes et excessives usures, que d'approuver les mesmes remèdes que la saincteté de l'Eglise y ait apportez depuis quelques siècles, les mesmes remèdes ayans esté examinez par des archevesques et prélats dont la vie est très exemplaire, et dont la probité a esté recognue, non-seulement en Brabant et en Flandres, mais dans toutes les terres du prince électeur de Cologne, où les ordonnances de l'Eglise romaine sont receues avec toute sorte de respect. Aussi il semble qu'il n'y a pas beaucoup d'apparence que, puisque cet establissement est le remède d'un grand mal, on ne le puisse employer sous prétexte qu'il doit coûter quelque chose, et que tant de vertueux et religieux princes ayent commis un crime pour l'avoir mis en pratique.

Or, comme c'est aux théologiens proprement qu'il appartient de persuader la charité, et que le chevalier Gerbier ne doute point que ceux de la Faculté de Paris n'excellent en cette vertu aussi bien qu'en leur doctrine, il a une très grande confiance qu'ils attireront sur eux les mesmes bénédictions de la part des de France que ceux de Louvain ont attirez de la part de ceux de Flandres, en approuvant qu'on donne un si notable soulagement à leurs nécessiteux.

pauvres

Et comme il sçait aussi les sentimens respectueux qu'ils ont tousjours eus pour le Sainct-Siége, il croit qu'une institution qui a pour premiers autheurs les Papes et les Conciles leur sera en quelque façon considérable, et qu'il leur semblera rude de dire que des princes catholiques, qui n'ont marché que sur leurs vestiges, soient morts dans la malédiction de Dieu pour s'estre procurez par ces voyes-là les bénédictions de tous leurs peuples. Que si leur piété et un zèle très louable les fait appréhender que quelques personnes, estant mues de faire du fonds aux Monts, oublieront à contribuer comme de coustume à l'entretien des monastères et des hospitaux, ils peuvent considérer que cet inconvénient n'a point encore paru en aucun endroit où les Monts-dePiété ont esté establis.

Il répète encore y avoir moins de raison et de justice (en ce siècle pervers et si misérable que la charité est extremement refroidie, et que les prédicateurs se tuent presque en chaire à persuader la piété) d'attendre qu'il y eust un fonds de milliers d'argent gratis pour commencer à faire cet establissement, puisque cela n'arriveroit peut-estre jamais, outre que, par la bulle de Jules Pape troisième, il paroist clairement que le Mont-dePiété érigé à Vicence en Italie en l'an 1500, confirmé et

approuvé par justice, estoit mixte, en ce que partie du capital estoit d'argent pris à intérest, et qu'au-dessus de l'intérest se prenoient les frais, tant dudit argent que des officiers et autres dépendances nécessaires, comme il est tesmoigné par Navarrus, traictant des usures, et par Paulus Comitulus, lib. 3, Responc. moral., quest. 35, et par Vincent et Filliucius, de ce temps professeur en théologie à Rome.

Certes on ne peut nier que l'utilité de cette institution ne soit très manifeste, et que, comme dès l'ouverture des Monts-de-Piété s'abolit l'extortion des Lombards publics, par conséquent aussi doivent cesser toutes les mauvaises pratiques d'un nombre infini de particuliers qui remplissent leurs greniers et leurs chambres de meubles, de vaisselle d'argent, et leurs cabinets de joyaux, de pierreries, etc., dont l'intérest ne fait que remplir leur bource, et dont rien ne revient aux pauvres, qui ont le plus grand intérest aux Montsde-Piété, et en faveur desquels tout ce soin est pris.

Messieurs les docteurs de la Faculté verront, s'il leur plaist, dedans ce peu de lignes suivantes, un petit sommaire de tout cet exposé, qui est soumis avec toute sorte de respect et à la profondeur de leur doctrine et à l'équité de leur censure:

1° Que les droits des Monts-de-Piété que Sa Majesté a ordonné d'estre establis sont les mesmes que tous les autres ont eu en leur commencement;

2° Que ces premiers droits (qui ne font que la huictiesme partie des intérests que les Lombards, et la pluspart des presteurs sur gages, extorquent des nécessiteux, quand ils prennent intérest sur intérest, et ledit intérest par advance) se doivent payer tant pour faire les premières despences que pour faire le fonds sur lequel les

pauvres doivent estre secourus et les plus nécessiteux soulagez des grands intérests;

3° Que ces fonds-là, en faveur des pauvres (par le ménagement desdits droits), sont payez par les plus grands et les moins pauvres, comme on voit par expérience qu'en tous les Monts les cabinets et appartemens y sont remplis de leur vaisselle, de leurs meubles et de leurs joyaux, et qu'ainsi ce qui revient desdits droits est comme un don qu'ils font au public, à qui ce fonds appartient, et qui, par conséquent, peut en quelque sorte tenir nature d'aumosnes;

4° Que ces premiers droits aussi doivent diminuer à mesure que les directeurs et juges verront qu'il sera possible, pour les régler après à tel prix qu'ils trouveront estre juste, tant pour subvenir aux continuelles et nécessaires despences que pour indemniser les Monts :

Premièrement, de la perte inévitable qu'ils doivent porter de l'intérest de l'argent qu'il leur peut demeurer souvent inutile en caisse ;

Secondement, par le rabais des monnoyes;

Tiercement, par la pourriture des habits ou autres meubles, et l'infection, laquelle peut causer un dommage extreme ausdits Monts;

Quatriesmement, par la satisfaction que les Monts sont obligez de donner à ceux dont les gages auront esté dérobez, et sur lesquels par mesgarde les officiers auront presté argent après en avoir esté advertis, comme aussi par la perte de quelque gage de pris dont le Mont est responsable.

Et considéreront aussi, s'il leur plaist, que l'establissement des Monts qu'on propose mérite le nom de Piété à plus juste titre encore que beaucoup d'autres, qui ont pourtant receu des bénédictions de beaucoup de

peuples, puisqu'on se fait fort de faire un prest gratuit aux pauvres jusqu'à la somme d'un escu, ce que n'ont pas encore fait ces autres, quoyqu'ils ayent receu des dons, comme, celuy de Bruxelles, cent mil livres de l'archevesque de Malines, cinquante mil livres du chancelier de Brabant, etc., et que personne ne se soit encore offert d'en faire pour ceux-cy; que, par conséquent, tous les fonds en doivent estre pris à intérest, et que sur iceluy on doive faire les premières grandes et nécessaires despenses, comme l'achapt d'héritages, les bastimens, l'érection des magazins, appropriement des places à l'usage desdits Monts, etc.;

Finalement, que cette institution enferme celle d'un grand commerce très utile au prince et à tout l'Estat, et qui n'est nuisible à personne, et par lequel beaucoup de milliers d'ames pourroient estre nourries; que cela estant, et les premiers fondemens n'en devant estre jetés que par des droits fort modérez et tout-à-fait volontaires, et qui ne se recueilleront pas sur ceux qui seront les plus nécessiteux, il semble qu'on ne peut en retarder l'establissement avec charité.

Que si, par le commerce industrieux et par la diligente conduite de ceux qui y mettront la main, il s'accroist aux Monts un fonds considérable pour les pauvres, et que ce fonds change tost de nature, que de fonds fait d'argent pris à intérest il devient franc par le bon ménage, et assez considérable pour faire prest gratuit, non-seulement d'un escu à la fois, mais de deux, trois, quatre ou cinq; comme, en tel cas, la diligence, l'industrie, les soins et les peines de ceux qui seront les administrateurs des Monts, ne peut estre qu'extremement louable, on doit croire avec tout humble respect que les directeurs, qui doivent estre continuels, et qu'on II SÉRIE, T. VI. 16

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