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par leur mérite, entre lesquelles il y en avoit qui l'étoient d'ailleurs par leur condition; car, comme la cour embrasse toujours avec ardeur les inclinations des ministres et des favoris, surtout quand elles sont raisonnables et honnêtes, ceux qui approchoient le plus près du Cardinal, et qui étoient en quelque réputation d'esprit, faisoient gloire d'entrer dans un corps dont il étoit le protecteur et le père. Non-seulement monsieur des Marests et monsieur de Boisrobert, qui avoient su les premiers ces assemblées secrètes, mais encore monsieur de Montmor, maître des requêtes, monsieur du Chastelet, conseiller d'Etat, monsieur de Bautru, aussi conseiller d'Etat et qui étoit en grande faveur, monsieur Servien, alors secrétaire d'Etat, et le garde-dessceaux Séguier, maintenant chancelier de France, voulurent être de cette compagnie. Mais parce que je dois parler ailleurs de tous les académiciens en particulier, je me réserve à dire en cet endroit-là en quel temps et en quelle occasion chacun d'eux y fat reçu.

Pour donner aussi quelque ordre et quelque forme à leurs assemblées, ils résolurent de créer d'abord trois officiers un directeur et un chancelier qui seroient changez de temps en temps, et un secrétaire qui seroit perpétuel; les deux premiers par sort, et le dernier par les suffrages de l'assemblée. Le directeur fut monsieur de Serizay; le chancelier, monsieur des Marests; le secrétaire, monsieur Conrart, à qui cette charge fut donnée en son absence, d'un commun consentement, tout le monde demeurant d'accord que personne ne pouvoit mieux remplir cette place. Dès lors il commença à écrire ce qui se passoit dans les assemblées et à tenir ces regîtres d'où j'ai tiré la meilleure et la plus grande partie de cette relation. Ils commencent au 13 mars 1634.

Outre ces trois officiers, on créa un libraire de l'Académie, lequel devoit aussi lui servir comme d'huissier. Cette charge fut donnée à Camusat, qui étoit de tous ceux d'alors celui que l'on estimoit le plus habile; car, outre qu'il étoit très entendu en sa profession, il étoit homme de bon sens et n'imprimoit guère de mauvais ouvrages; de sorte qu'encore lorsque nous sommes venus dans le monde, vous et moi, et que nous avons commencé à lire des pièces françoises, c'étoit presque une marque infaillible des bonnes que d'être de son impression.

On délibéra aussi dans ces commencemens du nom que prendroit la compagnie, et, entre plusieurs qui furent proposez, celui de l'Académie Françoise, qui avoit déjà été approuvé par le Cardinal, fut trouvé le meilleur. Quelques-uns l'ont nommée depuis l'Académie des beaux-esprits, quelques autres, l'Académie de l'éloquence, comme monsieur de Boissat, qui lui écrivit de Dauphiné avec ce titre, par erreur, bien qu'il en fût lui-même. Plusieurs autres ont cru qu'elle s'appeloit l'Académ é minente, par une allusion à la qualité du Cardinal son protecteur, et j'avoue que je m'y suis aussi trompé autrefois dans l'épître dédicatoire du premier livre de la Paraphrase des Institutes; mais enfin elle ne s'est jamais appelée elle-même que l'Académie Françoise.

Au choix de ce nom, qui n'a rien de superbe ni d'étrange, elle a témoigné peut-être moins de galanterie, mais peut-être aussi plus de jugement et plus de solidité que les Académies de delà les monts, qui se sont piquées d'en prendre ou de mystérieux, ou d'ambitieux, ou de bizarres, tels qu'on les prendroit en un carrousel ou en une mascarade; comme si ces exercices d'esprit

étoient plutôt des débauches et des jeux que des occupations sérieuses. Ainsi leurs académiciens se sont appelez à Sienne Intronati; à Florence, della Crusca (1); à Rome, Humoristi, Lincei, Fantastici; à Bologne, Otiosi; à Gênes, Addormentati; à Padoue, Ricovrati et Orditi; à Vicenze, Olimpici; à Parme, Innominati; à Milan, Nascosti; à Naples, Ardenti; à Mantoue, Invaghiti ; à Pavie, Affidati (2), et je ne sache que la seule Académie Florentine, la plus ancienne de toutes, qui ait voulu prendre un nom simple et sans affectation (3).

Mais peut-être traiterai-je quelque jour ailleurs, et en un discours à part, de toutes ces Académies et de leurs noms. Pour revenir maintenant à celle dont j'ai entrepris de parler, en même temps qu'elle choisissoit le sien, elle délibéroit aussi sur les occupations qu'elle auroit et sur les loix qu'elle devoit établir. Tous les académiciens eurent ordre d'y penser en particulier. Monsieur Faret fut chargé de faire cependant un discours qui contînt comme le projet de l'Académie et qui pût servir de préface à ses statuts, et monsieur de Serizay

(1) Cette Académie, qui porte le titre de Regina è moderatrice della lingua Italiana, a la gloire d'avoir réellement servi de modèle à notre Académie Française.

(2) Voyez M. Naudé en son Dialogue de Mascurat, pag. 147, où il nomme encore les Offuscati de Césène, Disuniti de Fabriano, Filoponi de Faënza, Caliginosi d'Ancône, Adagiati de Rimini, Assorditi de Cita-de-Castello, Insensati de Pérouse, Raffrontati de Fermo, Catenati de Macerata, Ostinati de Viterbe, Immobili d'Alexandrie, Occulti de Bresse, Perseveranti de Trévise, Filarmonici de Vérone, Humorosi de Cortone, Oscuri de Luques. PELLISSON.

(3) L'Italie a compté jusqu'à cent seize académies; Bologne en avait dix-huit, Rome seize, Venise neuf, Naples huit, Florence six, etc.

de faire une lettre à monsieur le Cardinal pour le supplier d'honorer la compagnie de sa protection. Ce fut par cette lettre et par ce projet qu'on commença.

La lettre, qui est du 22 de mars 1634, contenoit en substance: «< Que si monsieur le Cardinal avoit publié ses écrits il ne manqueroit rien à la perfection de la langue, et qu'il auroit fait sans doute ce que l'Académie se proposoit de faire; mais que sa modestie, l'empêchant de mettre au jour ses grands ouvrages, ne l'empêchoit pas néanmoins d'approuver qu'on recherchât les mêmes trésors qu'il tenoit cachez et d'en autoriser la recherche; que c'étoit le plus solide fondement du dessein de l'Académie et de son projet, qui seroit présenté à son Eminence avec cette lettre par messieurs de Bautru, du Chastelet et de Boisrobert; qu'elle ne vouloit recevoir l'ame que de lui, et que l'espérance de sa protection l'obligeoit déjà à un extrême ressentiment. »>

Ce projet étoit un discours fort étendu, plein de plusieurs beaux raisonnemens qui se réduisoient à peu près à ces chefs: «que de tout temps le pays que nous habitons avoit porté de très vaillans hommes, mais que leur valeur étoit demeurée sans réputation au prix de celle des Romains et des Grecs parce qu'ils n'avoient pas possédé l'art de la rendre illustre par leurs écrits; qu'aujourd'hui pourtant, les Grecs et les Romains ayant été rendus esclaves des autres nations, et leurs langues même si riches et si agréables étant comptées entre les choses mortes, il se rencontroit heureusement pour la France que non-seulement nous étions demeurez en possession de la valeur de nos ancêtres, mais encore en état de faire revivre l'éloquence qui sembloit être ensevelie avec ceux qui en avoient été les inventeurs et les

maîtres; qu'après les grandes et mémorables actions du Roi, c'étoit une très heureuse rencontre qu'il se trouvât aujourd'hui parmi ses sujets tant d'hommes capables de faire lire avec plaisir ce que nous avions vu exécuter avec grand étonnement; qu'aussi n'étoit-ce pas une des moindres pensées de ce grand Cardinal, son premier ministre, que d'embrasser comme il faisoit la protection des belles-lettres, si nécessaires pour le bien et pour la gloire des Etats, et de les faire fleurir par sa faveur et par son approbation; qu'il sembloit ne manquer plus rien à la félicité du royaume que de tirer du nombre des langues barbares cette langue que nous parlons, et que tous nos voisins parleroient bientôt si nos conquêtes continuoient comme elles avoient commencé ; que pour un si beau dessein il avoit trouvé propos d'assembler un certain nombre de personnes capables de seconder ses intentions; que ces conférences étoient un des plus assurez moyens pour en venir à bout; que notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pourroit bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenoit plus de soin qu'on n'avoit fait jusqu'ici de l'élocution, qui n'étoit pas à la vérité toute l'éloquence, mais qui en faisoit une fort bonne et considérable partie. »

à

Après cela il étoit ajouté que : « pour l'ordre, la police et les loix de cette assemblée, on a trouvé à propos de les réduire en un statut à part, et de ne traiter en cet endroit que de deux choses qui eussent été trop contraintes et trop gênées dans la brièveté qu'affecte le style des loix la première, des qualitez que devoient avoir ceux à qui on confioit cet emploi, et la seconde, quelles seroient leurs fonctions et quelles matières ils auroient à traiter.

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