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ciant le prince à la gloire du poète, ne fut peutêtre pas étrangère à la détermination que celui-là prit, plus tard, d'autoriser la représentation de ce chef-d'œuvre malgré les menées d'une cabale puissante 1.

Au retour de Molière à Paris, Racine, qui avait formé le projet de se vouer au théâtre, arriva d'Uzès où ses parens l'avaient envoyé pour embrasser l'état ecclésiastique. Il vint trouver notre auteur, et lui soumit une tragédie qu'il avait composée dans son voyage. Le sujet en était emprunté à la fable de Théagène et Chariclée, pour laquelle il avait conçu, dans sa jeunesse, une admiration qui allait jusqu'à l'enthousiasme. Quoique cette pièce, ensevelie dans l'oubli dès sa naissance, méritât ce triste sort, Molière sut néanmoins entrevoir qu'il pourrait, en travaillant, prétendre à d'honorables succès. Il l'encouragea, loua ses dispositions, et lui fit don de cent louis'. Vauvenargues a dit à ce sujet : « Un des plus grands traits de la vie de Sylla est d'avoir dit qu'il voyait dans César, encore enfant, plusieurs Marius, c'est-à-dire un esprit plus ambitieux et plus.

1. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. IV, p 402 Bret dit qu'on a plus d'une fois entendu l'abbé d'Olivet rapporter ce fait. - Anecdotes dramatiques, t. II, p. 203 et 204. 2. Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. cine, publiées par M. Aimé Martin, 1820, t. I, p. xx, xxj et notes.

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25.

OEuvres de J. Ra

fatal à la liberté. Molière n'est pas moins admirable d'avoir prévu, sur des vers que lui montra Racine au sortir du collège, que ce jeune homme serait le plus grand poète de son siècle. On dit qu'il lui donna cent louis pour l'encourager à entreprendre une tragédie. Cette générosité de la part d'un comédien qui n'était pas riche, me touche autant que la magnanimité d'un conquérant qui donne des villes et des royaumes. Il ne faut pas mesurer les hommes par leurs actions qui sont trop dépendantes de leur fortune, mais par leurs sentimens et leur génie.

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Colbert n'avait pas fait plus pour le jeune poète : cent louis avaient également été la récompense de sa muse pour l'ode qu'elle lui avait inspirée l'année précédente sur le mariage du Roi. On ne dit pas que Racine ait été ingrat envers le ministre favori qui, pour paraître généreux, n'avait eu qu'à disposer des deniers publics; pourquoi faut-il qu'il le soit devenu envers le chef de troupe qui l'avait aidé de sa propre épargne!

Le 26 décembre, Molière fit représenter l'École des Femmes. Les applaudissemens prodigués à cette pièce ne peuvent être égalés que par les critiques injustes dont elle fut l'objet. Les enfans

1. Supplément aux OEuvres de Vauvenargues, Paris, Belin 1620, p. 45 et 46.

par l'oreille et Tarte à la créme, soulevèrent l'indignation des précieuses et des prudes. Les chaudières bouillantes et la peinture de l'enfer lui attirèrent celle des Tartuffes qui posaient déjà pour leur immortel portrait. L'obscène le, qui finit par n'être qu'un ruban, fut surtout le prétexte des plus violentes accusations'. Boileau a fait justice, plus tard, du commandeur de Souvré et du comte du Broussin, auxquels leur scrupuleuse austérité ne permit pas d'ouïr jusqu'à la fin ce tissu d'abominations' (4). Un bel esprit patenté de l'hôtel Rambouillet, Plapisson, ne pouvant résister au crève-cœur de voir le public y applaudir, leva d'abord les épaules de pitié; mais bientôt, emporté par son jaloux dépit, il s'écria, en s'adressant au parterre : « Ris donc, parterre; ris donc.>> La Critique de l'École des Femmes a immortalisé cette plaisante boutade 3.

3

Boileau adressa à Molière, pour le consoler, ou plutôt pour le féliciter des critiques que l'envie avait dictées à ses ennemis, les stances suivantes, qui, si elles n'ajoutent rien à la réputation de leur

1. Voir, t. II de notre édition des OEuvres de Molière, nos notices sur l'École des Femmes et la Critique de l'École des Femmes, où cette discussion est amplement détaillée.

2. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II,

p. 297.

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3. La Critique de l'École des Femmes, sc.6. OEuvres de Molière, avec les remarques de Bret, 1773, t. II, p. 297.

auteur comme poète, lui assuraient dès lors celle

de juge éclairé :

En vain mille jaloux esprits,

Molière, osent avec mépris
Censurer ton plus bel ouvrage;
Sa charmante naïveté

S'en va pour jamais d'âge en âge
Divertir la postérité.

Que tu ris agréablement !
Que tu badines savainment!
Celui qui sut vaincre Numance,
Qui mit Carthage sous sa loi,
Jadis, sous le nom de Térence,
Sut-il mieux badiner que toi.

Ta muse avec utilité

Dit plaisamment la vérité;

Chacun profite à ton École :

Tout en est beau, tout en est bon;
Et ta plus burlesque parole

Vaut souvent un docte sermon.

Laisse gronder tes envieux :

Ils ont beau crier en tous lieux
Qu'en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n'ont rien de plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.

Non content d'avoir pour lui le suffrage des gens de goût et des spectateurs impartiaux, Molière

voulut mettre encore les rieurs de son côté. Dans sa préface de l'École des Femmes, il avait menacé ses ennemis de faire rire à leurs dépens; il tint parole dans la Critique de l'École des Femmes. Il s'attacha à y faire ressortir le ridicule des accusations portées contre la pièce, et leur évidente mauvaise foi. La tâche était facile; mais ce qui ne l'était pas autant, c'était de jeter quelque intérêt dans une discussion toute personnelle. Il eut le talent de ne mettre que de l'esprit là où tout autre n'eût mis que de l'amour-propre. Il fait allusion, dans cette petite pièce, au déplaisir qu'il avait à prendre part aux conversations de salons, et au mécompte que cette taciturnité faisait éprouver aux gens qui l'invitaient par curiosité. « Je me souviens toujours, dit Élise, du soir que Célimène eut envie de voir Damon, sur la réputation qu'on lui donne et les choses que le public a vues de lui. Vous connaissez l'homme et sa naturelle paresse à soutenir la conversation; elle l'avait invité comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot parmi une douzaine de gens à qui elle avait fait fête de lui, et qui le regardaient avec de grands yeux, comme une personne qui ne devait pas être faite comme les autres. Ils pensaient tous qu'il était là pour défrayer la compagnie de bons mots; que chaque parole qui sortait de sa bouche devait être extraordi

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