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L'accusation continue, puis la défense de l'eau, réplique des deux parties bien attaqué, bien défendu. Cette pièce est assez piquante et fort bien écrite pour le temps. A ce recueil sont joints des commentaires très savants, trop savants peut-être : car je crois qu'on pourrait trouver beaucoup plus près de nous quelques étymologies que l'éditeur tire du grec et même de l'hébreu, ce qui lui fait forcer un peu l'interprétation de quelques vieux mots de notre langue qui sont très clairs pour tout le monde. Mais le véritable reproche à adresser

à ce recueil est son incorrection. Cent vers au moins y sont tronqués ou allongés, peut-être par les premiers copistes, mais qu'un simple changement d'orthographe eût rétablis dans leur première intégrité, si notre vieille langue eût été familière à l'éditeur.

La Danse aux aveugles (par Pierre Michault, auteur du Doctrinal de cour) et autres poesies du XVe siècle, extraites de la bibliothèque des ducs de Bourgogne (publiées par Lambert Doux fils, gentilhomme établi à Bruxelles). A Lille, chez André-Joseph Panckoucke, 1748, in-12. bas. (Réimpression faite sur un manuscrit après la troisième édition de cet ouvrage, dont deux in-4. sans date, et la troisième de 1543, in-8. Lyon.)

L'argument ci-après, qui n'a été imprimé que dans l'édition de 1543, donnera une idée du but que s'est proposé Pierre Michault dans la composition de ce petit poëme, mi-parti vers et prose.

Amour, fortune et mort, aveugles et bandés,
Font dancer les humains chacun par accordance :
Car aussitôt qu'amour a ses troicts débandés,
L'homme veut commencer a dancer basse dance;
Puis fortune, qui sait le tour de discordance,
Pour un simple d'amour fait un double bransler,
Plus inconstant beaucoup que feuille d'arbre en l'air.
Du dernier tourdion la mort nous importune;

Et si n'y a vivant qu'on ne voye esbranler

A la dance de mort, d'amour et de fortune.

Après la danse aux aveugles, l'éditeur donne deux complaintes de Pierre Michault sur la mort de la comtesse de Charrolois, en 1465. Il ne conviendrait point de juger les vers de Michault sur ceux de son argumentateur cités ci-dessus. Les vers de Michault, bien qu'antérieurs de cent ans, sont infiniment meilleurs, témoins ceux-ci que je prends au hasard, et qu'il met dans la bouche de l'amour.

Je fais faire par le monde univers
Habits nouveaux en façons trop divers;
Je fais souvent ces jolis corps estraindre ;
Je fais porter ces chapelets tous verds,
Bouquets garnis de très amoureux vers,
Et, en chantant, maintes fois la voix feindre;

Je fais polir ces visages et peindre ;

Je fais chausser estroit et estroit ceindre. Etc.

Ce dernier vers est charmant.

Après les deux complaintes de Pierre Michault, ce volume contient le testament de Maistre Pierre Nesson, officier du duc de Bourbon, fait prisonnier à la bataille d'Azincourt en 1415. Ce testament est fait en faveur de la Sainte Vierge, à laquelle Nesson dit :

Je vous donne mon corps et m'ame

Si fait pareillement ma femme,
Et vous faisant foy et hommage

De tout notre petit ménage.

Pierre Nesson déduit longuement et par d'excellentes raisons le motif qui lui fait préférer la Vierge à Jésus-Christ pour intercéder auprès de Dieu le père. Cette pièce est un chef-d'œuvre d'une naïveté qui peut paraître aujourd'hui bien malicieuse.

Le Miroir des dames, par Bouton, n'est qu'une espèce de catalogue rimé de toutes les femmes célèbres, depuis la Vierge Marie, Eve et les Sibylles, jusqu'à la femme de Pilate. Viennent ensuite des pièces anonymes: Trailliet du malheur de France, Confession de la belle fille des Ballades, la Louange des dames, le Débat de l'homme mauvais et de l'homme religieux. Le volume est terminé par un vocabulaire pour l'intelligence des mots hors d'usage contenus dans ce recueil, qui n'est pas commun.

Les quinze Joyes de mariage, ouvrage très ancien, auquel on a joint le Blason des fausses amours, le Loyer des folles amours, et le Triomphe des muses contre amour; le tout enrichi de remarques et de diverses leçons. La Haye, A. de Rogissart, 1726, pet. in-8. maroq. rouge, fil. tr. d. Derome.

Cette facétie classique n'est à cette place que pour les poésies qu'elle contient. Je reviendrai sur les Quinze joies de mariage, à son rang.

Je me suis déjà servi du mot blason sans donner sa signification : comme j'aurai souvent encore l'occasion de le rappeler, il est peutêtre utile de la faire connaître. Blasonner est un ancien verbe que la langue a malheureusement perdu, et qui nous manque; il signifiait à la fois louer et blåmer, parler d'une chose et en dire le bien et le

mal. Un blason serait donc une critique, si l'acception première de ce dernier mot avait été conservée; mais aujourd'hui le mot critique ne se prend qu'en mauvaise part.

Le Duchat, en publiant une nouvelle édition des Quinze joies de mariage, imagina d'y joindre les poésies indiquées dans le titre de cet article; ils les fit précéder d'une préface composée sur des remarques communiquées par de La Monnaye, et il les corrigea, dit-il, sur diverses leçons.

Le Blason des fausses amours est de Guillaume Alexis, communėment appelé le bon moine de Lyre, parce qu'il était religieux de cette abbaye de Bénédictins, près d'Evreux. On a faussement prétendu qu'il était mort martyrisé à Jérusalem en 1486: car un poëme intitulé le Passe-temps et des moralités en vers intitulées l'Abc des doubles, composés en 1505, lui sont encore attribués. Notre fabuliste La Fontaine, qui connaissait le Blason des fausses amours, puisqu'il l'a imité dans sa forme insolite, dans une petite pièce de vers qui fait partie de ses poésies diverses, et qui commence ainsi :

Un beau matin,
Trouvant Catin

Toute seulette,

La Fontaine, dis-je, croit que le Blason des fausses amours est de Cretin, comme celui des folles amours; il se trompe très certainement pour le premier de ces blasons, et probablement même pour le second, dont l'auteur est resté inconnu.

Le Blason des fausses amours est un dialogue entre un moine et un gentilhomme. Ce dernier soutient le parti de l'amour, dont le moine, ou l'auteur, se déclare l'adversaire. Ce dialogue est en cent vingt-six stances de douze vers dont huit sont de quatre syllabes et les quatre derniers de huit syllabes; chaque couplet est sur deux rimes. Le charme de ce rhythme consiste dans sa difficulté: car, nonobstant l'essai de La Fontaine, je ne le trouve pas heureux. On en jugera.

LE GENTILHOMME commence.

Un jour passoye
Près la saussoye,
Disant sornettes.
Là chevauchoye,
Dont je chantoye

Ces chansonnettes :
Toutes fleurettes

Sont amourettes,

C'est de plaisance la montjoye;
Bon faict toucher ses mamelettes.
Et, après plusieurs bergerettes,
Souvent je la recommencoye.

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Certes il serait fort difficile aujourd'hui même de surmonter avec plus d'adresse les entraves que s'était imposées le bon moine de Lyre. Le débat ainsi engagé se poursuit et se termine à l'ordinaire, c'està-dire en laissant la question indécise.

Le Loyer des folles amours est sur le même sujet il conclut plus positivement contre l'amour.

Le sujet du Triomphe des Muses contre Amour est indiqué par son titre; mais il s'en faut de beaucoup que ce petit poëme fort court soit aussi piquant et aussi bien écrit que les deux précédents.

Blasons, poésies anciennes des XV et XVIe siècles ex

traites de différents auteurs imprimés et manuscripts par M. D.-M. M*** (Méon). Paris, Guillemot, 1809, in-8. d. rel.

Nous avons vu que ce qu'on appelait blason était une pièce de poé

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