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aborda facilement un des gallions, avec lequel ayant esté plus de demi-heure aux coups de mousquet, il le laissa combattre contre le sieur de Bayart-Marsac, et depuis contre le sieur de la Montade, qui le prit, pour continuer sa route sur l'amiral d'Espagne qui gagnoit chemin. Il employoit une telle ardeur à cette poursuite qu'il témoignoit bien avoir une forte passion d'emporter cet amiral ennemi qui fuyoit; mais ayant esté contraint d'essuyer le feu de toute l'armée des ennemis, qui le dégréèrent de deux de ses husniers et de la pluspart de ses manœuvres, et la nuit arrivant après douze heures de combat, il ne fut pas en son pouvoir de l'aborder pour le combattre encore une fois, non plus qu'au sieur de la Roche-Alart de joindre l'amiral de Dunkerque, avec lequel il avoit esté longtemps aux coups de mousquet.

Ce duc ne perdoit point l'espérance de renouveler le combat dès le poinct du jour, et pour cet effect il donna ses ordres pour faire rassembler son armée, amariner les prises et raccommoder les vaisseaux; mais les ennemis ne voulant pas éprouver encore une fois la valeur qu'ils avoient si fort redoutée tout le long du jour, ils firent force de voiles pendant la nuict, gagnèrent le port de Carthagène, à l'emboucheure duquel huict de leurs vaisseaux coulèrent à fond à la veue du duc de Ferrandine, qui les estoit allé recevoir avec quatorze gallères pour les mettre à couvert de l'orage qui les menaçoit.

Cette retraite faisant donc perdre au duc de Brezé toute espérance d'engager encore une fois au combat la flotte ennemie, et d'ailleurs le vent ne secondant pas ses désirs, il fut contraint de relascher aux isles d'Yvice et de Fromentières, d'où il renvoya à Toullon six de ses vaisseaux trop endommagez pour tenir la mer. Le nom

bre des prisonniers qu'il avoit faits en cette bataille se montant à mil soixante et quatorze, parmy lesquels estoient cent vingt-cinq officiers, avec le nepveu de dom Martin Carlo, général de l'armée d'Espagne, il les départit sur tous les vaisseaux également, afin de prévenir les desseins qu'ils eussent pu faire si l'on n'en eust fait que deux ou trois bandes.

Quoyque l'abry de Carthagène fist désespérer ce général françois d'une plus grande exécution dessus cette flotte ennemie, il ne laissa pas toutesfois de se remettre en mer peu de temps après pour la rencontrer au détroit, au cas qu'elle voulust aller prendre sa revanche sur une escadre qui retournoit du Ponant sous les ordres du sieur de Montigny; mais un capitaine sorty des costes de Portugal sur un vaisseau d'Angleterre l'ayant asseuré que cette escadre avoit desjà passé le détroit, il la creut hors du danger de la rencontre de la flotte espagnole, et sur cette pensée il fit voile vers Toutouan, par l'avis du commandeur des Gouttes et des autres capitaines de son armée.

Cette route avoit deux fondemens pour appuyer le conseil de ces capitaines; ils vouloient encore une fois choquer la flotte espagnole si ses voiles se tournoient vers Cadis pour s'y retirer; l'autre but estoit d'eschanger quelques passagers de Fez pour la Mecque, pris quatre jours auparavant avec soixante et quatre Turcs, contre des François retenus esclaves dans ladite place de Toutouan. Le premier dessein n'eut aucune suitte ; l'autre fut exécuté avec tous les avantages que ce général pouvoit souhaitter. Quelques galères d'Alger ayans en ce mesme temps pris deux fluttes françoises que l'on renvoyoit à Toullon, dont les hommes avoient esté vendus en plein marché, le duc de Brezé, qui fut averty de

ce procédé, fit aussi déclarer de bonne prise quelques vaisseaux de cette mesme ville pris par luy sur les mers d'Espagne, et, ne se pouvant encore contenter, résolut d'aller jusques-là, tant pour demander justice de cet outrage que pour recognoistre la place et son port. Mais son dessein ne réussit point; le bascha et le divan estans asseurez qu'il n'estoit pas en estat de rien entreprendre contre eux, parce qu'il commençoit à manquer de vivres, ils refusèrent de rendre ce qu'ils avoient pris; de sorte qu'il fut contraint de quitter la rade au bout de deux jours et de faire voile à Toullon, où s'estant finalement rendu après des orages qui dissipèrent toute sa flotte par l'espace de quinze jours, il y trouva l'escadre de Montigny avec six navires pris en Sardaigne après avoir porté à Bineros le duc de TerreNeufve et quelque infanterie espagnole.

Voilà quels furent les avantages de l'armée navale de France sous les ordres du duc de Brezé; voicy quel fut le succès de trois frégates d'Espagne commandées par dom Alonzo d'Ydiaquez, surintendant de l'escadre du Nord, et par le gouverneur de Sainct-Sébastien; elles prirent six navires françois qui venoient de TerreNeufve, les trois premiers sans beaucoup de peine, parce que l'orage les avoit trop éloignez pour recevoir du secours l'un de l'autre; les trois autres après un combat où la victoire fut balancée par l'espace de cinq heures; l'un de ces vaisseaux et la frégate du gouverneur de Sainct-Sébastien coulèrent à fond; les deux autres, se voyans percez de plus de deux cens coups de canon, se rendirent aux Espagnols.

EXTRAITS INÉDITS

DES

REGISTRES DE L'HOTEL-DE-VILLE

DE PARIS.

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