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honneurs même de l'Apothéose; enfin, par tous les monumens publics inventés chez les Peuples divers pour immortaliser les talens. De-là ils sont encore une nation chère et sacrée aux mortels; avantage souvent refusé aux nourrissons des autres Sciences. On évite un Sophiste, on néglige un Géomètre; on fuit un Critique, on siffle un Chymiste, à peine remarque-t-on un Grammairien; on aime au contraire, on recherche un Elève de l'Harmonie, il est le citoyen de toutes les contrées, l'homme de toutes les heures, l'égal de tous les hommes de goût et de sentiment, le monde entier est de sa patrie. De-là vient encore que le souvenir des Musiciens illustres des siècles supérieurs est beaucoup plus aimable et plus précieux à l'esprit et à l'humanité, que le souvenir des Conquérans les plus renommés ; faux Héros, Tyrans réels, les Conquérans étoient nés pour la perte du monde, les Musiciens illustres pour son bonheur : les uns, avides de funérailles, ont porté les larmes, la discorde, la mort; les autres, toujours bienfaisans, toujours applaudis, ont porté par-tout la Paix, la Concorde, le Plaisir la Terre consternée s'est tue devant ceux-là; par ceux-ci, la Terre rassurée a retenti de sons pacifiques les Conquérans, couronnés de sanglans lauriers, sont sortis de la vie souvent par une fin

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précoce, toujours chargés de la haine des peuples indignés, perdus sans être pleurés; les Musiciens fameux, couronnés de myrthe et de roses, et paisiblement expirés, ont emporté chez les morts les regrets des Nations. Oui, le nom d'un tendre Orphée sera toujours plus chèrement gardé au Temple de Mémoire, que le nom d'un fougueux Alexandre.

Telle est la noblesse de la Musique, noblesse fondée sur l'antiquité de son origine, illustrée par sa puissance suprême, confirmée par la vénération de tous les tems et de tous les Peuples; mais aux preuves de sa dignité, joignons celles de son utilité, louanges pour cet Art plus délicate encore que la première.

SECONDE PARTIE.

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QUAND la Musique ne seroit qu'un Art enjoué, qu'une Science riante et de pur agrément, par-là même ne seroit-elle pas une Science utile, Art même nécessaire ? Car est-il rien de plus nécessaire à l'homme qu'un plaisir innocent? Le plaisir n'est-il pas chaque jour un des besoins de l'Humanité? Mais allons à la conviction par des routes moins détournées. La République doit à l'Harmonie de plus solides bienfaits que des plaisirs infructueux. Je sais, Messieurs, que j'avance un paradoxe, disons mieux, une vérité peu développée, mais à qui il n'a manqué que l'occasion d'éclore : osons donc l'amener à la lumière, lui donner ses couleurs, et la revêtir de toutes les preuves que la reflexion et l'expérience offrent de nous en fournir; au reste, je ne hasarde point un sentiment isolé et sans Auteurs, quand je soutiens que le mérite de la Musique ne se borne point au gracieux, et qu'il s'étend jusqu'à l'utile ; je ne fais que me ranger au sentiment reçu chez la sage Antiquité. En effet, si l'importance de cet Art n'avoit été dès-lors re

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connue, les Législateurs de l'Egypte, de la Perse, d'Athênes, les Maîtres des Nations auroient-ils fait une loi de l'Harmonie? S'ils n'avoient jugé sa durée nécessaire aux destins heureux des Empires, l'auroient-ils fait marcher de front avec la Religion? L'auroient-ils munie de ce sceau consacré par la main de l'Immortalité même ? Lycurgue, en voulant former une République de Héros, auroit-il inscrit l'Harmonie dans le Livre austère des Lois de Lacédémone? Auroit-on lu cette inscription sur la façade de l'Ecole de Pythagore : Loin d'ici, Profanes; que personne ne porte ici ses pas, s'il ignore l'Harmonie; Profanes, loin d'ici. Platon en auroit-il admis l'étude dans sa République de Sages, ou d'autant de Dieux ? Aristote, son Disciple, et dans d'autres Philosophes, Héros du Lycée, du Portique, du Prytanée, du Capitole, en auroient-ils recommandé l'usage comme d'une science également née pour le bien des mœurs, pour les progrès des vertus pour l'embellissement des Arts, pour l'union des humains, pour la paix du monde? Voilà les Maîtres dont j'apprends l'utilité de l'Harmonie : si je m'égare sur les traces de ces guides illustres, il est plus beau d'errer par cette hardiesse généreuse à dévoiler des vérités nouvelles qu'offre un hasard heureux, que de ramper avec ces ames

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foibles, ces esprits trop sages ou trop superstitieux, ces génies serviles qui n'osent sortir un instant du cercle des vérités établies, ni marcher dans des routes, s'ils n'y trouvent des vestiges. Mais non, Messieurs, ce n'est point par la date ancienne de ce sentiment, ni par les grands noms de ses premiers partisans que je dois vous persuader; sans prétendre subjuguer votre raison ni forcer votre consentement, je veux que, convaincus par vos lumières, vous vous rendiez vousmêmes à l'évidence.

Nous pouvons envisager la République sous deux rapports, et comme un Etat politique, et comme un État littéraire. Une science, pour mériter le nom d'utile, doit également contribuer au bonheur du premier et à l'embellissement du second; elle doit, pour le bonheur de la Répu blique politique, épurer, polir les mœurs, adoucir, rectifier les passions, unir, associer les esprits des Citoyens, elle doit, pour la gloire de la République littéraire, enrichir, aider, embellir les Arts savans: or, peut-on contester à l'Harmonie ce double titr Utile aux mœurs qu'elle purifie, utile à l'union des esprits, elle est conséquemment utile à la République politique; utile aux doctes Arts qu'elle embellit, elle est utile conséquemment à la République littéraire.

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