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Et ce que le pauvre Amant verd fait dire aux passants par une pucelle sur son tombeau :

Seigneurs, si Dieu vous gard,

Sur ce noir marbre, où vous jettez regard,

Gist l'amand verd, de pensée loyalle,
Lequel servit une dame royalle,

Sans que jamais il luy fit quelque faute.
Natif estoit d'Etiope la Haulte;

Passa la mer, tant fière et tant diverse,
Où il souffrit mainte grand controverse,
Habandonnant son pays et ses gens
Pour venir cy par exploits diligentż.
Laissa Egypte et le fleuve du Nil,
Espris d'amour en un cœur juvénil,
Quand le renom de sa très claire dame
Luy eut esmeu tout le courage et l'ame.
Si vint chercher ceste région froide,
Où court la bize impétueuse et roide,

Pour veoir sa-face illustre, claire et belle. Etc.

Comment tout cela peut-il s'appliquer à Jean Le Maire de Belge? N'est-ce pas assez? La seconde épître contient des passages encore bien plus clairs. Mercure conduit l'Amant verd dans un certain endroit des Champs-Elysées où il lui dit :

C'est le séjour des ames bien heurées,
Ses animaux, qui oncques ne meffeirent.....
Ainsi dict-il, et je lui rendys grace....

Si me branchay sur un orenger vert.

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Là, un noble papegay,

Vestu de pourpre, illustre, gent et gay,

Me fist congnoistre et me montra de vue...

Le passeron de l'amie Catulle,....

Et le corbeau, que Pline tant extulle....

Aussi y est de tourtes une paire,
Qu'on présenta par juste occasion
Quand Jésus prit sa circoncision....

Et le bon coq que saint Pierre advisa....

Et le coulomb, de prudence naïve,

Qui rapporta sa branchette d'olive. Etc.

J'ai rapporté tous ces vers, moins pour combattre une opinion in

soutenable que pour faire connaître la manière de Jean Le Maire. Il a encore publié trois contes intitulés de Cupidon et d'Atropos, qui ne font pas partie de cette édition et qui ont été imprimés à part en 1520.

Je les ai lus, mais à mon grand regret je ne les ai jamais trouvés à acheter. Ces trois contes forment une trilogie allégorique. L'Amour et la Mort s'enivrent ensemble à la taverne. En se quittant ils se trompent et échangent leurs armes; l'Amour tue et la Mort rend les vieillards amoureux. La Volupté; suivante chérie de Vénus, est atteinte des nouveaux traits de l'Amour et expire. Les états de Vénus sont convoqués pour aviser à ce malheur, le 1er de septembre mil cinq cent vingt, et là est décrite cette affreuse maladie que l'expédition de Charles VIII à Naples avait introduite en France. Ne pouvant apporter remède au mal, l'un des interlocuteurs y trouve cette compensation que la peur obtiendra à l'avenir plus qu'on ne pourrait se promettre de la vertu, etc. Ces trois contes sont insérés dans le premier volume des Annales poétiques, mais corrigés, on plutôt dénaturés et tronqués, suivant l'usage déplorable des éditeurs de ce recueil. (V. Recueils.) 1525. Les Poesies de Guillaume Cretin. Paris, Coustelier,

1723, in-12. v. m. tr. d. (Fait partie de la collection dite de Coustelier.)

Cretin est né à Paris, il a vécu sous les rois Charles VIII, Louis XII et François Ier. Il fut d'abord trésorier de la Sainte-Chapelle de Vincennes, puis chantre de la Sainte-Chapelle de Paris. Il mourut dans le courant de l'année 1525, car il parle de la bataille de Pavie, qui eut lieu le 24 février de cette même année, et Geoffroy Thory, dans son livre du Champ fleury, imprimé en 1526, parle de Cretin comme d'un homme mort récemment.

Cretin nous apprend lui-même par la suscription d'une lettre écrite par lui à son ami frère Jehan Martin que son nom véritable était Guillaume Du Bois, alias dit Cretin. Cretin était alors le nom d'un petit panier.

Je ne saurais motiver la réputation dont jouit ce versificateur prolixe dans un temps, il est vrai, où la concision était une chose rare; mais il passe la permission. Cependant ses contemporains, et Clément Marot lui-même, l'ont accablé de leurs éloges. Rabelais, à ma connaissance, est le seul qui, dans le XXIo chapitre de son Pantagruel, ait tourné en ridicule ce rimeur sous le nom de Rominagrobis, probablement par allusion à l'aumusse et aux fourrures du chanoine

de la Sainte-Chapelle. Cretin est ün élève et un imitateur de Molinet (V. 1507); aussi Marot l'appelle-t-il :

Le bon Crétin, au vers équivocqué.

Et en effet, dans ses épîtres adressées à Charles VIII, à Louis XII, à François Ier, à la reine de Navarre et à d'autres grands personnages, Cretin adopte le plus souvent cette forme, insupportable par sa redondance monotone, ou du moins une richesse de rimes non moins fatigante. J'en vais citer pour exemple d'abord les premiers vers d'une lettre adressée à Monseigneur duc de Valoys, comte d'Angoulesme, à présent roy.

Filz de Minerve, ami des dieux haultains,

Que gagneray-je à m'ayder d'yeulx haulx tains,
Si clair ne voy luyre dedans tes coffres

Le miens escript? J'ay nombre d'ans, telz qu'offres
Ne te puis pas de valeur présenter,

Combien que si se va l'heur près hanter

Sur ce papier ne restant qu'à transmettre.
J'espère assez, voire sans quatre ans mettre,

Rendre aisément ceste epistre accomplie. Etc.

Veut-on mieux que cèla? Voici le commencement d'une lettre à son ami de La Jaille et qui se poursuit sur ce mode plus de cent vers:

Dois-je or endroit veu de ta lettre l'estre
Tant enrichy de beaulx édictz et ditz,
Sur ce papier coucher et mettre mettre
Pour advancer contre dix contreditz?

J'ay rude amorse à petiz appetitz,

Par quoy de loz sans mérites m'hérites.....

Veut-on mieux encore ?

Que n'avons-nous Juvénal et Horace ?

Que n'est or à ce ung second Perse en vie
Ou un Lucain? Qu'est-ce? Mais que sera-ce?
Armes, cuyrace, et lance suyvant race
De gens sans grace, homme en jeu ne l'envye.
France est ravye; âme ne la convye
De prendre envye aux armes se renger.
Fol ne croit tant qu'il se voit en danger.

Mais tous les vers de Cretin ne sont pas de cette force; ils sont tout simplement plats de style et même de sentiments presque toujours ses épîtres sont des demandes d'argent à ses protecteurs.

Cretin a composé en outre un dialogue interminable entre deux dames, sur la primauté des oiseaux ou des chiens pour la chasse, des ballades, des rondeaux, des chants royaux pour les palinods de Rouen, etc. Sa pièce la plus irréprochable, et remarquable au moins par sa brièveté, est celle-ci, adressée à un ami qui lui demandait un conseil sur un projet de mariage :

Prenez-la, ne la prenez pas;
Si vous la prenez, c'est bien fait,
Et si la laissez, en effet,

Ce sera ouvré par compas.

Gallopez, mais allez le pas;
Différez, entrez-y de fait,

Prenez-la.

Jeunez, preneż double repas ;
Reffaites ce qui est deffaict,
Deffaites ce qui est reffaict;
Désiré sa vie ou trespas,
Prenez-la.

1529. Les moyens d'éviter meren colye, soy conduire et enrichir en tous estatz par l'ordonnance de Raison, composé nouvellement par Dadouville. Et au privilége, imprimé à Paris le 23e jour de mars l'an 1529, etc., Jacques Yrerd pour noble homme Jacques Dadouville, presbtre (Edition renouvelée à petit nombre par Techener), pet. in-8. cart.

Sorte d'instruction en cent septains. Le moyen d'éviter mélancolie, selon le prêtre Dadouville, est d'avoir beaucoup d'argent. Il recommande la sobriété, l'ordre, la conduite, non comme précepte de morale, mais parce que les vices contraires, l'ivrognerie, la paresse et la débauche, sont autant d'occasion de dépenser.

1

Toy qui oncques ne travaillas
Et du tout n'as voulu rien faire,
Quand tu seras vieil rien n'auras
Synon grant soucy et affaire;
Lors l'homme de bien contrefaire
Ne pourras, car tu seras nu,
De tout le monde decongneu.

2

Toy qui bien tost te vas coucher
Et au matin te lieves tard,
Cella ne te peult advancer,
Bien fairas d'y avoir regard:
Requis ne t'est d'estre ung dormard;
Si desire bien et avoir,

De la paine te fault avoir.

3

Toy qui de ton bien te desmez
Et te dépoulle en aultres mains,
Pense que tu n'auras jamais
Fors que douleurs et des maulx
mainctz.
Ne viens vers moy faire les plains,
Pour avoir de moy réconfort,
Car cella te deffens très fort.

Toy qui laisses tes prez sans clore
Et tes jardins tous jours ouverts,
En nul temps ne les fault desclore ;
Les bestes les mangent tous verds.
Ton gouvernement est dyvers,
Et pour ce au temps advenir,
Pense quel' fin en peult venir.

J'ai peine à m'expliquer ce qui a pu engager à perpétuer ce petit livre par la réimpression. Le sujet n'a rien de piquant, la versification en est fort incorrecte, même pour le temps, et l'auteur en est à juste titre tout à fait inconnu.

1531. La Légende de maistre Pierre Faifeu, mise en vers par Charles Bourdigné. Paris, Coustelier, 1723, in-12. v. b. fil. (De la collection dite de Coustelier.)

Charles Bourdigné ou Bordigné était prêtre, né à Angers, où il vivait en 1531. Voilà tout ce qu'on en sait. Il écrivit pour un autre prêtre de ses amis, maistre Jehan Alain, les gestes de maistre Pierre Faifeu, qu'il lui dédia par une épître liminaire. Pierre Faifeu étaitil un être réel ou imaginaire? Je l'ignore. C'était un écolier débauché, vivant de rapines et au jour le jour, mais drôle de corps et facétieux. Sa légende n'est donc qu'un recueil de faits plus ou moins pendables, et qui veulent tous être plaisants. Ce qu'ils offrent aujourd'hui de plus extraordinaire, c'est d'avoir été consignés par un ecclésiastique pour l'amusement d'un autre ecclésiastique.

Pour faire connaître le style et la manière de Bourdigné, je vais citer un de ces contes. Parmi les 49 qui composent sa légende je choisis le 30o, parce qu'il est un des plus courts et l'un de ceux fort rares que l'on puisse honnêtement répéter.

Au temps d'yver qu'il faisoit fascheux temps
Et très grand froit, ainsi comme j'entends,

Nouvelleter luy print en fantaisie

Ung certain jour devant la bourgeoisie :

Car sa chemise au soir il fist tremper

Et mettre au vent pour de mieulx l'attromper,

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