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symphonies de l'incomparable Lulli: il ne nous est pas parvenu une seule note de cette partition du célèbre Baptiste; et les mots heureux dont la pièce abonde, le fameux, Vous êtes orfèvre, monsieur Josse, et une foule d'autres traits dignes de cette histoire générale des donneurs d'avis, ne périront pas, tant qu'il restera quelque sentiment du vrai.

On a assez généralement regardé l'Amour médecin comme le premier acte d'hostilité de Molière contre la Faculté. La remarque est inexacte. Don Juan du Festin de Pierre avait déjà porté de dangereux coups aux médecins'. A la vérité ces traits sont lancés par un personnage puni à la fin de la pièce; mais il y aurait bien de l'amour-propre à ces messieurs à croire que ce soit cette sorte d'hérésie qui attire sur sa tête la vengeance céleste.

On a avancé sans plus de fondement que l'acharnement dont il fit preuve contre la même profession dans cette pièce et dans plusieurs de celles qui la suivirent eut pour cause une querelle survenue entre sa femme et celle d'un médecin, querelle à laquelle les maris crurent devoir prendre part'. Ce n'est point à un aussi pitoyable motif qu'il faut attribuer de si justes attaques. Molière,

1. Le Festin de Pierre, act. III, sc. 1.

2. Grimarest, p. 74.

à l'exemple de Montaigne, a poursuivi par une satire raisonnée des charlatans qui spéculaient sur la crédulité et l'amour de la vie, et que leur ignorance et leur entêtement entraînaient dans des erreurs non moins fréquentes que funestes à l'humanité. Molière ne parlait pas de cette science comme un homme qui bien portant la ravale, et malade y recourt; il était valétudinaire lorsqu'il disait : « Un médecin est un homme que l'on paie pour conter des fariboles dans la chambre d'un malade jusqu'à ce que la nature l'ait guéri ou que les remèdes l'aient tué1. » Portons nos regards sur la médecine d'alors et sur les hommes qui l'exerçaient, et nous acquerrons la preuve que les accusations de Molière, qui n'ont aujourd'hui que l'autorité d'une saillie, auxquelles on n'accorde guère plus de crédit qu'à un badinage, n'avaient réellement rien d'exagéré.

Si nous envisageons d'abord les ridicules de leur extérieur grotesque, rien de plus propre à être traduit sur la scène. La robe ne les quittait jamais; et ils se rendaient d'une extrémité de Paris à l'autre, montés sur une mule. Le plus souvent ils ne s'exprimaient qu'en latin; quand ils daignaient se servir de la langue française, ils la défiguraient par des tournures scolastiques qui la

Grimarest, p. 79.

rendaient presque inintelligible. Un sixain du temps peint très fidèlement les gens de cette profession au dix-septième siècle, et l'exactitude du portrait est telle, qu'aujourd'hui on le prendra peut-être pour une épigramme:

Affecter un air pédantesque,
Cracher du grec et du latin,

Longue perruque, habit grotesque,
De la fourrure et du satin,
Tout cela réuni fait presque

Ce qu'on appelle un médecin.

Quant à leur savoir, ils concouraient eux-mêmes à en faire douter par le scandale de leurs discussions. En 1664, les médecins de Rouen et ceux de Marseille rendirent plainte devant les tribunaux contre les apothicaires de ces deux villes pour empiètement de droits. Les mémoires qui furent publiés de part et d'autre à cette occasion dévoilérent des vérités fort peu honorables pour les deux

corps et fort rassurantes pour les pauvres

peu

malades, auxquels il demeura démontré qu'ils n'accordaient leur confiance qu'à des empiriques'.

Les quatre médecins que Molière mit en scène dans cette pièce, Tomès, Desfonandrès, Macroton et Bahis, n'étaient autres que Daquin, Desfouge

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, :773, t. III, p. 339.

rais, Guénaut et Esprit, médecins ordinaires de Louis XIV, plus que suffisamment désignés par les noms significatifs que Boileau, aussi bon helléniste que mordant satirique, leur avait forgés à la demande de son ami'.

Suivant un docteur contemporain qui trahit plus d'une fois les secrets du métier, le spirituel Gui-Patin, Daquin, attaché à la personne du Roi par la faveur de madame de Montespan, et congédié par madame de Maintenon, n'était que «<'un pauvre cancre, race de juif, grand charlatan...., véritablement court de science, mais riche en fourberies chimiques et pharmaceutiques. »

Desfougerais était, suivant la même autorité, <«< charlatan s'il en fut jamais; homme de bien, à ce qu'il dit, et qui n'a jamais changé de religion que pour faire fortune et mieux avancer ses enfans.>> Mais l'horreur succède au mépris qu'inspire ce portrait quand on apprend par Bussy-Rabutin que madame de Chatillon ayant été mise par le duc de Nemours dans le malheureux état qu'on peut appeler l'écueil des veuves, et ayant recouru aux expédiens de Desfougerais, ce monstre ne recula point devant une ressource criminelle, et la délivra à l'aide de vomitifs.

Peut-être moins pervers, mais tout aussi cupide

1. Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 25.

et aussi ignare que Desfougerais, Guénaut répétait sans cesse qu'on ne saurait attraper l'écu blanc des malades si on ne les trompait. Accusé d'avoir tué, à l'aide de sa panacée universelle, l'antimoine, sa femme, sa fille, son neveu, deux de ses gendres et un très-grand nombre d'autres malades, tous les crimes de son ignorance lui furent pardonnés quand il grossit encore le nombre de ses victimes du meurtre du cardinal Mazarin. A la mort d'Adrien VI, les Romains firent écrire en lettres d'or au-dessus de la porte de son médecin: Au libérateur de son pays; après la mort du fameux ministre, Guénaut reçut un compliment non moins flatteur, expression naïve de la reconnaissance populaire. Il se trouvait un jour engagé dans un embarras de voitures; un charretier le reconnut, et s'écria: « Laissons passer monsieur le docteux; c'est li qui nous a fait la grace de tuer le cardinal. »

Le quatrième médecin du Roi, Esprit, était également partisan du vin émétique, de l'antimoine et de la charlatanerie. C'en était assez pour qu'il ne fût pas plus ménagé par Molière que par Gui-Patin.

Ces détails historiques suffisent pour expliquer les attaques de notre auteur contre ces quatre empiriques privilégiés que Louis XIV, auquel on n'a jamais reproché de n'avoir pas su apprécier

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