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Qu'un homme est misérable à l'heure du trépas,
Lorsqu'ayant négligé le seul point nécessaire,
Il meurt connu de tous, et ne se connoist pas !

Enfin, la Furetieriana contient une élégie et une églogue en vers de Hénault. Ce sont les deux plus longues pièces que je connaisse de cet auteur.

Parmi les pièces qui composent le recueil que j'examine, et dont le détail est porté sur le titre même du livre, la plus remarquable à mon gré est une Lettre à Sapho, mi-partie prose et vers, adressée à madame Deshoulières, élève en poésie d'Hénault. Cette lettre est remplie de grâce, d'esprit et d'aimable galanterie. Ce volume contient aussi le célèbre sonnet de l'Avorton.

On ne saurait m'accuser de prévention contre Boileau; ainsi je dois inspirer quelque confiance quand je dis qu'il a commis une injustice, ou au moins une erreur, en accolant Perrin, Bardin, Pradon, avec Hénault. Ce dernier est très supérieur à tous ceux avec lesquels il est ici confondu, et toutes les raisons que l'on a données pour justifier Despréaux à ce sujet sont insuffisantes.

1670. Les OEuvres en vers et en prose de Monsieur de Marigny. Paris, Charles de Sercy, 1674, in-12. v. fauv. (Rare.)

Le Pain bénit de Monsieur l'abbé de Marigny, 1673, pet. in-8. dem. rel. d. de maroq. non rogn.

Marigny était fils d'un officier de Nevers nommé Charpentier. Connaissant la princesse Marie, il alla à Mantoue, de là à Rome, où Tallemant des Réaux dit l'avoir vu misérable. De retour à Paris, il trouva moyen d'être secrétaire de M. Servien, qui allait à Munster; mais il le quitta en Hollande, et s'en alla en Suède, où par son esprit il se fit bien venir de Christine. Au retour de ce voyage, vers 1647, il fut attaché au coadjuteur, cardinal de Retz, qu'il servit dans toutes les intrigues de la Fronde. Joly nous apprend, dans ses mémoires, que les meilleures pièces de vers satiriques, chansons, triolets, etc., publiées pendant le blocus de Paris, contre le cardinal de Mazarin, et recueillies par quelques amateurs sous le titre de Mazarinades, sont de Marigny. Pendant la réclusion du cardinal de Retz, Marigny passa au service du prince de Condé, et le suivit en Flandre, d'où il

écrivit les lettres mi-partie prose et vers qui sont comprises dans ses œuvres. Partout son esprit épigrammatique et son caractère remuant lui attirèrent de fâcheuses affaires. Cependant Saint-Amand nous le peint comme un gros homme, jovial et franc, aimant le vin et la bonne chère, enfin ce qu'on nommerait aujourd'hui un bon enfant, espèce souvent insupportable. Marigny, de retour à Paris, y mourut d'apoplexie en 1670. Il n'était pas fort âgé.

Marigny, qui n'a composé que des pièces de peu d'étendue et presque toutes de circonstance, ne prit point la peine de les rassembler; elles étaient éparses dans les recueils du temps, où Charles de Sercy prit soin de les recueillir pour en former le volume dont je rends compte. Il ne contient qu'une très petite partie de ses poésies.

contre

Le Pain bénil est une satire spirituelle, mais assez brutale, les marguilliers de paroisse imposant le pain béni et grossissant les frais d'enterrement, etc. Cette boutade, car ce n'est que cela, est négligemment écrite, mais elle trouverait encore aujourd'hui son application. Cet exemplaire contient une réponse au Pain bénit; réponse de quelque marguillier mécontent qui ne répond aux faits cités dans la satire de Marigny que par des injures personnelles, c'est-à-dire qu'elle ne répond à rien.

Marigny est encore un de ces poëtes amateurs d'un esprit fin et caustique, mais souvent jusqu'au cynisme. En écrivant à la reine de Bohême pour se plaindre et lui demander vengeance d'une mésaventure qui lui était arrivée dans ses états, il termine sa lettre par ces mots : « Votre très humble, très obéissant, et très bastonné serviteur. >>

1628-1670. La Madelaine au désert de la Sainte-Baume en Provence, poeme spirituel et chrétien, par le P. Pierre de Saint-Louis, religieux carme de la province de Provence. Lyon, Jean-Baptiste et Nicolas Deville, 1700, in-12. v. m. (Bel exemplaire.)

L'Eliade, ou triomphes et faits mémorables de saint Elie, poeme héroïque divisé en trois chants, par le R. P. Pierre de Saint-Louis, carme; précédé d'une notice historique sur l'auteur, par M. l'abbé Follard. Aix, Augustin Ponthier, 1827, in-8. pap. vél. dem. rel.

Pierre de Saint-Louis, né à Vauréas, comtat d'Avignon, en 1628, se livra de bonne heure à la poésie difficile, c'est-à-dire aux acrostiches, aux anagrammes, aux rébus, aux logogriphes, etc., et il n'en perdit jamais l'habitude. A peine âgé de 23 ans il était sur le point d'épouser une demoiselle qu'il aimait, nommée Madeleine, lorsqu'elle mourut de la petite vérole. De désespoir il se fit carme, et entra dans l'ordre en 1651. Le souvenir de sa double passion poétique et amoureuse n'était pas éteint. Il se résolut de prendre la patronne de sa fiancée pour héroïne d'un poëme. Profitant des courts loisirs que lui laissait la régence du collège de Saint-Marcelin en Dauphiné, dont il avait été chargé, il mit plusieurs années à composer son ouvrage. Enfin, et avec l'autorisation difficilement obtenue de ses supérieurs, il fit imprimer la Madelaine au désert de la Sainte-Baume, qui resta presque en feuilles et inconnue chez le libraire. Dix ans après, Nicole ayant trouvé ce livre dans la bibliothèque des Billettes, le porta à Port-Royal-des-Champs. Dès lors le succès du livre fut assuré, on se l'arracha; l'édition, bientôt épuisée, fut suivie de plusieurs autres ; mais le bon religieux était mort vers 1670, un an environ avant la vogue de son livre. L'oubli dans lequel avait été laissé jusque là le poëme de la Madeleine n'avait pas toutefois découragé l'auteur : il en avait terminé un autre sur le fondateur de son ordre, le prophète Elie, qu'il intitula l'Eliade, s'applaudissant de ce trait de ressemblance avec l'Iliade. Celui-ci ne fut pas imprimé du vivant de l'auteur. Un curieux, entre les mains duquel il tomba bientôt, voyant le succès de la Madeleine, voulut publier l'Eliade; mais le provincial et les docteurs de l'ordre des Carmes s'y opposèrent, trouvant, dit l'abbé Follard, que le monde serait trop riche s'il contenait deux poëmes de cette espèce. L'Eliade donc ne fut imprimée qu'en 1827, pour la première fois, par les soins du docteur Ponthier, savant bibliographe et libraire à Aix.

Mon exemplaire du poëme de la Madeleine est de l'une des anciennes éditions. Elles étaient devendes si rares, que La Monnaye crut devoir faire réimprimer le poëme dans son recueil de pièces choisies. (V. 1714.) Il l'a fait précéder d'un jugement fort judicieux qu'il porte sur ce chef-d'œuvre de pieuse extravagance : « On ne reproduit ici cet ouvrage, dit-il, que pour divertir le lecteur par le ridicule de la composition. Tous les défauts que les écrivains évitent avec soin, le bon moine auteur de cette pièce originale s'est rendu ingénieux à les rechercher. On peut dire qu'il y a réussi, et que, si l'on

avait proposé un prix de poésie pour les vers où entrerait le phœbus le plus raffiné et le galimatias le plus exquis, le poëme de la Madeleine l'aurait infailliblement emporté, etc. » Maintenant c'est par quelques extraits, selon mon usage, que je ferai connaître le poëme. Madeleine, dans sa solitude de la Sainte-Baume, est en contemplation devant une tête de mort, ou plutôt de morte :

Sur ce portrait sans masque, où tout lui peut parètre,
Elle voit ce qu'elle est, et ce qu'elle doit estre ;
Et, regardant toujours ce tèt de trépassé,
Elle y voit le futur dans ce présent passé.....
C'est ainsi qu'elle trouve en cette tragédie
De toutes les vertus une encyclopédie,
Et c'est sa discipline et tous ses chastimens
Qui lui font commencer ses rudes rudimens,
Pour de là s'eslever aux sciences plus hautes
Et pouvoir discerner la moindre de ses fautes.
Dans cette basse classe elle veut corriger
Ses manquemens commis d'un esprit trop léger,
Quoiqu'elle soit encor novice ou néophyte ;
Mais, dans l'obscurité d'un ciel cimmérien,
Ce qui la fait trembler pour son grammairien,
C'est de voir, par un cas du tout déraisonnable,
Que son amour lui rend la mort indéclinable,
Et qu'actif comme il est, aussi bien qu'excessif,
Il le rend à ce point d'impassible passif.

O que l'amour est grand et la douleur amère,
Quand un verbe passif fait toute sa grammaire !
La muse pour cela me dit, non sans raison,
Que toujours la première est sa conjugaison,...
Sachant bien qu'en aimant, elle peut tout prétendre
Comme tout enseigner, tout lire et tout entendre.
Pendant qu'elle s'occupe à punir le forfait

De son temps prétérit, qui ne fut qu'imparfait;
Temps de qui le futur réparera les pertes
Par tant d'afflictions et de peines souffertes,
Et présent est tel, que c'est l'indicatif

D'une amour qui s'en va jusqu'à l'infinitif. Etc.

C'est par ces jeux de mots, peu faciles à comprendre, que la sainte

recluse aimait à se distraire pendant ses trente-trois ans de solitude dans son rocher; bien différente en cela des femmes du monde, dont le bon moine peint aussi les occupations dans leurs cabinets.

Les livres que j'y vois de diverses peintures

Sont les livres des roys, non pas de l'Ecriture.

J'y remarque au dedans différentes couleurs :

Rouge aux carreaux, aux cœurs, noir aux piques, aux fleurs ;
Avecque ces beaux roys je vois encor des dames,

De ces pauvres maris les ridicules femmes.

Battez, battez-les bien, battez, battez-les tous;
N'épargnez pas les roys, les dames ni les fous.....
Renoncez à carreaux, à cœurs, à fleurs, à piques,
Suivant de poinct en poinct ces deux suivants distiques.
Piquez-vous seulement de jouer au piquet,

A celui que j'entends, qui se fait sans caquet;
J'entends que vous preniez parfois la discipline,

Et qu'avec ce beau jeu vous fassiez bonne mine..... Etc.

Et il y a en douze livres, à peu près 6,000 vers, de cette sorte! Le poëme de l'Eliade, en trois chants, contient environ 2,400 vers; il est peut-être moins ridicule; mais il est, par cette même raison, tout simplement ennuyeux. Ce qui distingue la muse du père Pierre de Saint-Louis, c'est une originalité que l'auteur n'ambitionnait pas. Le poëme de la Madeleine cause à sa lecture un sentiment d'hilarité imprévu, dont la source est dans le sérieux imperturbable d'un poëte qui croit être grave et qui ne s'aperçoit pas combien prête au ridicule la bassesse d'un style en contraste avec l'exagération de ses peintures et l'emphase des mots qu'il emploie à décrire les choses les plus triviales. Dans l'Eliade, le poëte est infiniment plus sobre de ces figures, de ces métaphores, qui lui avaient valu une place dans la bibliothèque de Voltaire. (Lettre à Thiriot du 7 février 1738.) Il devient vulgaire et plat.

1671. Godefroy, ou la Jerusalem délivrée, poeme heroïque (du Tasse), traduit en vers françois (par Vincent Sablon). Paris, 1671, 2 vol. in-16. fig. rel. en vél. n. rogn.

Vincent Sablon, né à Chartres, n'est connu que par l'Histoire de l'église de Chartres, et celte traduction de la Jérusalem de Torquato Tasso. Elle est ce qu'on appelle complète, c'est-à-dire que Vin

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