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Qu'il ait blessé par là l'auguste majesté,

Il triomphe, bien loin d'en ètre inquiété.
Qu'importe à cet auteur d'élever l'injustice,
Pourvu qu'heureusement son poëme finisse?
Qu'une telle action est bien digné de toi,

Et que tu connais mal le cœur d'un si grand roi!

C'est ainsi que les ennemis de Molière se partageaient la besogne. L'un était chargé de le poursuivre comme ennemi de la religion; l'autre, comme ennemi du trône. Prose et vers, drames et pamphlets, tout était bon à leurs saints anathèmes, à leurs délations monarchiques; et il semblait qu'ils prissent à tâche, par leur apparence de désintéressement, de laisser mieux constater encore la vérité du rôle que Molière avait créé à leur image.

Deux personnages, plus éminens sans doute que ces deux anonymes, s'élevèrent aussi contre lui. Le célèbre Bourdaloue, dans son sermon pour le septième dimanche après Pâques, prétend que <«< comme la vraie et la fausse dévotion ont un grand nombre d'actions qui leur sont communes; et comme les dehors de l'une et de l'autre sont presque tous semblables, les traits dont on peint celle-ci défigurent celle-là. » Il en conclut que Molière, qu'il ne fait que désigner, mais plus que suffisamment, a tourné en ridicule les choses les plus saintes. Eh quoi! Bourdaloue avait-il oublié

et la belle tirade de Cléante, le sage de la pièce, sur
la vraie et la fausse dévotion, et ce reproche qu'un
zèle pieux lui fait adresser à Orgon :

Quoi! parce qu'un fripon vous dupe avec audace
Sous le pompeux éclat d'une fausse grimace,
Vous voulez que partout on soit fait comme lui,
Et qu'aucun vrai dévot ne se trouve aujourd'hui ?
Laissez aux libertins ces sottes conséquences.

Le second antagoniste de Molière était un écrivain plus célèbre encore; c'était l'aigle de Meaux, Bossuet, que sa conduite envers le vertueux Fénelon n'honore pas plus que ses diatribes contre le grand homme dont nous prenons ici la défense.

Dans ses Maximes et Réflexions sur la comédie, l'orateur chrétien, réfutant l'opinion de ceux qui regardent les comédies comme innocentes, s'écrie avec colère : « Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière, ou qu'on ne veuille pas ranger parmi les pièces d'aujourd'hui celles d'un auteur qui a expiré, pour ainsi dire, à nos yeux, et qui remplit encore à présent tous les théâtres des équivoques les plus grossières dont on ait jamais infecté les oreilles des chrétiens.... Songez seulement si vous oserez soutenir à la face du ciel des pièces où la vertu et la

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piété sont toujours ridicules, la corruption toujours excusée et toujours plaisante?....

« La postérité saura peut-être la fin de ce poète comédien qui, en jouant son Malade Imaginaire, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d'heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez! »

Eh quoi, Mathan, d'un prêtre est-ce là le langage? «Quelle dureté fanatique en cette apostrophe, a dit M. Lemercier, quelle délectation cruelle à șe retracer la mort d'un homme de génie qui expira non sur la scène, mais dans les bras de deux religieuses, sœurs de la charité, dont il avait toujours pris soin, qui furent inconsolables de sa perte, et qui se jetèrent en pleurant aux pieds des gens d'église, pour en obtenir une sépulture refusée à leur bienfaiteur, circonstance que Bénigne Bossuet omet insidieusement. Quel ton d'intolérance en cette doctrine! quel appareil de rigueur! quelle emphatique sévérité! et, ce qui doit plus étonner en lui, que d'assertions calomnieuses à l'égard de la plus morale des comédies 1 ! »

1

Voilà quel fut le sort de Tartuffe, que tant de

1. Cours analytique de littérature générale, par N. L. Lemercier, t. II, p. 458 et 459

persécutions et de clameurs doivent faire regarder non-seulement comme un chef-d'oeuvre, mais encore comme une bonne action, comme un acte de courage. Puisse ce noble exemple, dans l'intérêt de notre gloire littéraire comme dans celui de nos mœurs, rencontrer de nos jours un imitateur! Qu'il se borne à trouver des couleurs et un pinceau : le siècle pourra lui fournir plus d'un modèle.

La reconnaissance de ses camarades contribua encore à faire oublier à Molière tous les chagrins que sa pièce lui avait occasionés. Voyant la foule qu'elle leur attirait, ils exigèrent qu'il prélevât une double part toutes les fois qu'on la représenterait, et cette mesure fut maintenue jusqu'à sa

mort'.

Le 6 octobre, Chambord retentit des applaudissemens que provoqua la farce si plaisante de Monsieur de Pourceaugnac. Cette pièce fut représentée devant Louis XIV, et la gaieté et le comique de ses situations captiva tous les suffrages. Des divertissemens qu'on a supprimés depuis, et dont Lulli avait fait la musique, ajoutaient encore à l'effet qu'elle pouvait produire. Le 15 du mois suivant, Paris s'égaya à son tour de la mystification du hobereau limousin.

1. Grimarest, p. 196. Anecdotes dramatiques, t. II, p. 209.

C'est une opinion commune à Limoges que Molière voulut se venger par cette charge de l'accueil peu agréable que sa troupe et lui avaient reçu dans cette ville'; mais Grimarest assure que ce fut le ridicule qu'un gentilhomme de ce pays étala dans une querelle qu'il eut un jour sur le théâtre avec les comédiens, qui donna l'idée à Molière de mettre en scène un personnage de cette sorte'. Le gazetier Robinet confirme cette assertion :

L'original est à Paris.

En colère autant que surpris
De se voir dépeint de la sorte,
Il jure, il tempête, il s'emporte,
Et veut faire ajourner l'auteur
En réparation d'honneur,

Tant pour lui que pour sa famille,

Laquelle en Pourceaugnacs fourmille 3.

Quel génie que celui auquel une aventure aussi simple a su fournir la matière de la pièce la plus originale, les scènes les plus riantes, et les traits les plus piquans! Oui, l'on peut dire avec Diderot : « Si l'on croit qu'il y ait beaucoup plus d'hommes

1. OEuvres de Molière, édition donnée par M. Aimé-Martin, t. I, p. cxl, note.

2. Grimarest, p. 255 et 256.

3. Lettre en vers de Robinet, du 23 novembre 1669. — Histoire du Théâtre français ( par les frères Parfait), t. X, p. 419.

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