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mière contient d'assez belles strophes, et une, entre autres, trop connue pour que je la rapporte. Elle lui valut du cardinal une pension de 1,000 écus. Il en obtint une autre de 1,500 liv. du cardinal Mazarin, une troisième encore de 2,000 livres du duc de Longueville. Chargé en 1662 par Colbert de désigner les hommes de lettres dignes des bienfaits de Louis XIV, Chapelain fit un travail qui fut adopté, qui nous est resté, et qui prouve l'esprit exact et conscencieux de Chapelain, non moins que l'impartialité, et, j'oserai dire, la générosité de son caractère, car il y porta ses détracteurs les plus violents. Protégé tour à tour par Richelieu, Mazarin et Colbert; familier à l'hôtel de Rambouillet; ami des ducs de Montausier et de Longueville, de Balzac, de Vaugelas, de Ménage, de Lancelot, du grand Arnault; lié avec tout ce qu'il y avait alors de célébrités en Europe, la puissance littéraire de Chapelain était immense; il en fit un bon et honorable usage, et protégea entre autres le jeune Racine, auquel il fit obtenir par sa recommandation une gratification de cent louis pour son ode intitulée la Nymphe de la Seine, faite au mariage du roi ; mais il ne sut contenter tout le monde. La publication des douze premiers livres de son poëme de la Pucelle, que Chapelain avait été trente ans à méditer et à composer, fit tomber en moins de deux années cette haute réputation, à laquelle Boileau-Despréaux porta les coups les plus sensibles.

Dans tous les temps les grands seigneurs, et plus encore les ministres, ont eu à leur solde de ces gens de lettres comme il s'en rencontrera toujours, complaisants, prêts à se rendre utiles et surtout agréables, mettant leurs Mécènes au courant de tout ce qui s'écrit, et fournissant des jugements tout faits; cela épargne du temps, des connaissances et de l'esprit aux protecteurs, qui reconnaissent ces services par des pensions ou des grâces. On devrait s'estimer fort heureux quand on rencontre pour faire ce triste métier des hommes comme l'honnête Chapelain. Et cependant les faveurs dont il est l'objet excitent l'envie; on ne veut pas

Aller, bas et rampant, fléchir sous Chapelain.

On lui reproche

D'être le mieux renté de tous les beaux-esprits. Etc., etc.

Aussi n'est-ce pas sans de cruelles appréhensions que le pauvre homme se décide à publier son poëme, sur lequel est fondée une gloire de trente années. Voyons sa préface :

« Je fay si peu de fondement, pour le bon succès de ce poeme, sur l'impatience qu'on a tesmoignée de sa publication, que je considère un si grand honneur comme son plus grand désavantage car, sans parler de ceux qui n'ont souhaité de le voir que pour y trouver à redire, il est certain que ceux-là mesmes qui l'ont désiré pour leur divertissement en auront un plus grand dégoût, si les grâces et les beautés n'y répondent pas à leur attente, que s'ils ne l'eussent point désiré du tout, et qu'il se vint offrir à leurs yeux comme une chose toute nouvelle....... Ceux qui me connoissent sçavent que je me connois, et que, n'ayant jamais eu d'orgueilleuses pensées de la médiocrité de mes forces, je n'en ay aussi jamais dit que ce que j'en ay pensé. Ils sçavent encore que les louanges anticipées de quelques personnes officieuses n'ont été souffertes par moi qu'avec beaucoup de peine, et que j'ai toujours appréhendé qu'elles ne m'engageassent à soutenir une réputation plus grande que ma faiblesse me le permettoit. » Ceci est de la modestie réelle, en voici qui l'est peut-être un peu moins : « Je n'ay point creu égaler les princes du Parnasse; bien moins atteindre au but où ils ont inutilement visé. J'ay apporté seulement à l'exécution de mon projet une passable connoissance de ce qui estoit nécessaire pour ne le pas faire irrégulier, et une persévérance assez ferme pour ne m'en pas laisser divertir, ni par les charmes du plaisir, ni par les tentations de la fortune. Je n'eus mesme autre pensée, quand je m'attachay à cet ouvrage, que d'occuper innocemment mon loysir, lorsqu'après une vie fort agitée je préféray la tranquillité de la retraitte à la turbulence de la cour. >>

Les détracteurs de Boileau, ne pouvant en conscience défendre les vers de Chapelain, ont dit, et on l'a répété jusqu'au commencement de ce siècle, que, si Chapelain était un versificateur sans grâce, c'était un littérateur savant et habile; que son poëme, mal exécuté, était admirablement conçu ; et comme il ne s'était trouvé personne qui eût la volonté ou plutôt le courage d'apprécier par soi-même la rectitude de ce jugement, on aima mieux y croire que d'y aller voir. Or, selon mon usage, je veux mettre chacun à portée de juger de la conception, de la composition du poëme de la Pucelle.

Donc le bon Chapelain, au lieu de peindre la France envahie et saccagée, le peuple ruiné et décimé, le roi tellement livré aux voluptés, qu'une de ses maîtresses lui en fait honte; les grands se combattant entre eux, et, loin de se réunir contre l'Anglais, l'ennemi commun, l'appelant au contraire; quand apparaît une pauvre et simple fille,

pleine de courage et de bonne foi, qui presque par sa seule présence au milieu des débris d'une armée détruite ranime l'espoir dans des cœurs abattus, retrempe des esprits amollis, marche la première, combat, triomphe, et délivre sa patrie de la présence des étrangers; au lieu, dis-je, de traiter ce sujet tout naturellement, comme l'idée lui en était venue sans doute, puisqu'elle se serait présentée à tout le monde, Chapelain trouve ce magnifique sujet trop simple et commun. Toutefois il est vrai de dire que son bon sens lui avait indiqué le ridicule des conceptions romanesques de Scudéri et du père Lemoyne. Il ne chercha pas à intéresser par des épisodes étrangers à son action; il ne fit point usage des machines italiennes de la magie et des enchantements; en cela il se montra en effet plus sage que ses modernes devanciers; mais le fut-il quand il imagina de remplacer le merveilleux, sans l'intervention duquel il n'y a point d'épopée, dit-il, par une allégorie métaphysique? Selon lui la France, c'est l'âme de l'homme en guerre avec elle-même; Charles VII, c'est la volonté portée tantôt au bien, tantôt au mal; l'Anglais et le Bourguignon, c'est le transport de l'appétit irascible; Agnès est l'appétit concupiscible; Dunois est la vertu; Tanneguy l'entendement, et la Pucelle, c'est la grâce divine. Fiat lux! Et La Harpe, qui dans son cours de littérature transcrit toute la partie de la préface de Chapelain où il expose ce système, La Harpe lui-même, apparemment pour justifier son maltre Voltaire d'avoir employé des machines allégoriques dans sa Henriade, loue Chapelain de son jugement; il trouve que son ouvrage n'est pas déraisonnable par le fond. Mais qu'est-ce que le fond d'un poëme si ce n'est le système d'après lequel il est conçu, qui a dirigé son exécution? Et qu'y a-t-il au monde de plus déraisonnable que le mystère, comme dit Chapelain, ou le mythe, comme on dirait aujourd'hui, qui recouvre tout son poëme ?

Je ne saurais donner une analyse détaillée du sujet de ce poëme, puisqu'il n'est pas complet: douze livres sur les vingt-quatre que devait contenir l'ouvrage ont été seulement publiés. Mais comme jusqu'ici l'on n'a fait connaître de Chapelain que les vers qui ont à juste titre motivé les satires de Boileau, je veux maintenant citer le meilleur passage, je crois pouvoir l'affirmer, que contient le poëme, ou, pour parler plus exactement, les douze premiers livres de la Pucelle. Ce passage se trouve au tiers environ du premier livre.

Loin des murs flamboyans qui renferment le monde,
Dans le centre caché d'une clarté profonde,

Dieu repose en lui-mesme, et, vestu de splendeur
Sans bornes, est remply de sa propre grandeur.
Une triple personne en une seule essence:
Le supresme pouvoir, la supresme science
Et le supresme amour, unis en trinité,
Dans son règne éternel forment sa majesté.
Neuf corps d'esprits ardents, de ministres fidèles,
Devant l'estre infiny, soustenus sur leurs ailes,
Dans un juste concert de différens dégrés,
Chantent incessamment des cantiques sacrés.
Sur son trosne estoillé, patriarches, prophètes,
Apostres, confesseurs, vierges, anachorètes,
Et ceux qui par leur sang ont cimenté leur foy,
L'adorent à genoux, saint peuple du saint roy.
Debout, à son costé, la vierge immaculée,
Qui, de grace remplie et de vertu comblée,
Conçeut le rédempteur en son pudique flanc,
Entre tous les eslus obtient le premier rang.

Ces vers ne sont point barbares, ils ont du nombre, et même une certaine pompe qui n'est pas indigne du sujet ; mais, je le répète, ce sont les seuls vingt vers de suite qu'il soit possible de citer favorablement dans tout le volume.

L'avarice sordide de Chapelain était devenue proverbiale. Forcé par l'usage de donner son livre à quelques amis, il imagina d'en associer deux pour ne leur donner qu'un exemplaire. Surpris par un orage en se rendant à l'Académie, il traversa à pied un ruisseau débordé pour ne point payer d'un liard le passage sur une planche; il assista ensuite à la séance de l'Académie, où il fut saisi par le froid. Il avait alors 79 ans. Mort par suite de ce refroidissement, on trouva chez lui, en espèces, deux cent quarante mille livres; il en avait treize mille de revenu.

Il faut pourtant remarquer que, quelle que fût l'avarice de cet homme, l'amour des lettres l'emportait encore chez lui sur l'amour de l'argent, puisque, pour se livrer exclusivement à celles-ci, Chapelain refusa l'occasion d'augmenter sa fortune par les emplois honorables et lucratifs qui lui étaient offerts.

1614

1674. Recueil de Pieces en prose et en vers. Caen, Jean Cavelier, 1671, in-12. dem. rel.

Ce livre est de Moisant de Brieux, né à Caen, d'une noble famille, en 1614. Il étudia à l'académie de Sedan avec le duc de Montausier, qui resta son ami. De Brieux était protestant; pourvu d'une charge de conseiller au parlement de Metz, des principes de religion, dit-on, l'en firent démettre, et il revint à Caen, où il fonda une sorte d'académie, qui se réunissait chez lui d'abord, et ensuite chez Segrais. Moisant de Brieux passait pour faire les vers en latin mieux qu'en françois, et c'est possible; mais le fait est qu'il n'est pas poëte du tout. C'était un homme de bonne compagnie, spirituel, aimable, et fort instruit, surtout en antiquités françaises. Après ce petit livre, qui est fort rare, de Brieux publié un autre volume, moins rare peut-être, mais beaucoup plus recherché, et avec raison, intitulé : Les Origines de quelques coutumes anciennes et de plusieurs façons de parler triviales, avec un vieux manuscrit en vers touchant l'origine des chevaliers bannerets. Caen, Jean Cavelier, 1672. Ce volume, qui fait partie de ma bibliothèque, est extrêmement curieux. Les lettres qui font partie du recueil de pièces valent aussi beaucoup mieux que ses vers, vers presque tous de circonstance, avec des explications en prose aussi, et quelquefois plus longues que la pièce de vers, que l'on ne comprendrait pas sans ce préambule obligé.

15951676. Les Promenades de Richelieu, ou les Vertus chrestiennes, dédiés à madame la duchesse de Richelieu, par J. Desmarests, conseiller du roi, contrôleur général de l'extraordinaire des guerres, secrétaire général de la marine du Levant, et intendant de la maison et affaires de M. le duc de Richelieu. Paris, Henry Legras, 1653, in-12. v. gran. fil.

Les Quatre livres de l'Imitation de Jésus-Christ traduits en vers par J. Desmarests. Paris, Pierre Le Petit et Henry Legras, 1654, in-12. v. v. fil.

Le Combat spirituel, ou de la perfection de la vie chrestienne, traduction faite en vers par J. Desmarests, imprimé au château de Richelieu. Paris, Pierre Le Petit et Henry Legras, 1654, in-8. v. g. fil.

Clovis, ou la France chrestienne, poëme héroïque enrichy

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