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Docteurs rivaux et le Maître d'école, dont il ne nous reste que le titre. Mais deux autres de ces bluettes que nous possédons, le Médecin volant et la Jalousie du Barbouillé, ne laissent pas de grands regrets pour la perte des premières. L'intrigue de ces deux petites comédies a bien quelques traits de ressemblance avec celle du Médecin malgré lui et de George Dandin'; « mais tout cela, » ainsi que l'a dit J.-B. Rousseau, « est revêtu du style le plus bas et le plus ignoble qu'on puisse imaginer. Ainsi le fond de la farce peut être de Molière; on ne l'avait point porté plus haut de ce temps-là; mais, comme toutes les farces se jouaient à l'improvisade, à la manière des Italiens, il est aisé de voir que ce n'est point lui qui en a mis le dialogue sur le papier; et ces sortes de choses, quand même elles seraient meilleures, ne doivent jamais être comptées parmi les ouvrages d'un homme de lettres'.» Cependant Boileau regrettait la perte du Docteur amoureux, autre bouffonnerie du même genre, « parce que, disait-il, il y a toujours quelque chose d'instructif et de saillant dans ses moindres ouvrages (31).»

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1. Voir notre édition des OEuvres de Molière, tom. IV, p. 285 et suiv., et tom. VI, p. 161 et suiv.

2. OEuvres de J.-B. Rousseau, avec des notes, par M. Amar, tom. V, p. 320.

3. Boloana, Amsterdam, 1742, p. 31.

Au mois de décembre de l'année 1657, la troupe nomade se rendit à Avignon, où elle avait déjà donné des représentations en 1653. Molière y rencontra Mignard, qui, revenant d'Italie, où il avait séjourné pendant vingt-deux ans, s'était arrêté dans le Comtat pour dessiner les antiques d'Orange et de Saint-Remi, et pour faire le portrait de la trop fameuse marquise de Gange. C'est là que se contracta entre ces deux hommes célèbres une union qui concourut pour ainsi dire à leur gloire mutuelle: Mignard laissa à la postérité le portrait de son ami; Molière, nouvel Arioste d'un autre Titien, consacra son poëme du Val de Grace à célébrer le talent de son peintre1 (32).

Tourmenté du désir de venir à Paris pour riva liser avec les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, notre auteur, après avoir passé le carnaval à Grenoble, se rendit à Rouen, vers les fêtes de Pâques de l'année 1658. Il fit, dans le courant de l'été, plusieurs absences de cette ville pour venir sonder les dispositions du prince de Conti et du cardinal Mazarin, et, après maintes démarches, ses vœux furent enfin comblés. Son protecteur le recommanda à MONSIEUR; celui-ci le présenta lui

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1. Vie de Mignard, p. 55.marques de Bret, 1773, tom. I.

OEuvres de Molière, avec les re-
P. 55...

même au Roi et à la Reine, et il parvint à être autorisé à donner une représentation à Paris.

Le 24 octobre suivant, sa troupe joua devant la famille royale, sur un théâtre qu'on avait fait dresser exprès dans la salle des gardes au vieux Louvre, la tragédie de Nicomède de Corneille. La présence des comédiens de l'hôtel de Bourgogne, qui assistaient à cette représentation, dut exciter encore l'émulation de ces débutans. Les actrices surtout obtinrent beaucoup d'applaudissemens par leurs talens et leurs charmes. Mais, commé Molière ne se dissimulait pas que la troupe de ses rivaux était supérieure à la sienne dans le tragique, il tenait à donner une idée de son savoirfaire dans la comédie, où elle était plus exercée. Il s'avança donc vers la rampe, et, suivant le récit d'un de ses camarades, «< après avoir remercié Sa Majesté, en des termes très-modestes, de la bonté qu'elle avait eue d'excuser ses défauts et ceux de toute sa troupe, qui n'avait paru qu'en tremblant devant une assemblée si auguste, il lui dit que l'envie qu'ils avaient eué d'avoir l'honneur de divertir le plus grand roi du monde leur avait fait oublier que Sa Majesté avait à son service d'excellens originaux, dont ils n'étaient que de très-faibles copies; mais que puisqu'elle avait bien voulu souffrir leurs manières de campagne, il la suppliait très-humblement d'avoir agréable

qu'il lui donnât un de ces petits divertissemens qui lui avaient acquis quelque réputation, et dont il régalait les provinces.

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L'usage de jouer des pièces en un acte ou en trois après des pièces en cinq, qui, depuis ce jour, a été conservé, sans interruption, jusqu'à nous, était alors abandonné. Louis XIV agréa l'offre de Molière, qui dans l'instant fit représenter le Docteur amoureux. L'auteur-acteur provoqua des rires unanimes par le comique de son jeu dans le principal rôle de cette bluette.

Le Roi leur permit de s'établir sous le titre de TROUPE DE MONSIEUR, et de jouer alternativement avec les comédiens italiens, sur le théâtre du Petit-Bourbon. Ils vinrent s'y fixer, et commencèrent leurs représentations de 3 novembre 1658'(33).

La troupe de Molière se composait alors des deux frères Béjart, de Du Parc, de Du Fresne, de De Brie, de Croisac (gagiste à deux livres par jour), et de mesdemoiselles Béjart, Du Parc, De Brie et Hervé'.

Depuis l'année 1642, époque à jamais célèbre par l'apparition sur notre horizon littéraire du

1. Préface de l'édition des OEuvres de Molière de 1682 (pár La Grange). -- Grimarest, p. 28 et suiv. -Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 14 et suiv. - Mémoires sur la vie et les ouvrages de Moliere, p. xxj.- Petitot, p. 13.

2. Dissertation sur Molière, par M. Beffara, p.

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plus brillant météore qui l'eût éclairé jusque-là, du Menteur de Corneille, la Thalie française n'avait attiré le public à ses jeux que par les turlupinades de Scarron et par les intrigues romanesques de Rotrou. Aucun ouvrage n'avait encore rappelé la gaieté, la grace aimable et la noble élévation dont le créateur de notre double scène avait empreint ses rôles de Cliton, de Dorante et de Géronte, quand un comédien, directeur d'une troupe nomade, qui, bien qu'âgé déjà de trente-deux ans, n'avait encore composé que quelques farces pour subvenir aux besoins de ses camarades et non pour travailler à sa gloire, fit représenter dans la province où cette caravane comique se trouvait alors deux comédies en cinq actes et en vers. Une telle entreprise dut paraître bien hasardeuse de la part d'un pauvre histrion ambulant; mais cet histrion était Molière, ces pièces étaient l'Étourdi et le Dépit amoureux. Nous avons déjà dit que leur succès avait été complet à Lyon et à Montpellier. Elles furent non moins bien accueillies à Paris, où il les fit représenter dans le mois qui suivit son installation au théâtre du Petit-Bourbon.

Ce succès est plus que suffisamment justifié par la supériorité de ces comédies sur celles du répertoire d'alors; il pourrait l'être également par leur mérite réel. En effet, on trouverait difficile

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