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MARTINE.

Qui parle d'offenser grand'mère ni grand'père?

O ciel !

PHILAMINTE.

BELISE.

Grammaire est prise à contre-sens par toi,

Et je t'ai dit déjà d'où vient ce mot.

MARTINE.

Ma foi,

Qu'il vienne de Challot, d'Auteuil, ou de Pontoise, Cela ne me fait rien.

Belise.

Quelle ame villageoise!

La Grammaire, du verbe et du nominatif,
Comme de l'adjectif avec le substantif,

Nous enseigne les lois.

MARTINE.

J'ai, madame, à vous dire

Que je ne connois point ces gens-là.

PHILAMINTE.

Quel martyre!

BELISE.

Ce sont les noms des mots; et l'on doit regarder
En quoi c'est qu'il les faut faire ensemble accorder.

MARTINE.

Qu'ils s'accordent entr'eux, ou se gourment, qu'importe ?

PHILAMINTE a Bélise.

Hé! mon Dieu, finissez un discours de la sorte.

(d- Chrisale.)

Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir?

CHRYSALE.

(à part.)

Si fait. A son caprice il me faut consentir.
Va, ne l'irrite point; retire-toi, Martine.

PHILAMINTE.

Comment! vous avez peur d'offenser la coquine?
Vous lui parlez d'un ton tout-à-fait obligeant?

CHRYSALE.

(d'un ton ferme.) (d'un ton plus doux.) Moi? point...Allons, sortez. Va-t-en, ma pauvre enfant.

SCENE VII.

PHILAMINTE, CHRYSALE, BELISE.

CHRYSALE.

Vous êtes satisfaite, et la voilà partie ;
Mais je n'approuve point une telle sortie :
C'est une fille propre aux choses qu'elle fait,
Et vous me la chassez pour un maigre sujet.

PHILAMINTE.

Vous voulez que toujours je l'aye à mon service,
Pour mettre incessamment mon oreille au supplice,
Pour rompre toute loi d'usage et de raison
Par un barbare amas de vices d'oraison,
De mots estropiés, cousus, par intervalles,
De proverbes traînés dans les ruisseaux des halles.

BELISE.

Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours;
Elle
y met Vaugelas en pièces tous les jours:
Et les moindres défauts de ce grossier génie,
Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.

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CHRYSALE.

Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas,
Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas?

J'aime bien mieux, pour moi, qu'en épluchant ses herbes,
Elle accommode mal les noms avec les verbes,
Et redise cent fois un bas et méchant mot,
Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.
Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.
Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage;
Et Malherbe et Balzac, si savans en beaux mots,
En cuisine, peut-être, auroient été dès sots.

PHILAMINTE.

Que ce discours grossier terriblement assomme!
Et quelle indignité, pour ce qui s'appelle homme,
D'être baissé sans cesse aux soins matériels,
Au lieu de se hausser vers les spirituels!

Le corps, cette guenille, est-il d'une importance,
D'un prix à mériter seulement qu'on y pense?
Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin?

CHRYSALE.

Oui, mon corps est moi-même, et j'en veux prendre soin: Guenille, si l'on veut, ma guenille m'est chère.

BELISE.

Le corps avec l'esprit fait figure, mon frère;
Mais, si vous en croyez tout le monde savant,
L'esprit doit sur le corps prendre le pas devant;
Et notre plus grand soin, notre première instance,
Doit être à le nourrir du suc de la science.

CHRYSALE.

Ma foi, si vous songez à nourrir votre esprit,
C'est de viande bien creuse, à ce que chacun dit,
Et vous n'avez nul soin, nulle sollicitude,
Pour-

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PHILAMINTE.

Ah! sollicitude à mon oreille est rude,

Il pue étrangement son ancienneté.

BELISE.

Il est vrai que le mot est bien collet-monté.

CHRYSALE.

Voulez-vous que je dise? Il faut qu'enfin j'éclate,
Que je lève le masque, et décharge ma rate.
De folles on vous traite, et j'ai fort sur le cœur—-

Comment donc ?

PHILAMINTE.

CHRYSALE a Bélise.

C'est à vous que je parle, ma sœur. Le moindre solécisme en parlant vous irrite; Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite. Vos livres éternels ne me contentent pas; Et, hors un gros Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout ce meuble inutile, Et laisser la science aux docteurs de la ville; M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans Cette longue lunette à faire peur aux gens, Et cent brimborions dont l'aspect importune; Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune, Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous, Où nous voyons aller tout sens-dessus-dessous. Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, Qu'une femme étudie, et sache tant de choses. Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfans, Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie,

Doit être son étude et sa philosophie.

Nós pères, sur ce point, étoient gens bien sensés,
Qui disoient qu'une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse

A connoître un pourpoint avec un haut-de-chausse.

;

Les leurs ne lisoient point, mais elles vivoient bien
Leurs ménages étoient tout leur docte entretien ;
Et leurs livres, un dé, du fil, et des aiguilles,
Dont elles travailloient au trousseau de leurs filles.
Les femmes d'à-présent sont bien loin de ces mœurs ;
Elles veulent écrire et devenir auteurs.

Nulle science n'est pour elles trop profonde;

Et céans, beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde;
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,
Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir.
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne, et Mars, dont je n'ai point affaire;
Et dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot, dont j'ai besoin.
Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire.
Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison.

L'un me brûle mon rôt en lisant quelqu'histoire;
L'autre rêve à des vers quand je demande à boire :
Enfin, je vois par eux votre exemple suivi,
Et j'ai des serviteurs et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m'étoit restée,
Qui de ce mauvais air n'étoit point infectée,
Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas,
A cause qu'elle manque à parler Vaugelas.
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse:
Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je m'adresse.
Je n'aime point céans tous vos gens à Latin,
Et principalement ce Monsieur Trissotin;
C'est lui qui, dans des vers, vous a tympanisées:
Tous les propos qu'il tient sont des billevesées.
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé ;
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé

PHILAMINTE.

Quelle bassesse, ô ciel, et d'ame et de langage!

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