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ayant fait réimprimer cette comédie telle qu'elle avait été jouée le premier jour, recurent aussitôt l'ordre de faire disparaître, au moyen de cartons, non-seulement le passage condamné, mais même quelques autres dont, à force de manoeuvres, on était également parvenu à rendre l'esprit suspect'. Il est assez digne de remarque que, dès que Molière se trouvait en butte aux attaques de ses ennemis, Louis XIV s'efforçait de lui faire oublier leurs persécutions par un bienfait. Déjà nous l'avons vu répondre aux détracteurs de l'École des Femmes par le brevet d'une pension, confondre Montfleuri et ses complices en tenant sur les fonts de baptême le fils du comédien injustement calomnié, punir l'insolence de ses courtisans en faisant asseoir Molière à sa table; au mois d'août 1665, si des scrupules religieux ne lui permirent pas encore de lever l'interdiction du Tartuffe, il s'empressa du moins d'en dédommager l'auteur en attachant à sa personne, avec une pension de sept mille livres, sa troupe, qui jusque-là n'avait été que la troupe de MONSIEUR. Les acteurs qui la composaient prirent dès lors le titre de comédiens du Roi : noble réponse aux lâches efforts que la cabale avait faits pour indis

1. Voir la Bibliographie de la France (par M. Beuchot), année 1817, p. 362 et suiv., et l'Avertissement sur le Festin de Pierre, t. III, p. 275 de notre édition des OEuvres de Molière.

poser contre Molière la Reine-mère et le monarque lui-même '(32).

A peu près dans le même temps, l'illustre protégé, pressé par les sollicitations de ses camarades, eut de nouveau occasion de recourir aux bontés du Roi. Les mousquetaires, les gardesdu-corps, les gendarmes et les chevau-légers étaient en possession d'entrer à la comédie sans payer; et, par ce moyen, le parterre se trouvait souvent rempli, sans que la caisse en fût moins vide. Molière, cédant aux instances de sa troupe, demanda la réforme de cet abus au prince, qui donna les ordres nécessaires pour y mettre fin. Mais les plus mutins de ceux sur qui pesait cette défense s'en prirent aux comédiens qui l'avaient sollicitée. Ils se rendirent donc en troupe au théâtre, résolus d'en forcer l'entrée. Le portier fit, pendant quelque temps, la meilleure contenance; mais à la fin, forcé de céder au nombre, il jeta son épée à terre en criant: Miséricorde! Cette soumission et ses prières ne servirent à rien: outrés de la résistance qu'il leur avait opposée, les assaillans le percèrent de cent coups

1. Lettre sur les Observations d'une comédie du sieur Molière intitulée, LE FESTIN DE PIERRE, Paris, 1665, p. 33 -Journal des bienfaits du Roi août 1665 (manuscrit in-folio de la Bibliothèque du Roi). Préface de l'édition des OEuvres de Molière de 1682 par La Grange). Grimarest, p. 106. Histoire du Théâtre français (par le frères Parfait), t. X, p. 79 et 94, note.

d'épée, et chacun en entrant lui donnait le sien. Ils cherchaient tous les comédiens, pour pour leur faire subir le même traitement, quand Béjart jeune, qui était habillé en vieillard pour la pièce qu'on allait jouer, se présenta sur le théâtre. «Eh! Messieurs, leur dit-il, épargnez du moins un pauvre vieillard de soixante-quinze ans qui n'a plus que quelques jours à vivre ». La présence d'esprit de cet acteur calma leur fureur. Molière, qui savait fort bien haranguer le parterre et qui n'en laissait pas passer les occasions, parut alors, et leur représenta très-vivement les torts qu'ils s'étaient donnés en violant les ordres du Roi. Ils sentirent la justesse de ses observations, ouvrirent les yeux sur la position où ils s'étaient mis, et se retirèrent. « Mais le bruit et les cris, dit Grimarest, avaient causé une alarme parmi les comé'diens. Les femmes croyaient être mortes : chacun cherchait à se sauver; surtout Hubert et sa femme, qui avaient fait un trou dans le mur du PalaisRoyal. Le mari voulut passer le premier; mais, comme le trou n'était pas assez ouvert, il ne passa que la tête et les épaules; jamais le reste ne put suivre. On avait beau le tirer de dedans le PalaisRoyal, rien n'avançait, et il criait comme un forcené, par le mal qu'on lui faisait et par la peur qu'il avait que quelque gendarme ne vînt lui donner un coup d'épée par derrière. Le tumulte s'étant

peur; et l'on agran

apaisé, il en fut quitte pour la dit le trou pour le retirer de la torture où il était, »

La troupe alla aux voix sur le parti qu'elle avait à prendre. La frayeur porta la plupart à demander qu'on sollicitât la révocation de la défense. Molière tint bon, et leur fit observer que, puisqu'ils l'avaient poussé à demander cet ordre, et que le Roi avait daigné le leur accorder, ils en devaient subir les conséquences.

Instruit de cette scène, Louis XIV ordonna aux commandans des compagnies de sa maison de les faire mettre sous les armes, afin qu'on en pût reconnaître et punir les auteurs. Mais Molière, qui craignait qu'une mesure sévère ne fit qu'irriter les esprits et n'amenât de nouveaux désordres, se rendit au lieu de la réunion, et dit aux gardes assemblés « que ce n'était point pour eux ni pour les autres personnes qui composaient la maison du Roi qu'il avait demandé à Sa Majesté un ordre pour les empêcher d'entrer à la comédie; que la troupe serait toujours ravie de les recevoir quand ils voudraient l'honorer de leur présence; mais qu'il y avait un nombre infini de malheureux qui tous les jours, abusant de leur nom et de leur bandoulière, venaient remplir le parterre et ôter injustement à la troupe le gain qu'elle devait faire; qu'il ne croyait pas que des gentilshommes qui avaient l'honneur de servir le Roi dussent favori

ser ces misérables contre les comédiens de Sa Majesté; que d'entrer à la comédie sans payer n'était point une prérogative que des personnes de leur caractère dussent si fort ambitionner, jusqu'à répandre du sang pour se la conserver; qu'il fallait laisser ce petit avantage aux auteurs et aux personnes qui, n'ayant pas le moyen de dépenser quinze sols, ne voyaient le spectacle que par charité, s'il m'est permis, dit-il, de parler de la sorte. »

Ce discours produisit tout l'effet que Molière en espérait'. Mais Grimarest a prétendu à tort que depuis ce moment la maison du Roi n'entra plus à la comédie sans payer. Le même abus et des désordres encore plus grands nécessitèrent en 1673 une semblable ordonnance, sollicitée par la troupe de l'hôtel de Bourgogne 1 (33).

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Un nouveau succès vint dédommager Molière de ces inquiétudes nouvelles. Demandé pour un divertissement du Roi, l'Amour médecin fut en cinq jours proposé, fait, appris, et représenté3. La cour l'applaudit le 16 septembre, la ville confirma son jugement le 22. Dans son avertissement sur cette pièce, l'auteur manifeste la crainte qu'elle ne paraisse insupportable sans les airs et les

1. Grimarest, p. 131 et suiv.

2. Le Théâtre-Français (par Chapuzeau), 1674, p. 165. 3. Avertissement de l'Amour médecin, de Molière.

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