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d'apparence de lui en refuser l'entrée; car, outre qu'il étoit ami de la pluspart de ces messieurs, sa fortune même lui donnoit quelqu'autorité et le rendoit plus considérable. Il s'y trouva donc, et quand il eut vu de quelle sorte les ouvrages y étoient examinez, et que ce n'étoit pas là un commerce de complimens et de flateries où chacun donnât des éloges pour en recevoir, mais qu'on y reprenoit hardiment et franchement toutes les fautes jusques aux moindres, il en fut rempli de joie et d'admiration. Il étoit alors en sa plus haute faveur auprès du cardinal de Richelieu, et son plus grand soin étoit de délasser l'esprit de son maître, après le bruit et l'embarras des affaires, tantôt par ces agréables contes qu'il fait mieux que personne du monde, tantôt en lui rapportant toutes les petites nouvelles de la cour et de la ville; et ce divertissement étoit si utile au Cardinal que son premier médecin, monsieur Citois (1), avoit accoutumé de lui dire : « Monseigneur, nous ferons tout ce que nous pourrons pour votre santé, mais toutes nos drogues sont inutiles si vous n'y mêlez un peu de Boisrobert. » Parmi ces entretiens familiers, monsieur de Boisrobert, qui l'entretenoit de tout, ne manqua pas de lui faire un récit avantageux de la petite assemblée qu'il avoit vue et des personnes qui la composoient; et le Cardinal, qui avoit l'esprit naturellement porté aux grandes choses, qui aimoit surtout la langue françoise, en laquelle il écrivoit luimême fort bien, après avoir loué ce dessein, demanda

(1) Le cardinal de Richelieu ayant cru devoir éloigner de lui Boisrobert à cause de ses débauches, le même médecin trouva moyen de faire rentrer l'exilé en grâce en donnant au ministre une ordonnance ainsi formulée : Recipe Boisrobert.

à monsieur de Boisrobert si ces personnes ne voudroient point faire un corps et s'assembler régulièrement et sous une autorité publique. Monsieur de Boisrobert ayant répondu qu'à son avis cette proposition seroit reçue avec joie, il lui commanda de la faire et d'offrir à ces messieurs sa protection pour leur compagnie, qu'il feroit établir par lettres patentes, et à chacun d'eux en particulier son affection, qu'il leur témoigneroit en toutes rencontres.

Quand ces offres eurent été faites et qu'il fut question de résoudre en particulier ce que l'on devoit répondre, à peine y eut-il aucun de ces messieurs qui n'en témoignât du déplaisir, et ne regrettât que l'honneur qu'on leur faisoit vint troubler la douceur et la familiarité de leurs conférences. Quelques-uns même, et surtout messieurs de Serisay et de Malleville, étoient d'avis qu'on s'excusât envers le Cardinal le mieux qu'on pourroit; mais ces deux-là, outre les raisons générales qui leur étoient communes avec les autres, en avoient une particulière qui les regardoit. Monsieur de Serisay étoit intendant de la maison du duc de La Rochefoucaut et monsieur de Malleville (1) étoit secrétaire du maréchal

(1) Voici une anecdote qu'on lit dans les Mélanges de Vigneul de Marville, et qui prouve l'intimité qui existait entre Bassompierre et Malleville :

<< Monsieur de Bassompierre, étant prisonnier à la Bastille, passoit son temps à lire et à écrire. Un jour, Malleville, qui étoit son secrétaire, le trouvant qui lisoit l'Ecriture sainte, lui dit : « Que cherchez-vous dans ce livre, monseigneur? — Je cherche, lui répondit-il, un passage que je ne sanrois trouver. » Il vouloit dire qu'il eût bien voulu sortir d'où il étoit ; mais son heure n'étoit pas venne, et il eut encore long-temps besoin de Malleville, qui étoit un servileur fidèle et d'un grand secours pour lui dans ses

de Bassompierre. On considéroit ces deux seigneurs comme ennemis du Cardinal. Le premier, ne se sentant pas bien à la cour, s'étoit retiré en son gouvernement de Poitou, et l'autre étoit déjà prisonnier à la Bastille. Or vous savez en quelle réputation étoit alors ce ministre ; on croyoit que, se voyant une place si enviée et si exposée aux entreprises des grands, il n'y en avoit presque point chez qui il n'eût quelqu'un à ses gages pour lui donner avis de tous leurs desseins. Ces deux messieurs craignoient donc que cette liaison qu'ils auroient avec lui, par le moyen d'une académie dont il seroit le fondateur et le protecteur, ne donnât à parler à beaucoup de gens et ne les rendit suspects à leurs maîtres. Ainsi ils n'oublièrent rien pour persuader à la compagnie ce qu'ils désiroient. A la fin pourtant il passa à l'opinion contraire, qui étoit celle de monsieur Chapelain (1); car, comme il n'avoit ni passion ni intérêt contre le Cardinal, duquel il étoit connu, et qui lui avoit même témoigné l'estime qu'il faisoit de lui en lui donnant une pension, il leur représenta qu'à

affaires et dans ses études, comme je l'ai vu par les Mémoires qu'on a trouvés dans le cabinet de Malleville après sa mort. » Plus tard Bassompierre récompensa la fidélité de Malleville en le nommant secrétaire des Suisses et des Grisons. Le sonnet sur la belle Matineuse, pièce qui parut supérieure à celle de Voiture, suffit pour fonder la réputation littéraire de Malleville. On a de lui des poésies. Cet auteur naquit à Paris en 1597 et mourut en 1647. Il n'est donc pas, comme on l'a prétendu, l'éditeur des Mémoires de Bassompierre, qui ne parurent qu'un 1663.

(1) Cet auteur, si eonnu par le ridicule dont Boileau l'a à jamais convert, touchait une pension de mille écus, prix d'une ode louangeuse adressée au Cardinal. Ce dernier avait accordé à Chapelaia une pleine autorité sur tous les poètes qu'il avait à ses gages. Plus tard Colbert chargea ce poète de dresser la liste des

la vérité ils se fussent bien passez que leurs conféren ces eussent ainsi éclaté, mais qu'en l'état où les choses se trouvoient réduites il ne leur étoit pas libre de suivre le plus agréable de ces deux partis; qu'ils avoient affaire à un homme qui ne vouloit pas médiocrement ce qu'il vouloit, et qui n'avoit pas accoutumé de trouver de la résistance ou de la souffrir impunément; qu'il tiendroit à injure le mépris qu'on feroit de sa protection et s'en pourroit ressentir contre chaque particulier; que du moins, puisque par les loix du royaume toutes sortes d'assemblées qui se faisoient sans autorité du prince étoient défendues, pour peu qu'il eût envie, il lui seroit fort aisé de faire malgré eux-mêmes cesser les leurs et de rompre par ce moyen une société que chacun d'eux désiroit être éternelle. Sur ces raisons il fut arrêté que « monsieur de Boisrobert seroit prié de remercier très humblement monsieur le Cardinal de l'honneur qu'il leur faisoit, et de l'assurer qu'encore qu'ils n'eussent jamais eu une si haute pensée, et qu'ils fussent fort surpris du dessein de Son Eminence, ils étoient tous résolus de suivre ses volontez.» Le Cardinal reçut leur réponse avec grande

savants et des littérateurs que Louis XIV voulait pensionner. A la mort de Chapelain, arrivée en 1674, on trouva chez lui une somme de plus de cent cinquante mille livres, fruit des plus sordides économies. Voici à ce sujet une anecdote assez curieuse qu'on peut lire dans les Menagiana, tome II, page 31 : « Nous étions mal avec Chapelain, Pellisson et moi. Monsieur Pellisson après sa conversion, voulant se réconcilier avec lui, vint me prendre pour l'accompagner, me disant qu'il falloit aussi que je me réconciliasse. Nous allâmes chez lui et nous nous réconciliames. Je vis encore à la cheminée les mêmes tisons que j'y avois vus il y a deux ans. »

satisfaction, et, donnant divers témoignages qu'il prenoit cet établissement à cœur, commanda à monsieur de Boisrobert de leur dire « qu'ils s'assemblassent comme de coutume, et qu'augmentant leur compagnie ainsi qu'ils le jugeroient à propos ils avisassent entre eux quelle forme et quelles loix il seroit bon de lui donner à l'avenir. »

Cela se passoit ainsi au commencement de l'année 1634. En ce même temps, monsieur Conrart, chez qui les assemblées s'étoient faites jusques alors, vint à se marier. Ayant donc prié tous ces messieurs, comme ses amis particuliers, d'assister à son contrat, ils avisèrent entre eux qu'à l'avenir sa maison ne seroit plus si propre qu'auparavant pour leurs conférences. Ainsi on commença à s'assembler chez monsieur des Marests, et à penser sérieusement, suivant l'intention du Cardinal, à l'établissement de l'Académie.

Si vous vous souvenez d'avoir lu dans quelque poète la description d'une république naissante, où les uns sont occupez à faire des loix et à créer des magistrats, les autres à partager les terres et à tracer le plan des maisons, ceux-ci à assembler des matériaux, ceux-là à jeter les fondemens des temples ou des murailles, imaginez-vous qu'il en fut à peu près de même en cette première institution de l'Académie, et qu'il s'y passa presque en même temps plusieurs choses qui ne peuvent être rapportées que l'une après l'autre (1).

Une des premières fut que ces messieurs grossirent leur compagnie de plusieurs personnes considérables

(1) Ces commencements de l'Académie sont décrits avec beaucoup de vérité dans le discours que l'abbé de la Chambre prononça le premier, le 3 juillet 1684, à la réception de Boileau.

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