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Au commencement du dix-septième siècle, peu de temps après l'époque de notre littérature où, selon l'expression naïve d'un des historiens du théâtre, «on commença à sentir qu'il était bon que les comédies fussent mieux composées, et que des gens d'esprit, et même des gens de lettres s'en mêlassent, » naquit dans une classe peu élevée de la société un de ces hommes qui semblent envoyés pour ouvrir à leurs contempo

rains des routes nouvelles, et répandre des lumières qu'ils n'ont point reçues de leurs prédécesseurs. Molière, voué à l'ignorance par les préjugés du temps, ne put qu'en s'exposant à la malédiction de sa famille recevoir une éducation tardive; témoin des mépris qu'on prodiguait à la profession de comédien, il l'embrassa, entraîné par son génie; doué d'une sensibilité ardente, il sentit encore se développer ce don, dirons-nous précieux ou fatal, par les rebutantes froideurs de celle qu'il crut trop long-temps digne de son amour; ami généreux, il se vit trahi par ceux qu'il avait comblés de ses bienfaits; esclave et victime de ses faiblesses, son unique étude fut de faire rire les hommes aux dépens des leurs, et de les en corriger; citoyen vertueux, la mort ne le mit point à l'abri des outrages de ses concitoyens.

C'est le tableau de cette carrière pleine de mouvement et d'intérêt que nous nous proposons aujourd'hui de décrire; c'est la peinture des émotions profondes dont fut agité cet homme supérieur que nous allons essayer de retracer. Puissent l'importance du sujet et l'inexpérience de notre plume ne pas former un contraste choquant dans un portrait où tout contraste; dans l'histoire d'un homme de lettres qui connut le monde et la cour, d'un ornement de son siècle qui fut protégé, d'un philosophe qui fut comédien.

1

Jean-Baptiste POQUELIN naquit à Paris le 15 janvier 1622 (1). On avait cru long-temps qu'il était né sous les piliers des halles, où Regnard vint au monde trente-cinq ans plus tard; mais on a aujourd'hui la certitude que nos deux premiers poètes comiques n'eurent point un berceau commun des recherches nouvelles ont appris que Poquelin vit le jour dans une maison de la rue Saint-Honoré, au coin de la rue des VieillesÉtuves (2).

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Sa mère, Marie Cressé, appartenait à une famille qui exerçait depuis long-temps à Paris la profession de tapissier (3). Son grand-père paternel et son père, Jean Poquelin, se livraient également à ce genre de commerce'. Mais plusieurs de leurs parens furent juges et consuls de la ville de Paris, fonctions importantes qui donnaient quelquefois la noblesse (4). Aîné de dix enfans, le jeune Poquelin fut dès son bas âge destiné au métier de son père. L'office de tapissier-valet-dechambre du Roi, concédé à celui-ci quelques années après, le confirma encore dans ce des

1. Dissertation sur J. B. Poquelin Molière, par L. F. Beffara, 1821, p. 6 et 7.

2. Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p. 8 et suivantes. 3. Ibidem, p. 5 et suivantes.

4. Ibidem, p. 5 et 6.

5. Mes voyages aux environs de Paris, par M. Delort, 1821, t. II, p. 199.

sein (5). Il obtint pour son fils lâ survivance de cette charge, et, s'étant borné à lui procurer les notions les plus élémentaires de l'éducation, il lui fit prendre part à ses travaux jusqu'à l'âge de quatorze ans. C'était tout ce que les marchands croyaient alors devoir faire pour leurs enfans. Les sciences et les belles-lettres n'étaient cultivées que par la noblesse et le clergé, ou par ceux qui s'y livraient spécialement; mais un négociant ne connaissait d'autre lecture que celle de ses registres, d'autre étude que celle de son commerce.

Le caractère naturellement ardent du jeune Poquelin ne pouvait se plier long-temps à une semblable vie. De telles occupations répugnèrent bientôt à un génie qui ne s'ignorait pas entièrement; aussi ne tarda-t-il pas à témoigner le plus vif désir de s'instruire. N'ayant déjà plus sa mère pour la ranger de son parti, il mit son aïeul (6) dans ses intérêts, et ce ne fut pas sans peine que, par leurs efforts réunis, ils parvinrent à déterminer son père à satisfaire cet impérieux besoin d'apprendre. Ce brave homme gémit probablement sur la destinée future du mauvais sujet qui

1. Grimarest, Vie de Molière, Paris, 1705, p. 6. Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 2.-— Mémoires sur la vie et les ouvrages de Moliére (par La Serre), t. I, p. xviij de l'édition des OEuvres de Molière, in-4°, 1734. — Vie de Molière, par Petitot, p. 1, à la tête des OEuvres de Molière, in-8°, 1812.

ne se contentait pas de l'ignorance héréditaire; mais, voyant enfin qu'il n'y avait plus rien à espérer de ce jeune obstiné, il se laissa fléchir, et le collège de Clermont, dirigé par les Jésuites, reçut, comme externe, l'enfant qui devait être un jour l'immortel auteur du Tartuffe1.

On a aussi généralement attribué cette espèce de révélation de son génie à la fréquentation des théâtres. Le grand-père maternel du jeune Poquelin, qui l'avait pris en affection, le menait quelquefois aux représentations de l'hôtel de Bourgogne, auxquelles Bellerose, dans le haut comique, Gautier Garguille, Gros Guillaume et Turlupin, dans la farce, donnaient alors un grand attrait' (7). Sans doute l'afféterie du premier, signalée par Scarron dans son Roman comique', et l'ignoble gaieté des derniers, qui est devenue proverbiale dans notre langue, ne furent pas ce qui séduisit le jeune spectateur; mais il pressentit peut-être dès lors ce que les jeux de la scène, quelque informes qu'ils fussent encore, pouvaient devenir

1. Grimarest, p. 6 et 8. Voltaire, Vie de Molière, p. 4. Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. Poquelin. Petitot, p. 2. - Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, Loco cit.

2. Grimarest, Voltaire, Petitot, et Mémoires sur la vie et les Quvrages de Molière, locis cit.

3. Le Roman Comique, t. I, chap. 5.

4. TURLUPINADE.

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