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Molière pensoit toujours juste, disoit Despréaux, mais il àvoit quelquefois moins de justesse de style, parce que sa facilité naturelle de travail, la nécessité de pourvoir aux besoins d'une troupe dont il étoit le père, l'obligation de satisfaire trop souvent aux ordres de la cour, l'avoient habitué à ne point revenir sur ses pas. C'est ainsi qu'il s'étoit permis, dans cette scène, deux vers que Despréaux lui corrigea sur-le-champ, et dont il adopta la correction. Voici la manière dont il les avoit

faits:

Quand sur une personne on prétend s'ajuster,
C'est par les beaux côtés qu'il la faut imiter.

Le changement que Despréaux y fit est bien peu

considérable; et presque tous ceux dont le style de Molière auroit besoin, se feroient aussi aisément.

SCENE IV.

2 Il faut en convenir en partie avec le comte de Bussi; quelque disposée que soit une fille à croire que tout le monde est amoureux d'elle, on ne conçoit pas qu'elle aille jusqu'à vouloir persuader à quelqu'un qu'il est son amant, lorsqu'il l'assure positivement qu'il n'en est rien. C'est ici un de ces traits qui faisoient dire à Despréaux que Molière passoit quelquefois le but; seul écueil à redouter pour les esprits exercés à l'atteindre. Malgré cela Belise n'est point, comme l'assure M. de Rabutin, une foible copie de l'Hespérie des Visionnaires, qui croit que c'est pour elle qu'est venu le roi d'Ethiopie,

ACTE II.

SCENE III.

3 Le ridicule de Belise, dans cette scène, ne choqueroit

point la nature des folles de son espèce, si Clitandre, dans la scène quatrième du premier acte, lui avoit laissé quelque doute sur la passion qu'elle lui suppose pour elle. Mais, comme on l'a remarqué, Clitandre, en lui disant qu'il veut être pendu s'il l'aime, n'a dû lui laisser aucune confiance; et Molière, à cet égard, doit paroître au-delà de la vraisemblance dont il s'est rarement écarté dans ses ouvrages importans. Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu'en faveur du comique qui résulte d'une scène, ces règles de vraisemblance théâtrale sont forcées de s'étendre plus ou moins; mais n'oublions pas que le rire seul en justifie l'extension.

SCENE IV.

4 C'est à cette scène que commence le développement du caractère admirable de Chrysale. La sotte fatuité d'un mari, qui, dans l'absence de sa femme, veut qu'on la croye sonmise à son autorité, et qui devient, en sa présence, foible, tremblant, et pusillanime, étoit un des tableaux les plus heureux et les plus vrais qu'on pût offrir sur la scène comique. Plus d'un des successeurs de Molière en ont offert la contre-épreuve avec succès. Une des dernières est celle de Géronte dans le Méchant, aussi petit devant sa sœur que Chrysale devant sa femme.

Le spectateur ne tarde guère à s'appercevoir que le bonhomme s'est vanté, en disant qu'il répondoit de sa femme pour le choix du mari de sa fille, lorsqu'il le voit, à la scène sixième du même acte, ne pouvoir soutenir sa servante chassée par cette même femme, dont l'oreille a été blessée par l'impropriété d'un mot sauvage et bas.

SCENE VI.

5 Ne servent pas de rien. La grossière et bonne Martine ne fait ici que la faute qu'on trouve dans une comédie de l'académicien Boisrobert, intitulée la Folle Gageure, et jouée en 1651, scène seconde.

Et le tems qui nous reste à demeurer ici

Ne sauroit pas mieux être employé qu'en ceci.

SCENE VII.

6 Le bon sens de Chrysale est admirable dans cette scène: le tour qu'il y prend pour adresser à Belise, sa sœur, tout ce qu'il n'ose dire en face à sa femme, est de son caractère, et d'un comique excellent. Voilà les hommes peints d'après la vérité. C'est à de pareilles contradictions qu'on reconnoît la nature. Le ridicule de sa pusillanimité s'associe avec la force du jugement le plus sain.

dit-il,

Raisonner est l'emploi de toute ma maison,

Et le raisonnement en bannit la raison.

Vers étonnant pour sa précision comme pour sa force, et qui peut servir d'épigraphe à l'histoire de notre siècle. C'est ce même Chrysale qui annonce M. Trissotin qu'il nous peint d'un seul trait:

On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé.

7 Un esprit composé d'atômes plus bourgeois. On trouve dans le Carpentariana que ce trait est une imitation de ce que disoit Néoclès de son frère Epicure, que "lorsqu'il fut conçu, "la nature rassembla dans le ventre de sa mère tous les

"atômes de la prudence." On n'a point fait cette remarque pour appuyer l'observation du sieur Charpentier, mais pour avertir qu'il a eu tort de mettre ce mot dans la bouche des Précieuses, et qu'il falloit dire des Femmes Savantes.

SCENE VIII.

8 Si Chrysale, dans la scène précédente, a si bien soutenu la double nuance de son caractère d'homme foible et sage, Philaminte, dans celle-ci, établit aussi fortement celui d'une femme impérieuse et vaine; puisque c'est au moment même que son époux vient de lui montrer sa répugnance pour Trissotin, qu'elle lui désigne pour gendre ce bel esprit ridicule dont elle est infatuée. C'est de Molière qu'il faudra toujours apprendre à peindre un caractère, non par des vers ingénieux, mais toujours par l'action.

SCENE IX.

9 Du nom de philosophe elle fait grand mystère. Ce seroit un éloge pour Philaminte, de faire grand mystère du nom de philosophe, et ce n'est pas l'intention de Chrysale de louer sa femme en cet endroit. Ce qui suit sembleroit demander, au contraire, qu'il eût dit qu'elle fait grand étalage de ce nom, mais qu'elle n'en est pas pour cela moins colère. On ne voit que la rime qui s'y soit opposée. Les Remarques Grammaticales ont observé que le mot mystère étoit impropre.

10 Chrysale, échauffé par son frère, rougit de sa foiblesse, et ferme cet acte par la résolution d'être maître chez lui. C'est souffrir trop long-tems, dit-il, et je m'en vais être homme à la barbe des gens. C'est aux gens de l'art à remarquer ici avec

quel génie Molière soutient la curiosité de ses spectateurs, et avec quelle adresse il leur fait suivre le mouvement qu'il donne à sa fable.

ACTE III.

1 Il n'y avoit pas moyen de méconnoître Cotin dans cet acte, puisque le Sonnet à la princesse Uranie, composé pour madame de Nemours, étoit de lui, ainsi que le Madrigal. Despréaux avoit fourni ces deux pièces de vers à son ami *.

Le choix n'en pouvoit être plus heureux; elles réunissoient tous les ridicules que vouloit foudroyer Molière. Equivoques fades, plats jeux de mots, expressions lâches, style entortillé et précieux, tout s'y trouve, et l'admiration extatique du comité bourgeois qui les écoute, est la plus piquante raillerie qu'on ait pu faire de pareilles lectures, dont il n'est pas difficile de rétrouver encore des copies dans Paris, parce que dans cette ville immense un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire.

A ce premier trait de ressemblance la tradition ajoute que Molière fit acheter un des habits de Cotin; mais Trissotin, destiné à être le gendre de Chrysale, ne dut point paroître dans la pièce sous un habit ecclésiastique. L'acteur ne pouvoit au plus que l'imiter dans le son de la voix, et dans l'habitude ex

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*C'est ainsi que Rabelais, ayant voulu peindre le poëte Cretin sous le de nom Rominagrobis, que va consulter Panurge, fait réciter à ce poëte un Rondeau imprimé dans le recueil de Cretin. Prenez-la, ne la prenez pas," etc. Le sonnet à la princesse Uranie et le madrigal se trouvent dans les œuvres de Cotin, imprimées en 1663, chez Etienne Loyson.

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