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AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR

SUR

LE MALADE IMAGINAIRE.

*

LE Malade Imaginaire, comédie-ballet en trois actes, en prose, avec un prologue chantant et des intermèdes, fut représenté sur le théâtre du Palais-Royal le Vendredi 10 Février, 1673.

La musique de cette pièce est de Charpentier*, auteur de l'opéra de Medée. On ignore la raison pour laquelle ce ne fut pas Lulli qui concourut au dernier succès de Molière.

Les conquêtes de Louis XIV en Hollande, où il avoit pris, dans la campagne précédente, trente-six villes presque toutes fortifiées, excitoient tous les talens, animoient tous les arts à célébrer leur protecteur, et Molière ne voulut pas être des derniers à donner à son maître des preuves de son zèle patriotique.

C'est à ce sentiment que nous devons le prologue qui précéda Le Malade Imaginaire, et qui fut entièrement consacré à la louange de Louis le Grand.

* L'anecdote du pauvre qui rapporta à Molière un louis qu'il venoit de lui donner par mégarde, doit être de la même année que Le Malade Imaginaire, puisque le musicien Charpentier en fut témoin, et que c'est de lui que nous la tenons, ainsi que la réflexion philosophique de notre auteur: Où la vertu va-t-elle se loger?

On lit peu ce prologue aujourd'hui, et nous n'inviterons pas à le lire davantage, pour y voir le vainqueur de la Hollande comparé à de la neige fondue, dont les flots écumeux ren

versent

Digues, châteaux, villes et bois,

Hommes et troupeaux à-la-fois.

Loin de nous reprocher cet aveu de la foiblesse du talent de Molière à cet égard, nous aimons à le faire, parce qu'il est peu de véritables génies qui aient pu se plier avec succès au ton de la louange directe, et à la servitude qu'impose nécessairement la musique. Quinault lui-même, avec son talent prodigieux pour la poësie lyrique, ne s'est pas toujours sauvé de ce double écueil. D'ailleurs, en donnant un nouvel ouvrage comique, notre auteur faisoit bien plus pour la gloire du règne de son prince, que s'il l'eût loué avec plus d'art et de délicatesse.

Il étoit difficile que ce prologue, tel que l'avoit fait Molière, et dont la petite fable, mieux conçue qu'exécutée, a servi depuis à quelques auteurs lyriques, ne parût pas un hors-d'œuvre, et pût se lier avec Le Malade Imaginaire. Aussi notre auteur ajouta-t-il une scène isolée, qu'il intitula, Autre Prologue.

Une bergère y venoit chanter que la douleur qui la désespéroit ne pouvoit se guérir par les médecins; que leur savoir n'étoit que pure chimère, et ne pouvoit être reconnu que par un malade imaginaire. Telle fut la liaison bien peu recherchée qu'il employa pour passer મે sa comédie. Heureusement elle n'a pas besoin aujourd'hui de ces bagatelles chantantes qui la précèdent. L'opéra est le seul genre où les éloges d'un prince mort aient pu se conserver à l'aide de la musique.

Les excursions que Molière avoit faites sur les médecins dans plusieurs de ses comédies, et même par ses bons-mots

dans la société, n'étoient rien en comparaison du combat qu'il parut livrer au corps entier dans Le Malade Imaginaire. M. Perrault, dans ses Hommes Illustres, parla de cette dernière attaque, comme si sa plume avoit été guidée par l'humeur d'un médecin subalterne. Voici le jugement qu'il en porta: "On peut dire qu'il se méprit un peu dans cette dernière "pièce, et qu'il ne se contint pas dans les bornes du pouvoir "de la comédie; car au lieu de se contenter de blâmer les "mauvais médecins, il attaqua la médecine en elle-même, "la traita de science frivole, et posa pour principe qu'il est "ridicule à un homme d'en vouloir guérir un autre. La " comédie s'est toujours moquée des rodomons et de leurs "rodomontades, mais jamais elle n'a raillé ni les vrais "braves ni la vraie bravoure. Elle s'est réjouie des pédans ❝et de la pédanterie, mais elle n'a jamais blâmé ni les savans "ni la science. Suivant cette règle, il n'a pu trop maltraiter "les charlatans et les ignorans médecins; mais il devoit en “demeurer là, et ne pas tourner en ridicule les bons méde< "cins que l'écriture nous enjoint d'honorer *."

Il est vrai que dans la scène troisième du troisième acte, Béralde, outré de l'aveugle et funeste confiance de son frère, dans un art dont il voit évidemment qu'il n'a pas besoin, et dont il est la dupe, va jusqu'à traiter de momerie l'engagement que prend un homme d'en guérir un autre.

Cette opinion exagérée, sans doute, semble contredire un peu ce ton de sagesse et de raison qui se remarque dans les ouvrages importans de Molière; mais, comme on le disoit de son tems, "les médecins étoient pour lui ce que le vieux

* Montaigne observe avec malignité, Liv. II, ch. XXXVII, de ses Essais, qu'à ce passage de l'écriture on en oppose un autre du prophète reprenant le roi Asa d'avoir eu recours au médecin,

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poëte avoit été pour Térence;" et l'on sait combien il est difficile d'éviter tout excès dans les sentimens où il entre quelque prévention.

Ami d'un médecin qui faisoit auprès de lui ce qu'avoit fait auprès de Racine, pour sa comédie des Plaideurs, M. de Brilhac, conseiller au parlement, en l'instruisant de toutes les expressions du palais et de la chicane; peut-être devoit-il au docteur Mauvilain le scepticisme où il étoit en fait de médecine. Il n'est pas rare de trouver des médecins même, qui, mécontens de leur art, par la jalousie qu'excitent en eux les succès de leurs confrères, se vengent de leur inutilité, en médisant d'une profession qu'ils n'ont pu se rendre lucrative.

Molière étoit né avec une poitrine délicate*, et par-là il étoit plus fait qu'un autre pour recourir à la médecine, mais il se rendit la victime du préjugé qu'il avoit contre elle. Il fut plus cruel pour lui-même que Montaigne, qui, malgré tous ses sarcasmes contre cet art, consultoit dans le besoin ceux qui le pratiquoient. Molière eut le malheureux entêtement de ne s'en servir jamais. Il soupçonnoit, sans doute, que le premier remède qu'on auroit eu à lui proposer, étoit le sacrifice de sa profession de comédien, incompatible avec son incommodité; et l'on sait que rien ne pouvoit lui faire abandonner un état dont il étoit idolâtre.

A l'égard des médecins, dont il plaisanta dans Le Malade Imaginaire, il les avoit dessinés de façon à ne point inquiéter un honnête et un habile homme de cet art. Ce qu'il faut même observer, c'est que le personnage de M. Purgon seroit au-delà du ridicule, si la législation s'étoit étendue jusqu'au

* On prétend que les efforts qu'il avoit faits pour modérer sa volubilité naturelle de prononciation, lui avoient causé un hoquet qui avoit considérablement altéré sa poitrine.

par

crime dont il se rend coupable. Entretenir les seules vues de son intérêt les visions d'une dupe qui se croit malade, tandis que tout annonce sa santé; vivre aux dépens de son imbécillité; jouer le jeu barbare d'éteindre journellement par des remèdes dangereux lorsqu'ils sont inutiles, une vie qu'un insensé risque de perdre par un excès d'amour pour elle; c'est une infamie faite pour être désavouée par tous les particuliers d'un état qui met au rang de ses succès la considération blique.

La pédante stupidité de messieurs Diafoirus, père et fils, n'est pas plus faite pour blesser des gens qui ne peuvent leur ressembler. Les portraits de Vadius et de Trissotin ne rendirent pas tous les gens de lettres ridicules; et la censure qu'on feroit aujourd'hui de l'Ecrivaillerie de notre tems, n'atteindroit ni Buffon, ni Voltaire, ni d'Alembert, ni beaucoup d'autres.

Molière, dans cette pièce, ainsi que dans celles où il nous offrit des médecins, fit donc peu de tort à ceux qui étoient vraiment dignes de ce nom. Mais, comme le remarqua Perrault, ce fut l'art même de la médecine qu'il attaqua dans le Malade İmaginaire. Imitateur de Térence, qui faisoit passer dans ses pièces des morceaux de Platon*, il suivit l'opinion de Montaigne contre une science fondée comme une autre en principes, mais qui, dans leur application, a trop souvent pour guide l'incertaine conjecture.

"Le premier qui saigna et purgea à propos un homme "tombé en apoplexie," dit l'auteur des Questions Encyclopédiques, "le premier qui imagina de plonger un bistouri dans la vessie pour en tirer un caillou, et de refermer la plaie; le premier qui sut prévenir la gangrène dans une

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*Voyez le Commentaire de la Cité de Dieu, par L. Vivès, livre premier, chapitre VII. On y donne à Térence le surnom de Platonique.

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