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che 1. Il devait sans aucun doute se composer de la seconde représentation du chef-d'œuvre si bien accueilli. Le samedi 6, le premier président de Lamoignon fait signifier à la troupe défense de rejouer la pièce promise pour le lendemain. Cet ordre, dont la plus grande partie de Paris ne pouvait avoir connaissance dès le 7, ne fit donc renoncer que très-peu de spectateurs qui en étaient instruits, au projet de se rendre au théâtre du Palais-Royal; et ceux qui, comptant toujours sur la promesse faite par les acteurs le 5, ne s'étaient pas donné la peine de consulter les affiches, beaucoup plus rares alors dans Paris qu'elles ne le sont aujourd'hui, ne parent être détrompés qu'à leur arrivée au théâtre. Molière aurait donc pu les haranguer, sinon dans la salle, du moins au péristyle. (6) Cette tradition a de nos jours été adoptée par l'auteur du quatrain suivant, Chénier :

De Roquette en son temps, T........ dans le nôtre

Furent tous deux prélats d'Autun.

Tartuffe est le portrait de l'un :

Ah! si Molière eût connu l'autre !

(7) Nous empruntors à un piquant Extrait des Souvenirs de Michel Kelly, du théâtre de Drury-Lane (in-8°, 1827), dû à la plume élégante et spirituelle de M. Hippolyte de la Porte, une anecdote qui prouve que l'Arioste n'était pas moins sensible que Molière aux outrages involontaires que l'ignorance pouvait faire à ses enfans.

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Un jour ce poète fameux passant auprès de la boutique d'un potier, l'entendit chanter une stance de l'Orlando furioso. Retenu, captivé par le charme de la poésie qui avait fait ses délices et sa gloire, l'Arioste écoute et ne tarde pas à s'apercevoir que l'ouvrier l'estropiait horriblement, changeant un des plus beaux passages du poëme en une misérable rapsodie dépourvue de sens comme d'harmonie. Sa fureur devient telle tout à coup, que, saisissant sa canne, il met en pièces tous les vases qui tombent sous sa main. Le pauvre diable, effrayé, désolé, demande à l'Arioste quelle

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1. La troupe de Molière ne jouait, comme nous l'avons déjà dit, que trois foi par semaine.

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raison il peut avoir de détruire l'ouvrage, la propriété d'un homme qui jamais ne lui a fait aucun mal. « Aucun mal! vous m'avez fait le plus grand mal possible en estropiant mes vers. Je suis l'Arioste, et je viens de vous prendre en flagrant délit contre moi. » Bien loin de vouloir indemniser le malheureux potier, il répète aux assistans attirés par le bruit : « Qu'il apprenne à chanter mes vers, je ne toucherai pas à sa poterie. »

(8) Lettre en vers sur la comédie du TARTUFFE, écrite à l'auteur de

LA CRITIQUE.

J'ai lu, cher Dorilas, la galante manière

Dont tu veux critiquer et Tartuffe et Moliè re;
Et, sans t'importuner d'inutiles propos,
Je vais rimer aussi la critique en deux mots.
Dès le commencement, une vieille bigote
Querelle les acteurs, et sans cesse radote,
Crie, et n'écoute rien, se tourmente sans fruit.
Ensuite une servante y fait autant de bruit,
A son maudit caquet donne libre carrière,
Réprimande son maitre et lui rompt en visière,
L'étourdit, l'interrompt, parle sans se lasser;
Un bon
coup suffirait pour la faire cesser,
Mais on s'aperçoit bien que son maître, par feinte,
Attend, pour la frapper, qu'elle soit hors d'atteinte.
Surtout peut-on souffrir l'homme aux réalités
Qui, pour se faire aimer, dit cent impiétés ?
Débaucher une femme et coucher avec elle,

Chez ce galant bigot est une bagatelle.

A l'entendre, le ciel permet tous les plaisirs,

Il en sait disposer au gré de ses désirs;

Et, quoi qu'il puisse faire, il se le rend traitable.
Pendant ces beaux discours, Orgon sous une table,

Incrédule toujours, pour être convaincu,
Semble attendre en repos qu'on le fasse cocu.
Il se détrompe enfin, et comprend sa disgrace,
Déteste le Tartuffe et pour jamais le chasse.
Après que l'imposteur a fait voir son courroux ;
Après qu'on a juré de le rouer de coups,
Et d'autres incidens de cette même espèce,

Le cinquième acte vient: il faut finir la pièce.
Molière la finit, et nous fait avouer

Qu'il en tranche le nœud qu'il n'a su dénouer.

Molière plaît assez, son génie est folâtre;

Il a quelques talens pour le jeu du théâtre;

Et, pour en bien parler, c'est un bouffon plaisaut,
Qui divertit le monde en le contrefaisant.
Ses grimaces souvent causent quelques surprises,
Toutes ses pièces sont d'agréables sottises.

Il est mauvais poëte et bon comédien.

Il fait rire; et de vrai, c'est tout ce qu'il fait bien.
Molière à son bonheur doit tous ses avantages:
C'est son bonheur qui fait le prix de ses ouvrages.
Je sais que le Tartuffe a passé son espoir,
Que tout Paris en foule a couru pour le voir;
Mais, avec tout cela, quand on l'a vu paraître,
On l'a tant applaudi, faute de le connaître.
Un si fameux succès ne lui fut jamais dû,
Et, s'il a réussi, c'est qu'on l'a défendu,

(9) Le jugement que nous venons de porter sur le poëme du Val-de-Grace ne paraîtra pas, nous l'espérons, trop sévère; et chacun trouvera comme nous fort singulier l'éloge qu'en faisait Boileau, suivant les Récréations littéraires de Cizeron-Rival. Il trouvait que « de tous les ouvrages de Molière, ce poëme est celui dont la versification est la plus régulière et la plus soutenue. Il peut tenir lieu d'un traité complet de peinture; et l'auteur y a fait entrer toutes les règles de cet art admirable. Il y montre particulièrement la différence qu'il y a entre la peinture à la fresque et la peinture à l'huile. Molière a fait, sans y penser, le caractère de ses poésies en y marquant la différence. Dans le poëme sur la peinture, il a travaillé contre les peintres à l'huile, qui reprennent plusieurs fois le pinceau pour retoucher et corriger leurs ouvrages; au lieu que dans ses comédies, où il fallait beaucoup d'action et de mouvement, il préférait les brusques fiertés de la fresque à la paresse de l'huile. »

(10) Les exemplaires de cette comédie satirique, Paris, 1670, in-12, que nous connaissions, étaient sans figure. M. de Soleinne,

dont la vaste collection dramatique est le fruit des recherches les plus infatigables et les mieux dirigées, a eu l'obligeance de nous en communiquer un orné d'une gravure qui représente Molière répétant dans un miroir toutes les mines que Scaramouche fait devant lui. On lit au bas : Scaramouche enseignant; Élomire étudiant. Qualis erit, tanto docente magistro? Cette épigraphe est une autorité de plus (si l'on peut appeler autorité l'assertion d'un ennemi) en faveur de la tradition dont nous avons parlé page 13, et page 340, note 16.

Le même bibliophile, dont l'extrême complaisance égale les richesses littéraires, nous a aussi fait voir une édition de cette pièce de 1672, suivant la copie imprimée (Hollande), portant le titre d'Élomire, c'est-à-dire Molière, hypocondre, ou les Médecins vengés, comédie. Elle est suivie d'un Avis au lecteur, dans lequel on annonce que l'auteur de cette pièce en avait composé une seconde contre Molière; mais que celui-ci parvint d'abord à gagner le libraire, et ensuite à faire supprimer l'ouvrage par arrêt du parlement. Chacun sait quelle foi on doit ajouter aux faits avoués par les éditeurs de Hollande.

(11) Le privilège des OEuvres de Benserade dit que «la manière dont il confondait le caractère des personnages qui dansaient avec le caractère des personnages qu'ils représentaient, était une espèce de secret personnel qu'il n'avait imité de personne, et que Plaise au ciel que personne n'imitera peut-être jamais de lui. » cette prédiction ne soit jamais démentie.

(12) Ce Gandouin dépensa 50,000 écus avec une femme à laquelle il fit en outre présent d'une très-belle maison située à Meudon. Quand il se fut complètement ruiné, il demanda la restitution de cette propriété. Pour en venir à ses fins, il s'adressa à son nëqui était procureur; mais celui-ci ayant examiné sa cause, la lui déclara insoutenable. Gandouin, de désespoir, lui porta un coup de couteau. Cet acte de fureur détermina sa famille à le faire enfermer à Charenton, d'où il parvint à s'évader. (GRIMAREST, page 267.)

veu,

(13) Grimarest, et d'après lui le Mercure de juillet 1723, p. 132,

disent que les Femmes Savantes furent données d'abord à la cour où ́elles furent très-froidement accueillies, parce que le Roi ne se prononça pas le premier jour. Mais que le second ayant, comme lors du Bourgeois Gentilhomme, témoigné sa satisfaction à l'auteur, le succès fut complet, et que la ville le sanctionna pleinement le 11 mai 1672. Grimarest se trompe sur la date et n'est pas mieux informé pour le surplus. Le Mercure Galant nous apprend que Paris et non la cour vit la première représentation de cette pièce.

(14) Ce ne fut qu'après un certain nombre de représentations que le bel-esprit prit le nom de Trissotin; il portait d'abord celui de Tricotin (Histoire du Théâtre-Français, tome XI, page 213). Ménage va même jusqu'à dire ( Ménagiana, 1715, tome III, p. 23) que Molière fit acheter un des habits de Cotin pour le faire porter à celui qui faisait ce personnage dans la pièce. Cette assertion de la part de Ménage, qui cependant était en position d'être bien informé de toutes les circonstances de cette affaire, nous fait douter de la véracité de tous les autres faits qu'il rapporte; car, lors même que Molière eût assez oublié les convenances pour s'abandonner à tant de licence, comment supposer que l'autorité eût permis que l'habit ecclésiastique, car les prêtres ne le quittaient jamais à cette époque, et Cotin était prêtre, parût sur la scène, porté surtout par un personnage plus vil encore que ridicule; d'ailleurs il eût été absurde de faire prendre un sembiable vêtement à un homme qui aspire à la main de la fille de la maison.

(15) Voici le passage du Mercure galant : « Bien des gens font des applications de cette comédie, et une querelle de l'auteur, il y a environ huit ans, avec un homme de lettres qu'on prétend être représenté par M. Trissotin, a donné lieu à ce qui s'en est publié ; mais M. de Molière s'est suffisamment justifié de cela par une harangue qu'il fit au public deux jours avant la première représentation de sa pièce; et puis ce prétendu original ne doit pas s'en mettre en peine, s'il est aussi sage et aussi habile homme que l'on dit, et cela ne servira qu'à faire éclater davantage son mérite, en faisant naitre l'envie de le connaître, de lire ses écrits, et d'aller à ses sermons. Aristophane ne détruisit point la réputation de So

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