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Déceds du Roy Louis treiziesme.

Sa Majesté, ayant esté longuement mallade à SainctGermain-en-Laye, et en telle sorte qu'on l'avoit creu mort deux ou trois fois pendant la quinzaine, qu'on prioit continuellement Dieu par toutes les églises de Paris, le Sainct-Sacrement exposé sur les autels, pour le recouvrement de sa santé, décéda le propre jour de l'Ascension, sur les deux heures et demie de rellevée, treiziesme jour de may mil six cens quarante-trois, audit lieu de Sainct-Germain-en-Laye. Ce qu'ayant esté sceu en cette ville à cinq heures, messieurs les prévost des marchands et eschevins s'assemblèrent en l'hostel de ladite ville, où ils appellèrent les sergens et archers de ville, croians qu'il fallust à l'heure mesme partir pour aller au-devant de leur maistre, qu'on disoit avoir résolu se rendre à Paris dès le soir. Ce qu'ayant envoyé demander à monsieur le duc de Montbazon, gouverneur de ladite ville, il leur manda qu'il attendoit des nouvelles, et qu'aussitost qu'il en auroit appris il leur en feroit part, et qu'il estoit très asseuré que le Roy et la Royne-mère ne viendroient que le lendemain, sans dire l'heure. Ce qui fit résoudre Messieurs de la ville, afin de n'estre poinct surpris, de faire les mandemens à messieurs les conseiller, quarteniers et archers de la ville, pour s'y trouver le lendemain à huict heures précises du matin.

Et le lendemain vendredy, quinziesme may mil six cens quarante-trois, messieurs les prévost des marchands et eschevins receurent la lettre du Roy dont la teneur suit:

DE PAR LE ROY.

Très chers et bien-aimez, la perte que nous venons de faire du feu Roy, nostre très honoré seigneur et père, nous touche d'un regret si extreme qu'il nous seroit impossible d'avoir à présent d'autres pensées que celles que la piété et l'amour nous demandent pour le repos et le salut de son ame, si le devoir à quoy nous oblige l'intérest que nous avons, par droit de successeur, de maintenir la grandeur de la couronne et de conserver nos subjects dans une bonne union, ne nous forçoit de surmonter ces tristes sentimens pour prendre le soing de leur repos et de la conduitte de cet Estat. Et parce que l'établissement d'un bon ordre de toutes choses est le meilleur moyen dont nous puissions nous servir pour nous en acquitter dignement, nous vous ordonnons et vous exhortons, autant qu'il nous est possible, qu'après avoir faict à Dieu les prières que vous devez pour le salut de nostre digne seigneur et père, vous ayez, nonobstant ceste mutation, à continuer la fonction de vos charges en l'administration de la police ainsy que le debvoir et intégrité de vos consciences vous y obligent. Cependant nous vous asseurons que vous nous trouverez tel envers tous, et en général et en particulier, qu'un bon Roy doit estre envers ses bons et fidèles subjects et servi

teurs.

Donné à Sainct-Germain-en-Laye, le quatorziesme de may mil six cens quarante-trois. Signé Louis; plus bas: DE GUÉNÉGAUD. Et au dos est escript: A nos très chers et bien-aimez les prévost des marchands et eschevins de nostre bonne ville de Paris.

Avec ceste lettre fut apporté un billet de monsieur

le chancellier, qui donnoit advis que le nouveau Roy et la Reyne-mère seroient ledit jour de vendredy sur les trois heures à Paris, et que Leurs Majestez désiroient que la ville et monsieur le duc de Montbazon les allassent attendre au Roulle; ce qui fit à l'instant réformer l'heure des mandemens, au lieu de huict heures du matin, à une heure de rellevée; ce qui fut incontinent faict. Et en mesme temps messieurs les prévost des marchands et eschevins mandèrent à monsieur le gouverneur qu'ils l'iroient prendre devant deux heures chez luy pour aller au-devant de Leurs Majestez, suivant le billet de monseigneur le chancelier, le priant de les attendre; ce qu'il promist de faire.

Et ledit jour, une heure de rellevée, partirent Messieurs de la ville de l'Hostel-de-Ville en l'ordre qui ensuit :

Premièrement, les trois compagnies d'archers de la ville, tous à cheval, le colonnel-cappitaine des officiers fort bien couvert, et les autres ayans leurs hocquetons et chacun deux pistollets à l'arson de la selle.

Suivoient les sergens de la ville, aussi à cheval, ayans leurs robbes de livrées.

Après, monsieur le greffier de la ville, seul, ayant sa robbe mi-party.

Après suivoient messieurs les prévost des marchands, eschevins, gouverneur du Roy, conseillers et quarteniers, et deux bourgeois mandez de chacun quartier, ayans une douzaine d'archers à la queue pour empescher la foulle du peuple qui estoit en grand nombre.

Et en cet ordre arrivèrent à l'hostel dudit sieur gouverneur, auquel lieu lesdits sieurs de la ville mirent pied à terre, furent trouver le sieur gouverneur de la chambre, qui fut prié de mener la ville au-devant de

Leurs Majestez, suivant le billet qu'ils en avoient reçu; ce qu'il fist très volontiers en descendant. A l'heure mesme montèrent à cheval en l'ordre que dessus, pour aller au-devant de Leurs Majestez. Et est à noter que les gentilshommes de monsieur le gouverneur furent mis à la suitte des archers, et que les huissiers de la ville tinrent toujours leur place comme portant la livrée de ladite ville.

Toute la compagnie mit pied à terre environ une portée d'harquebuze au-delà de la croix qui est audessus du Roulle, en attendant que le carrosse de la Reyne passast; ce qui se feit un petit quart-d'heure après, ladicte dame Reyne estant au devant du carrosse, ayant le Roy à sa main dextre et monseigneur d'Anjou à main senestre. Monsieur d'Orléans estoit à la portière du costé du parc de Madrid. Il y avoit encore deux autres dames dans ledit carrosse, une dans le fond et l'autre à l'autre portière, qui estoit fermée à cause du grand vent qu'il faisoit ce jour-là. Monsieur, ayant veu monsieur le duc de Montbazon et toute la ville à pied, attendant Leurs Majestés, fit arrester le carrosse; duquel ledit sieur gouverneur aprochant, leur dist : « Je me présente à Vos Majestés avec toute la ville de Paris, représentée par les prévost des marchands, eschevins, conseillers et quarteniers, et bourgeois mandez de chacun quartier, qui viennent renouveller leurs vœux et leurs affections au service du Roy et de Vostre Majesté. L'expérience du passé vous a assez faict cognoistre que ladite ville n'a jamais bronché dans les commandemens qu'elle a reçus du deffunct Roy, et qu'elle continuera pendant le règne de celluy aujourd'huy régnant, soubs les ordres qu'ils prendront volontiers de Vostre Majesté comme mère de leur Roy, très

digne régente de ce royaume, ainsy que vous fera entendre monsieur le prévost des marchands. » Lequel s'estant advancé jusques à la portière du carrosse addressa la parolle au Roy et à ladite dame Reyne, ausquels il tesmoigna un grand regret de la perte que la ville de Paris et toute la France avec elle venoient de faire en la mort du deffunct Roy, meslée d'une joie et acclamation publique par l'espérance que le général et le particulier avoient conceue de son bon gouvernement pendant la minorité de son prince, auquel la ville de Paris venoit souhaitter toute grandeur, prospérité, protestant aux pieds de Sa Majesté toute leur obéissance et service, ainsy que ses très humbles et très fidèles serviteurs et subjects.

Sur quoy ladicte dame Reyne répliqua qu'elle n'avoit jamais doubté de l'affection de la ville de Paris envers son Roy; que parmy ses afflictions, qui estoient grandes, elle avoit ceste consolation de voir le Roy, monsieur son fils, aymé et carressé de ses subjects, et qu'elle le feroit instruire de la bienveillance qu'il debvoit avoir pour eux, et qu'en attendant elle suppléeroit pendant son bas aage à tout ce qui regarderoit la manutention de l'Estat en général et chacun des corps en particulier; que la ville de Paris auroit tousjours bonne part en ses bonnes graces comme la ville cappitalle et la plus obéissante de ce royaume, et fist en sus approuver par un «Ouy, maman, » à ce jeune prince et grand Roy tout ce qu'elle venoit de dire. Puis continua son chemin jusques au Louvre, dans lequel il se trouva tant de peuple que ce ne fut qu'une cesse depuis le Roulle jusques-là à crier : Vive le Roy! ce qui tira tant de larmes des yeux de ceste princesse qu'elle ne les peust estancher de tout le reste de la journée.

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