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CLITANDRE.

Cette vérité veut quelque adoucissement.
Je m'explique, madame; et je hais seulement
La science et l'esprit qui gâtent les personnes.
Ce sont choses, de soi, qui sont belles et bonnes;
Mais j'aimerois mieux être au rang des ignorans,
Que de me voir savant comme certaines gens.

TRISSOTIN.

Pour moi, je ne tiens pas, quelque effet qu'on suppose, Que la science soit pour gâter quelque chose.

CLITANDRE.

Et c'est mon sentiment qu'en faits, comme en propos, La science est sujette à faire de grands sots.

Le paradoxe est fort.

TRISSOTIN.

CLITANDRE.

Sans être fort habile,

La preuve m'en seroit, je pense, assez facile.
Si les raisons manquoient, je suis sûr qu'en tout cas
Les exemples fameux ne me manqueroient pas.

TRISSOTIN.

Vous en pourriez citer qui ne conclueroient guère.

CLITANDRE.

Je n'irois pas bien loin pour trouver mon affaire.

TRISSOTIN.

Pour moi, je ne vois pas ces exemples fameux.

CLITANDRE.

Moi, je les vois si bien, qu'ils me crèvent les yeux:

TRISSOTIN.

J'ai cru jusques ici que c'étoit l'ignorance
Qui faisoit les grands sots, et non pas la sc'ence.

CLITANDRE.

Vous avez cru fort mal; et je vous suis garant
Qu'un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant,

TRISSOTIN.

Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisqu'ignorant et sot sont termes synonymes.

CLITANDRE.

Si vous le voulez prendre aux usages du mot,
L'alliance est plus forte entre pédant et sot.

TRISSOTIN.

La sottise, dans l'un, se fait voir toute pure.

CLITANDRE.

Et l'étude, dans l'autre, ajoute à la nature.

TRISSOTIN.

Le savoir garde en soi son mérite éminent.

CLITANDRE.

Le savoir, dans un fat, devient impertinent.

TRISSOTIN.

Il faut que l'ignorance ait pour Vous de grands charmes Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.

CLITANDRE.

Si pour moi l'ignorance a des charmes bien grands, C'est depuis qu'à mes yeux s'offrent certains savans.

TRISSOTIN.

Ces certains savans-là peuvent, à les connoître,
Valoir certaines gens que nous voyons paroître.
CLITANDRE.

Oui, si l'on s'en rapporte à ces certains savans;
Mais on n'en convient pas chez ces certaines gens.

PHILAMINTE d Clitandre.

Il me semble, monsieur

CLITANDRE.

Hé! madame, de grace;

Monsieur est assez fort, sans qu'à son aide on passe.
Je n'ai déjà que trop d'un si rude assaillant;
Et, si je me défends, ce n'est qu'en reculant.

ARMANDE.

Mais l'offensante aigreur de chaque répartie,

Dont vous

CLITANDRE.

Autre second! Je quitte la partie.

PHILAMINTE.

On souffre aux entretiens ces sortes de combats,
Pourvu qu'à la personne on ne s'attaque pas.

CLITANDRE.

Hé! mon dieu! tout cela n'a rien dont il s'offense,
Il entend raillerie autant qu'homme de France;
Et de bien d'autres traits il s'est senti piquer,
Sans que jamais sa gloire ait fait que s'en moquer.

TRISSOTIN.

Je ne m'étonne pas, au combat que j'essuie,
De voir prendre à monsieur la thèse qu'il appuie :

Il est fort enfoncé dans la cour3, c'est tout diti.
La cour, comme l'on sait, ne tient pas pour l'esprit,
Elle a quelque intérêt d'appuyer l'ignorance;
Et c'est en courtisan qu'il en prend la défense.
CLITANDRE.

Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour;
Et son malheur est grand de voir que, chaque jour,
Vous autres beaux esprits vous déciamiez contre elle,
Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle,
Et, sur son méchant goût lui faisant son procès,
N'accusiez que lui seul de vos méchans succès.
Permettez-moi, monsieur Trissotin, de vous dire,
Avec tout le respect que votre nom m'inspire,
Que vous feriez fort bien, vos confrères et vous,
De parler de la cour d'un ton un peu plus doux;
Qu'à le bien prendre au fond, elle n'est pas si bête
Que, vous autres messieurs, vous vous mettez en tête;
Qu'elle a du sens commun pour se connoître à tout;
Que chez elle on se peut former quelque bon goût;
Et que l'esprit du monde y vaut, sans flatterie,
Tout le savoir obscur de la pédanterie.

TRISSOTIN.

De son bon goût, monsieur, nous voyons

CLITANDRE.

des effets,

Où voyez-vous, monsieur, qu'elle l'ait si mauvais ?

Ce

TRISSOTIN.

que je vois, monsieur? C'est que pour la science Rasius et Baldus font honneur à la France;

Et que tout leur mérite, exposé fort au jour,
N'attire point les yeux et les dons de la cour.

CLITANDRE.

Je vois votre chagrin, et que par modestie
Vous ne vous mettez point, monsieur, de la partie;

propos,

Et pour ne vous point mettre aussi dans le
Que font-ils pour l'état vos habiles héros?
Qu'est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la cour d'une horrible injustice,

Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
Elle manque à verser la faveur de ses dons?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire!
Et des livres qu'ils font la cour a bien affaire!
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,.
Que, pour être imprimés et reliés en veau,

Les voilà dans l'état d'importantes personnes;
Qu'avec leur plume ils font les destins des couronnes;
Qu'au moindre petit bruit de leurs productions
Ils doivent voir chez eux voler les pensions;
Que sur eux l'univers a la vue attachée,
Que par-tout de leur nom la gloire est épanchée,
Et qu'en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu'ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
A se bien barbouiller de Grec et de Latin,
Et se charger l'esprit d'un ténébreux butin

De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres:
Gens qui de leur savoir paroissent toujours ivres ;
Riches, pour tout mérite, en babil importun;
Inhabiles à tout, vuides de sens commun,
Et pleins d'un ridicule et d'une impertinence
A décrier par-tout l'esprit et lå science.

PHILAMINTE.

Votre chaleur est grande; et cet emportement
De la nature en vous marque le mouvement.
C'est le nom de rival, qui dans votre ame excite

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