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ment de suivre toujours et pas à pas l'ordre des dates, qui sentiroit un peu trop le journal et m'obligeroit à revenir trop souvent sur les mêmes choses. Mais rien ne m'échappera, si je ne me trompe, quand j'aurai traité, comme j'en ai le dessein, ces cinq articles :

I. De l'établissement de l'Académie Françoise. II. De ses statuts, et en même temps des jours, des lieux et de la forme de ses assemblées.

III. De ce qu'elle a fait depuis son institution.

IV. De quelques choses remarquables qui s'y sont passées.

V. Et enfin des Académiciens en particulier.

I.

L'Académie Françoise n'a été établie par édit du Roi qu'en l'année 1635; mais on peut dire que son origine est de quatre ou cinq ans plus ancienne, et qu'elle doit en quelque sorte son institution au hazard.

Ceux qui ont parlé (1) de l'Académie des Humoristes de Rome disent qu'elle naquit fortuitement aux noces de Lorenzo Mancini, gentilhomme romain; que plusieurs personnes de condition d'entre les conviez, pour donner quelque divertissement aux dames, et parce que c'étoit au carnaval, se mirent à réciter premièrement sur-le-champ, et puis avec plus de préméditation, des sonnets, des comédies, des discours; ce qui leur fit donner le nom de Belli humori; qu'enfin, ayant pris

(1) M. Naudé, en son Dialogue de Mascurat, pag. 148, où il cite Giovan-Battista Alberti, nel discorso dell' Academie, parte seconda, pag. 80. PELLISSON.

goût insensiblement à ces exercices, ils résolurent de former une Académie de belles-lettres; qu'alors ils changèrent le nom de Belli humori en celui d'Humoristi, et choisirent pour devise une nuée qui, après s'être formée des amères exhalaisons de la mer, retombe en une pluie douce et menue, avec ces trois mots du poète Lucrèce pour ame : Redit agmine dulci.

L'Académie Françoise n'est pas née, à la vérité, d'une rencontre comme celle-là; mais il est certain que ceux qui la commencèrent ne pensoient presque à rien moins que ce qui en arriva depuis. Environ l'année 1629, quelques particuliers logez en divers endroits de Paris, ne trouvant rien de plus incommode dans cette grande ville que d'aller fort souvent se chercher les uns les autres sans se trouver, résolurent de se voir un jour de la semaine chez l'un d'eux. Ils étoient tous gens de lettres et d'un mérite fort au-dessus du commun : monsieur Godeau, maintenant évêque de Grasse, qui n'étoit pas encore ecclésiastique, monsieur de Gombauld, monsieur Chapelain, monsieur Conrart, monsieur Giry, feu monsieur Habert, commissaire de l'artillerie, monsieur l'abbé de Cérisy, son frère, monsieur de Serizay et monsieur de Malleville. Ils s'assembloient chez monsieur Conrart (1), qui s'étoit trouvé le plus commodément logé pour les recevoir et au cœur

(1) Valentin Conrart naquit à Paris en 1603. Son père, d'une honnête famille de Valenciennes, le destinant aux finances, lui donna peu d'éducation; le jeune Valentin n'apprit que l'italien et l'espagnol, et l'Académie eut ainsi pour premier secrétaire un homme qui ignorait absolument le grec et ne savait pas beaucoup plus de latin. Tous les titres académiques de Conrart peuvent se résumer en une préface aux lettres de Gombault sur la religion, quelques lettres familières à M. Félibien, et plusieurs

de la ville, d'où tous les autres étoient presque également éloignez. Là ils s'entretenoient familièrement, comme ils eussent fait en une visite ordinaire, et de toute sorte de choses, d'affaires, de nouvelles, de belleslettres. Que si quelqu'un de la compagnie avoit fait un ouvrage, comme il arrivoit souvent, il le communiquoit volontiers à tous les autres, qui lui en disoient librement leur avis; et leurs conférences étoient suivies tantôt d'une promenade, tantôt d'une collation qu'ils faisoient ensemble. Ils continuèrent ainsi trois ou quatre ans, et, comme j'ai oui dire à plusieurs d'entre eux, c'étoit avec un plaisir extrême et un profit incroyable;

pièces de vers insignifiantes. Cependant le secrétaire de l'Académie jouissait de son temps d'une grande réputation.

Conrart (dit le poète Linière), comment as-tu pu faire
Pour acquérir tant de renom,
Toi qui n'as, pauvre secrétaire,
Mis en lumière que ton nom?

Quelques lignes extraites de divers auteurs peuvent cependant servir de réponse à cette épigramme. On trouve dans les Menagiana, I, 118, Conrart cité comme un des plus modestes et des plus polis hommes de son temps........, de bon goût. « Nous avons vu Conrart,» dit le pseudonyme Vigneul Marville, « avec le bon sens naturel tout seul, donner des leçons à l'Académie Françoise, dont il étoit un des membres, et faire passer à sa coupelle des ouvrages sur lesquels des savans tout hérissés de latin et de grec auroient sué sans y trouver de quoy mordre. » Conrart avait la manie de tout copier. Il existe à la Bibliothèque de l'Arsenal de nombreux manuscrits de Conrart, contenant des notes et d'interminables collectanea. Monsieur de Monmerqué a extrait de ces manuscrits des Mémoires de Conrart, documents historiques sur la Fronde vraiment précieux, parce qu'ils sont écrits avec beaucoup de simplicité et de modération. Ce littérateur mourut le 23 septembre 1675. Partisan zélé de la réforme, il fut inhumé dans le cimetière des réformés, alors près de la Charité.

de sorte que, quand ils parlent encore aujourd'hui de ce temps-là et de ce premier âge de l'Académie, ils en parlent comme d'un âge d'or, durant lequel, avec toute l'innocence et toute la liberté des premiers siècles, sans bruit et sans pompe, et sans autres loix que celles de l'amitié, ils goûtoient ensemble tout ce que la société des esprits et la vie raisonnable ont de plus doux et de plus charmant.

Ils avoient arrêté de n'en parler à personne, et cela fut observé fort exactement pendant ce temps-là. Le premier qui y manqua fut monsieur de Malleville; car il n'y a point de mal de l'accuser d'une faute qu'un événement si heureux a effacée. Il en dit quelque chose à monsieur Faret, qui venoit alors de faire imprimer son Honnête Homme, et qui, ayant obtenu de se trouver à une de leurs conférences, y porta un exemplaire de son livre, qu'il leur donna. Il s'en retourna avec beaucoup de satisfaction, tant des avis qu'il reçut d'eux sur cet ouvrage que de tout ce qui se passa dans le reste de la conversation. Mais comme il est difficile qu'un secret que nous avons éventé ne devienne tout public bientôt après, et qu'un autre nous soit plus fidelle que nous ne l'avons été à nous-mêmes, monsieur des Marests (1) et mon

(1) Des Marets de Saint-Sorlin, l'implacable ennemi des infidèles et des athées, l'ardent adversaire des anciens auteurs, qui, d'un côté, proposait au Roi le commandement d'une armée de cent dans quarante-quatre mille hommes qu'il devait lever lui-même, le dessein d'exterminer tous les impies, et de l'autre assurait qu'il avail traité Homère et Virgile en vaincus.

Il naquit à Paris en 1595 et mourut dans cette même ville en 1676. Il a laissé entre autres ouvrages un théâtre de sept pièces, un poème en vingt-six chants : Clovis ou la France chrétienne, el les Délices de l'Esprit. Dans ce dernier ouvrage on lit l'anecdote suivante, qui montre à quel titre cet auteur était précieux pour

sieur de Boisrobert eurent connoissance de ces assemblées par le moyen de monsieur Faret (1). Monsieur des Marets y vint plusieurs fois, et y lut le premier volume de l'Ariane, qu'il composoit alors. Monsieur de Boisrobert (2) désira aussi d'y assister, et il n'y avoit point

le cardinal de Richelieu, «Ayant, dit-il, reconnu en moi quelque peu de fertilité à produire sur-le-champ des pensées, il m'avouoit que son plus grand plaisir étoit lorsque, dans notre conversation, il renchérissoit de pensées par-dessus les miennes ; que, si je produisois une autre pensée par-dessus la sienne, alors son esprit faisoit un nouvel effort avec un contentement extrême. » (1) Outre l'Honnête Homme, ou l'Art de Plaire à la Cour, Nicolas Faret a publié un certain nombre d'ouvrages médiocres, et des Poésies diverses auxquelles Boileau a fait une sorte de célébrité par ces deux vers:

Ainsi tel autrefois qu'on vit, avec Faret,

Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret.....

Faret était né à Bourg-en-Bresse en 1596, il mourut à Paris en 1646.

(2) Né à Caen en 1592, mort en 1662. Voici le portrait allégorique qu'on trouve de ce personnage dans le Grand Dictionnaire historique des Précieuses, de Saumaize, Ire partie, page 61: « Barsamac est un ancien et moderne autheur, le ciel lui ayant donné l'avantage de vivre longtemps. Il a cela de particulier en luy qu'il se divertit en divertissant les autres. C'est le sage des ruelles, où il se fait escouter pour plus d'une raison; et la principale c'est qu'il sçait parfaitement la chronique scandaleuse de la ville d'Athènes (Paris). Il a de tout temps veu la cour, et il fait des pièces de cirque (théâtre), de galanteries, en prose et en vers; mais surtout il a tousjours réussi à très bien faire des contes, ce qui le fait souhaiter dans toutes les ruelles qu'il fréquente autant qu'aucun autre. » Boisrobert était un des cinq auteurs qui travaillaient aux pièces de théâtre du cardinal de Richelieu. Pour son compte il a fait dix-huit pièces dont les titres mêmes sont oubliés. Pour prix de ses bons mots il obtint de riches et nombreux bénéfices, entre autres l'abbaye de Châtillon-sur-Seine, et devint conseiller d'Etat et membre de l'Académie, qui s'assembla plusieurs fois chez lui.

II SÉRIE, T. VI.

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