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LES

CONSULTATIONS CHARITABLES

POUR LES MALADES.

A monseigneur de Noyers, secrétaire d'Estat.

MONSEIGNEUR,

Il y a des principes de connoissance tellement universels qu'ils ne reçoivent point de doute, et des choses qui se suivent si nécessairement qu'il ne faut laisser agir que le sens commun, voire les choses mesmes; elles se porteront de leur seul mouvement à ce qui leur est propre. Ainsi l'aiguille aimantée tend de soi-mesme

vers le nord, la pierre se porte à son centre; le malade n'a pas besoin de maistre pour lui apprendre à désirer la santé. Ainsi, Monseigneur, ceux qui se vouent à quelque action de piété, cherchans une puissante protection, n'ont point besoin d'autre enseignement que de la voix publique pour sçavoir qu'ils doivent recourir à la vostre. Cette voix du peuple leur apprendra que, depuis le premier moment auquel le seul mérite attacha la sphère de vostre activité à l'intelligence qui fait icy tout mouvoir par vostre lumière et ses influences, vous avez si heureusement joingt les affaires d'Estat avec celles de la religion, et tellement uni le ciel à la terre, que le zèle et la piété, l'ame de toutes vos actions, en sont devenues inséparables. C'est pourquoy, ayant à soulager les pauvres malades, le plus commun objet de vos soins, je n'ay pu avoir d'autre pensée que de vous rendre le protecteur d'une si saincte et si charitable entreprise. Vous verrez, Monseigneur, en l'escrit cy-joint, une espèce de charité qui égale le traitement des pauvres et plus misérables personnes à celui des grands, si douze ou quinze médecins consultans ordinairement pour eux, et leur faisans fournir gratuitement leurs remèdes, peuvent suffire à ce traitement, comme il y a bien de l'apparence, puisqu'un ou deux' seulement en traitent ailleurs douze ou quinze cens. Et pour ce que ce seroit douter de cette ardente piété et charité dont tout le monde est tesmoing que de vous la vouloir persuader, à vous, di-je, Monseigneur, dont l'exemple y encourage si fort tous les autres, il me suffira de vous dire que de l'approbation que vous apporterez à ce bon œuvre dépend la vie et la santé d'un nombre infini de malades, dont les vœux joints aux nostres vous souhaitent la continuation de toute sorte de pros

péritez temporelles et éternelles ; cependant qu'en mon particulier je demeure,

>> Monseigneur,

» Vostre très humble, très fidèle et très

obéissant serviteur,

» RENAUDOT.>>

Comme il n'y a point de conclusion plus universellement approuvée de tous les peuples et religions du monde que celle-cy, qu'il faut soulager les pauvres, ainsi faut-il renoncer à l'humanité pour en réprouver le dessein; et pour ce que de toutes les professions destinées au bien et soulagement des hommes il n'y en a point de plus nécessaire que la médecine, comme ayant esté créée de Dieu pour remédier à leur plus pressante nécessité, qui est la maladie, c'est pourquoy, tandis que je minute en mon esprit les moyens de réduire en pratique les règlemens approuvez pour soulager toute sorte de pauvres, je tens l'une de mes mains aux malades, et invite de l'autre tous ceux qui me peuvent aider en ce charitable projet; le succez duquel a desjà tellement respondu à ce que je m'en estois promis qu'il y a grande apparence que Dieu authorize de ses saintes bénédictions une si louable entreprise. Car encore que les pauvres malades ayent tousjours receu de moy l'assistance gratuite qu'ils m'ont demandée, si est-ce qu'ayant vaqué plus assidument depuis trois mois à consulter pour leurs maladies je puis assurer qu'il ne s'est renvoyé depuis ce temps-là aucun, non-seulement sans l'ordonnance des médecins fameux qui ont voulu exercer chez moy cette charité, mais encor sans qu'on leur ayt fourni de quoy payer les remè

des ordonnez quand ils l'ont désiré ou qu'il est venu à nostre connoissance qu'ils en ont eu besoin. Nonobstant laquelle charité il se trouve de l'argent de reste de la largesse des malades qui ont voulu contribuer quelque chose pour les pauvres, ceux qui viennent chercher céans assistance en leurs maladies estans de trois sortes : les uns riches et accommodez, lesquels, après avoir receu le conseil que leur ont donné par escrit tant de gens d'honneur, qu'ils voyent présens, ou qu'estans absens ils ont envoyé consulter sur un mémoire contenant le récit de leur mal et des remèdes qui leur ont esté administrez, sans dire leur nom, qui ne sert de rien à la guérison des maladies, ces premiers exercent fort volontiers libéralité de quelque chose qu'ils destinent à faire médicamenter les pauvres, qui n'est pas la moitié de ce que leur cousteroit ailleurs une consultation. Les autres sont si peu accommodez qu'ils n'ont pas moyen de faire aucune charité; toutesfois leur pauvreté ne va pas jusques à avoir besoin d'aumosnes, et n'est pas telle qu'ils ne puissent avoir de quoy payer à leur apotiquaire et chirurgien les remèdes qu'on leur aura ordonnez; et ceux-là s'en retournent avec leur ordonnance, sans faire aucune charité ny en recevoir d'autre que celle du conseil qu'on leur a donnė; mesmes offrent souvent de donner aux autres pauvres quelque tesmoignage de leur reconnoissance, laquelle on refuze lorsque leur incommodité est connue, encor qu'il s'en trouve quelques-uns de cette seconde sorte qui donnent malgré nous quelque petite aumosne, sur l'opinion que leur charité redoublera la bénédiction de Dieu sur les remèdes qu'on leur a ordonnez. Les troisièmes sont pauvres mendians, ou qui sont retenus de mendier par la seule honte; lesquels avec l'ordonnance

reçoivent, ou leur chirurgien ou apotiquaire pour eux, la somme à laquelle on a composé pour leurs remèdes, les faisans ressouvenir qu'ils travaillent pour des pauvres, sur lesquels ils se doivent simplement indemniser de leur déboursé. En quoy j'ai véritablement à me louer du zèle et affection que les maistres apotiquaires et chirurgiens de cette ville ont tesmoigné en toutes les occasions qui se sont présentées de servir les pauvres, n'y en ayant aucun qui ne se soit volontairement offert à contribuer gratuitement sa peine et son industrie à ce bon

œuvre.

Voilà ce qui se passe en nos consultations, desquelles je laisserai raconter le succez à ceux qui en ressentent tous les jours le soulagement, me contentant d'inciter tous ceux auxquels Dieu a fait la grace de pouvoir aider de leurs conseils, secours et assistance, les pauvres malades, de se trouver céans le mardi de chaque semaine à deux heures après midi; à laquelle heure se commencent les consultations pour ceux qui en ont besoin, selon l'ordre qu'ils sont arrivez, qui s'y trouvent quelquesfois en telle affluence que les médecins consultans sont contraints de se partager en deux ou trois bandes, afin de leur donner plus prompt secours, sans faire attendre leurs ordonnances, qui se font seulement en latin, et se mettent par le malade, ou celui qui est là de sa part, entre les mains de son chirurgien ou apotiquaire pour l'exécuter, d'autant qu'on a reconnu par une infinité d'expériences qu'il se commet journellement de grandes fautes dans le choix, préparation et administration des médicamens et opérations, pour faciles qu'elles paroissent, par ceux qui n'y ont pas esté instruits de longue main; fautes souvent irréparables, et non moins périlleuses aux malades que préju

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