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Molière eut recours, dans cette même année, à la bonté du monarque qui, par un amour-propre bien entendu, protégeait avec empressement toutes les gloires de son royaume; qui, s'entourant de tous les lauriers, de toutes les palmes, en faisait, selon l'expression d'un de nos écrivains, des fleurons de sa couronne, et semblait se dire du moins avec un noble orgueil : L'État c'est moi. La salle du Petit-Bourbon, où la troupe de Molière donnait ses représentations, fut abattue vers la fin d'octobre, pour faire place à la colonnade du Louvre; admirable chefd'oeuvre dont l'auteur, Charles Perrault, eut, pendant quelque temps, la crainte de voir préférer à son plan celui du cavalier Bernin, non moins mauvais architecte qu'excellent courtisan. Louis XIV accorda à Molière la salle du PalaisRoyal'. Richelieu l'avait fait bâtir pour la repré, sentation de Mirame, tragédie jouée en 1639, sous le nom de Desmarets, dans laquelle il avait composé plus de cinq cents vers, et dont la mise en scène lui coûta, selon Gui-Patin, cent mille écus, trois cent mille selon d'autres contempo

Theatre Français, Ire livraison; Notice sur le Tartuffe, par M. Étienne.

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Voltaire,

2. Muse historique de Loret, du 30 octobre 1660.. Vie de Molière, 1739, p. 17. Histoire du Théatre français, t. VIII, p. 239. · OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II, p. 107.

rains'; selon tous, sa réputation de bel-esprit. C'est cette même salle qui, consacrée, après la mort de Molière, à la représentation des tragédies lyriques, appelées depuis opéra, fut détruite, en 1763, par un incendie; et qui, reconstruite peu après, fut incendiée de nouveau le 8 juin 1781. La troupe de Molière y débuta le 4 novembre 1660 (46).

Ce nouveau théâtre ne fut point inauguré par un triomphe; et le peu de succès de la première nouveauté qui y fut jouée, le 4 février, dut faire regretter à Molière les beaux jours du théâtre du Petit-Bourbon.

Ses deux premières pièces, après avoir charmé la province, étaient venues faire les délices de Paris; les Précieuses ridicules avaient jeté l'alarme dans le camp de l'hôtel Rambouillet; le Cocu imaginaire avait transporté de fureur l'honnête bourgeois dont nous avons parlé et un grand nombre d'autres, ses compagnons d'infor tune; on avait attribué par envie le succès de ces derniers ouvrages au mérite dont Molière avait fait preuve en en remplissant les principaux rôles; de là grande jalousie de la part des comédiens de l'hôtel de Bourgogne, puissamment pro

I.

Histoire de l'Académie Française, par Pellisson, édit. de 1743, t. I, p. 106.

tégés, et qui, tout en joignant leurs voix au chorus d'improbation contre les pièces, auraient bien voulu qu'on portât le même jugement sur le talent de l'acteur, auquel ils gardaient d'ailleurs rancune pour certaine épigramme des Précieuses: beaux-esprits, femmes savantes, maris trompés, acteurs en vogue, tous conspiraient contre l'auteur; et l'on pouvait prévoir le sort du Prince jaloux.

Le genre faux de la pièce et le jeu de Molière déplacé dans le sérieux justifièrent toutes les espérances de la cabale. Les sifflets du parterre forcèrent d'abord l'auteur d'abandonner le principal rôle, qu'il remplissait d'une manière peu satisfaisante. Bientôt après, la pièce ne compta plus de spectateurs'.

Mais un grand succès naît quelquefois d'un grand revers: c'est à la malheureuse tragédie de Théodore que nous devons Héraclius; Zaïre fit pardonner Éryphile: les sifflets, accompagnement ordinaire de Don Garcie, se changèrent en fanfares de gloire pour accueillir le tuteur d'Isabelle. Ce fut le 24 juin que Molière se vengea de ses ennemis par le succès de l'École des Maris. Cette

1. Nouvelles-Nouvelles, par Devisé, troisième partie, p 227. Grimarest, p. 42. Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. xxv.— Histoire du Théatre français, t. IX, p. 13. - Pe titot, p. 19.

pièce, qui, malgré les efforts des envieux, obtint d'abord les applaudissemens de Paris, fut ensuite représentée dans une réjouissance donnée par Fouquet, le 12 du mois suivant, dans sa magnifique terre de Vaux. La reine d'Angleterre, MONSIEUR, frère du Roi, et Henriette d'Angleterre, que ce prince venait d'épouser, y assistaient, et joignirent leurs augustes suffrages à ceux que cette excellente comédie avait déjà su se concilier '.

Le nom du trop fameux surintendant se rattache également à un autre triomphe de Molière, Les Fácheux furent représentés le 17 août chez ce favori et cette victime de l'inconstante fortune, dans une fête à jamais mémorable. Tous les mémoires du temps' s'accordent à vanter la magnificence de la réception que fit au Roi et à toute sa cour ce Mécène financier qui avait, comme l'a fait observer l'historien de notre fabuliste, Pellisson pour premier commis, Le Nôtre pour dessinateur de ses jardins, Le Brun pour décorateur de ses palais, Molière pour compo ser ses divertissemens, La Fontaine pour poète ordinaire'.

Mazarin n'était plus, et sa mort avait ouvert 1. Muse historique de Loret, du 17 juillet 1661.

2. Entre autres les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, t. V, p. 161, et ceux de Choisy, p. 167.

3. Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, par M. Walckenaer, 3 édit., p. 32.

un vaste champ à toutes les ambitions. Fouquet, aspirant à la succession de ce ministre, avait sur ses rivaux la supériorité que donne une immense fortune. Afin de mettre dans tout son jour ce titre au portefeuille, il voulut recevoir son roi dans une fête qui étalât à ses yeux tous les brillans prestiges des arts.

Pour réunir toutes ces merveilles par un lien commun, Fouquet pria Molière de composer une comédie qui comportàt de nombreux divertissemeas : ils furent confiés à Beauchamp, et ne se ressentirent que peu de la précipitation avec laquelle ils avaient été ajoutés à la pièce. Le Brun interrompit un moment ses victoires d'Alexandre pour peindre les décorations théâtrales; Torelli fut chargé de les mettre en mouvement; enfin Pellisson, sans pressentir, non plus que Fouquet, l'orage qui menaçait leurs têtes, composa le prologue que débita la naïade Béjart, morceau remarquable par l'élégance et la pureté du style.

Le charme et l'admirable effet que l'on devait attendre de la réunion de tant de talens divers furent encore surpassés par l'émulation que la présence de Louis XIV communiqua aux artistes. La grossesse de la Reine l'avait empêchée d'accompagner son époux; mais un grand nombre de seigneurs, de princes, MONSIEUR, MADAME, et la Reine-mère, assistaient également à cette

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