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A de plus beaux objets élevez vos desirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs *;
Et, traitant de mépris b les sens et la matière,

A l'esprit, comme nous, donnez-vous toute entière.
Vous avez notre mère en exemple à nos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux ;
Tâchez, ainsi que moi, de vous montrer sa fille;
Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,

Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs
Que l'amour de l'étude épanche dans les cœurs.
Loin d'être aux lois d'un homme en esclave asservie,
Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,

Qui nous monte au-dessus de tout le genre-humain,
Et donne à la raison l'empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale,

Dont l'appétit grossier aux bêtes nous ravale.
Ce sont là les beaux feux, les doux attachemens
Qui doivent de la vie occuper les momens;
Et les soins où je vois tant de femmes sensibles,
Me paroissent aux yeux des pauvretés horribles.
HENRIETTE.

Le ciel, dont nous voyons que l'ordre est tout puissant,
Pour différens emplois nous fabrique en naissant;
Et tout esprit n'est pas composé d'une étoffe
Qui se trouve taillée à faire un philosophe.
Si le vôtre est né propre aux élévations
Où montent des savans les spéculations,

Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre-à-terre,
Et dans les petits soins son foible se resserre.
Ne troublons point du ciel les justes réglemens,
Et de nos deux instincts suivons les mouvemens.
Habitez, par l'essor d'un grand et beau génie,
Les hautes régions de la philosophie,
Tandis que mon esprit, se tenant ici-bas,
Goûtera de l'hymen les terrestres appas.

Ainsi, dans nos desseins, l'une à l'autre contraire,
Nous saurons toutes deux imiter notre mère;

Vous, du côté de l'ame et des nobles desirs,
Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;'
Vous, aux productions d'esprit et de lumière,
Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.

ARMANDE.

r;

Quand sur une personne on prétend se régler',
C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler
Et ce n'est point du tout la prendre pour modèle,
Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle.

HENRIETTE.

Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,
Si ma mère n'eût eu que de ces beaux côtés;
Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie
N'ait pas vaqué toujours à la philosophie.
De grace, souffrez-moi, par un peu de bonté,
Des bassesses à qui vous devez la clarté ;

Et ne supprimez point, voulant qu'on vous seconde,
Quelque petit savant qui veut venir au monde.

ARMANDE.

Je vois que votre esprit ne peut être guéri
Du fol entêtement de vous faire un mari :

Mais sachons, s'il vous plaît, qui vous songez à prendre:
Votre visée, au moins, n'est pas mise à Clitandre.

HENRIETTE.

Et par quelle raison n'y seroit-elle pas ?
Manque-t-il de mérite? Est-ce un choix qui soit bas?

ARMANDE.

Non; mais c'est un dessein qui seroit malhonnête,
Que de vouloir d'un autre enlever la conquête;
Et ce n'est pas un fait dans le monde ignoré,
Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.

HENRIETTE.

Oui; mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,
Et vous ne tombez pas aux bassesses humaines ;
Votre esprit à l'hymen renonce pour toujours,
Et la philosophie a toutes vos amours.

Ainsi, n'ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,
Que vous importe-t-il qu'on y puisse prétendre ?
ARMANDE.

Cet empire que tient la raison sur les sens,
Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;
Et l'on peut, pour époux, refuser un mérite
Que, pour adorateur, on veut bien à sa suite,
HENRIETTE.

Je n'ai pas empêché qu'à vos perfections
Il n'ait continué ses adorations;

Et je n'ai fait que prendre, au refus de votre ame,
Ce qu'est venu m'offrir l'hommage de sa flamme.
ARMANDE.

Mais, à l'offre des vœux d'un amant dépité,
Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?
Croyez-vous, pour vos yeux sa passion bien forte,
Et qu'en son cœur, pour moi, toute flamme soit morte?

HENRIETTE.

Il me le dit, ma sœur; et pour moi, je le croi.

ARMANDE.

Ne soyez pas, ma sœur, d'une si bonne foih;
Et croyez, quand il dit qu'il me quitte et vous aime,
Qu'il n'y songe pas bien, et se trompe lui-même.

HENRIETTE.

Je ne sais; mais enfin, si c'est votre plaisir,
Il nous est bien aisé de nous en éclaircir.
Je l'apperçois qui vient; et, sur cette matière,
Il pourra nous donner une pleine lumière.

SCENE II.

CLITANDRE, ARMANDE, HENRIETTE.

HENRIETTE.

Pour me tirer d'un doute où me jette ma sœur,
Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur;
Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre
Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre.
ARMANDE.

Non, non, je ne veux point à votre passion
Imposer la rigueur d'une explication;

Je ménage les gens, et sais comme embarrasse
Le contraignant effort de ces aveux en face.

CLITANDRE,

Non, madame; mon cœur qui dissimule

peu,

Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu.
Dans aucun embarras un tel pas ne me jette;
Et j'avouerai tout haut, d'une ame franche et nette,
Que les tendres liens où je suis arrêté,

(montrant Henriette.)

Mon amour et mes vœux sont tout de ce côté.
Qu'à nulle émotion cet aveu ne vous porte;
Vous avez bien voulu les choses de la sorte.
Vos attraits m'avoient pris, et mes tendres soupirs
Vous ont assez prouvé l'ardeur de mes desirs ;
Mon cœur vous consacroit une flamme immortelle ;
Mais vos yeux n'ont pas cru leur conquête assez belle.
J'ai souffert sous leur joug cent mépris différens ;
Ils régnoient sur mon ame en superbes tyrans,
Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,
Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes.
(montrant Henriette.)

Je les ai rencontrés, madame, dans ces yeux,
Et leurs traits à jamais me seront précieux;
D'un regard pitoyable ils ont séché mes larmes,
Et n'ont pas dédaigné le rebut de vos charmes.
De si rares bontés m'ont si bien su toucher,
Qu'il n'est rien qui me puisse à mes fers arracher.
Et j'ose maintenant vous conjurer, madame,
De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme.
De ne point essayer à rappeler un cœur
Résolu de mourir dans cette douce ardeur.

ARMANDE.

Hé! qui vous dit, monsieur, que l'on ait cette envie,
Et que de vous enfin si fort on se soucie?
Je vous trouve plaisant de vous le figurer,
Et bien impertinent de me le déclarer.

HENRIETTE.

Hé! doucement, ma sœur. Où donc est la morale Qui sait si bien régir la partie animale,

Et retenir la bride aux efforts du courroux?

ARMANDE.

Mais vous qui m'en parlez, où la pratiquez-vous,
De répondre à l'amour que l'on vous fait paroître,
Sans le congé de ceux qui vous ont donné l'être ?
Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,
Qu'il ne vous est permis d'aimer que par leur choix;
Qu'ils ont sur votre cœur l'autorité suprême,
Et qu'il est criminel d'en disposer vous-même.

HENRIETTE.

Je rends grace aux bontés que vous me faites voir,
De m'enseigner si bien les choses du devoir.
Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite;
Et, pour vous faire voir, ma sœur, que j'en profite,
Clitandre, prenez soin d'appuyer votre amour
De l'agrément de ceux dont j'ai reçu le jour

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