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que son père avait bien pu succéder au mari, mais qu'il ne lui appartenait pas, à lui, de refaire et de

continuer l'auteur.

Des trois enfans que Molière avait eus, un seul lui survécut; c'était sa fille : elle était grande et bien faite; peu jolie, mais en revanche très-spirituelle. Elle se trouvait au couvent lors du second mariage de sa mère, qui espérait l'y voir rester à jamais. Cette jeune personne ayant témoigné une aversion insurmontable pour l'état religieux, mademoiselle Guérin fut obligée de l'en retirer. Ce fut un grand crève-coeur pour sa coquetterie : une fille déjà formée était comme un acte de naissance qui la suivait incessamment. Celle-ci s'aperçut de son dépit; aussi Chapelle, qui depuis la mort de Molière avait à peu près perdu de vue et la mère et la fille, lui demandant un jour l'âge qu'elle avait : « Quinze ans et demi, lui réponditelle tout bas; mais, ajouta-t-elle en souriant, n'en dites rien à maman. » Lasse d'attendre un parti du choix de sa mère, elle se laissa enlever vers 1685 ou 1686, c'est-à-dire à vingt ou vingt et un ans, par le sieur Rachel de Montalant, homme d'une quarantaine d'années, et veuf avec quatre enfans. Mademoiselle Guérin commença quelques poursuites. Mais des amis communs accommodèrent l'affaire. Ils s'unirent, et allèrent habiter Argenteuil, où madame de Montalant mourut le 23

mai 1723, et son mari le 4 juin 1738, sans avoir eu d'enfans de leur mariage' (9). Ainsi s'éteignit la descendance de Molière.

Si la profession de comédien ne l'avait pas destitué de l'estime de gens distingués par leur rang et leur esprit, si le grand Condé, le duc de Vivonne et d'autres grands seigneurs se faisaient, comme on l'a vu, un plaisir de le fréquenter, l'Académie crut se compromettre en le recevant dans son sein. La Motte a cependant répété plus d'une fois que cette compagnie, à l'instigation de Colbert, l'avait, peu de temps avant sa mort, désigné pour remplir la première place qui viendrait à vaquer, et que le futur académicien avait, par suite de cet arrangement, promis de ne plus paraître que dans des rôles de haut comique'. Nous ignorons si cette convention a réellement existé ; mais cela est peu vraisemblable; car nous demanderons, ainsi qu'on l'a déjà demandé, quelle différence essentielle on doit faire entre l'acteur qui reçoit des coups de bâton et celui qui les donne.

Un des auteurs de nos jours qui ont fait valoir

1. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. XI, p. 319, note 6. Récréations littéraires, par Cizeron-Rival, p. 14:

- Mémoires sur Molière, faisant partie de la Collection des Mémoires sur l'art dramatique, p. 208.

2. Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. X, p. 104. Récréations littéraires, par Cizeron - Rival, p. 10. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. I, p. 68.

le plus de droits à une partie de la succession de Molière, M. Picard a dit dans une excellente notice sur l'auteur du Joueur : « Regnard ne fut point de l'Académie. C'est surtout aux poètes comiques que l'entrée du temple semble avoir été interdite. Je ne sais quel écrivain spirituel a prétendu qu'on ferait une Académie bien complète de tous les bons auteurs qui ne furent pas académiciens. Regnard y tiendrait une belle place au-dessous de Molière, et entouré de Le Sage, Piron, Du Fresny, Bruéis, Palaprat, Dancourt, d'Allainval, et Beaumarchais. >> On peut encore ajouter à ces noms ceux de Baron, Le Grand, Fagan, Collé, SaintFoix et Fabre d'Églantine (10).

Les académiciens du dix-huitième siècle cherchèrent à faire oublier le ridicule de leurs devanciers. En 1778, le buste de Molière fut placé dans leur enceinte avec cette inscription proposée par Saurin,

Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre (11).

Quelques années auparavant ils avaient payé un autre tribut tardif à la mémoire de ce grand homme. En 1769, son éloge fut mis au concours, et le prix fut décerné à un littérateur misanthrope qui s'essaya dans plusieurs genres, mais qui, par un singulier contraste, serait aujourd'hui presque inconnu des lecteurs sans ses épigrammes en prose

la

et ses éloges. Chamfort, aux ouvrages duquel des critiques qui ne pouvaient craindre de se condamner eux-mêmes ont reproché de pécher par excès d'esprit, sut s'affranchir du protocole usé de ces sortes de panégyriques, et apprécia dignement le génie de Molière dans un morceau rempli d'aperçus ingénieux dont la finesse n'exclut pas profondeur. Parmi les rivaux qui lui disputèrent la couronne, on remarquait Bailly, qui depuis fut comme lui martyr de cette révolution dont il avait été le généreux apôtre. Il obtint le troisième accessit. Mais son éloge ne valait rien; un prix d'Académie ne saurait rien prouver la plupart des ouvrages couronnés ne sont que des folies de jeunesse. Cet arrêt sévère fut porté par Bailly luimême; et personne, après avoir lu son ouvrage, ne sera tenté d'en appeler'.

Pour donner plus de solennité à cette réparation posthume, l'Académie Française fit prendre, le jour de la lecture publique de l'Éloge de Chamfort, une place honorable à deux arrière-cousins de Molière; M. Poquelin, vieillard plus qu'octogénaire, conseiller rapporteur en la chancellerie du Palais, et M. l'abbé de La Fosse, fils d'une Poquelin et du commissaire La Fosse, le même qui,

1. Mémoires de Bailly, Baudouin frères, 1822, t. III, p. iij, faisant partie de la Collection des Mémoires sur la révolution française.

selon Rigoley de Juvigny, assurait à Piron qu'il avait un frère homme d'esprit'. M. Poquelin mourut en 1772, sans postérité. Quant aux autres membres de cette famille qui existaient encore à cette époque, nous croyons pouvoir affirmer qu'ils moururent avant l'année 1780. Depuis plus de quarante ans, le nom de Poquelin est éteint (12); celui de Molière vivra toujours.

En 1792, le champ du repos où les restes de l'auteur du Misanthrope avaient été déposés, SaintJoseph, devint le siège d'une des sections de la commune de Paris. D'autres se décoraient des noms de Brutus et de Scévola; celle-ci, par un patriotisme mieux entendu, préféra choisir ses patrons dans les fastes de notre gloire littéraire, et prit le titre de Section armée de Molière et de La Fontaine. Les administrateurs, mus par un louable sentiment d'admiration pour ces deux immortels écrivains, ordonnèrent que leurs cendres seraient exhumées, pour être déposées dans des monumens dignes de cette destination.

Le 6 juillet, on procéda aux fouilles; mais il est à peu près certain que ce ne furent pas les ossemens de La Fontaine qu'on retira; il est douteux qu'on ait été plus heureux pour Molière (13).

1. Supplément à la Vie de Molière, par Bret, t. I, p. 67 de l'édition des OEuvres de Molière, 1773.

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