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elle décida qu'aucun des membres de l'assemblée actuelle ne pourroit être élu à la prochaine législature. Le peuple étoit si ennuyé de voir toujours les mêmes hommes à la même place, que son dégoût s'étendoit autant sur ceux qui avoient le plus joui de sa faveur, que sur leurs antagonistes. Il est tems, disoit-on, que la représentation nationale change de visages; et ce calembourg exprimoit le vœu général. Néanmoins, on prenoit encore patience, parce que les comités avoient eu soin d'annoncer qu'après que le code criminel, déjà discuté dans plusieurs séances, seroit terminé, l'assemblée n'auroit plus à s'occuper que du code municipal, du code de la police rectionnelle, des conventions nationales et de l'organisation définitive du pouvoir exécutif, et qu'il seroit définitivement statué sur tous ces objets avant la fin du mois de juillet.

L'abbé Raynal (1) ne pouvoit pas choisir une circonstance plus favorable, pour adresser à l'assemblée cette fameuse lettre, que lui dictèrent la douleur et l'effroi qu'il éprouva, à la vue des résultats affreux des principes dont il avoit été lui-même l'apôtre le plus ardent. Cet écrit, le

(1) Ecrivain philosophe, très - connu par son Histoire du Commerce des Indes, par l'exagération de ses idées sur la liberté, sur l'égalité, etc. etc. etc., et par ses déclainations contre les gouvernemens, ci

plus sage et le plus estimable qui soit sorti de la plume de l'abbé Raynal, étoit conçu en ces

termes :

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« MESSIEURS,

» En arrivant dans cette capitale, après une longue absence, mon cœur et mes regards se » sont tournés vers vous. Vous m'auriez vu aux » pieds de cette auguste assemblée, si mon âge » et mes infirmités me permettoient de vous par»ler, sans une trop vive émotion, des grandes » choses que vous avez faites et de tout ce qu'il » faut faire pour fixer sur cette terre agitée la » paix, la liberté, le bonheur, qu'il est dans votre » intention de nous procurer. Ne croyez pas que » tous ceux qui connoissent le zèle infatigable, » les talens, les lumières et le courage que vous » avez montrés dans vos immenses travaux, n'en » soient pénétrés de reconnoissance; mais assez » d'autres vous en ont entretenus, assez d'autres » vous rappellent les titres que vous avez à l'es» time de la nation. Pour moi, soit que vous me » considériez comme un citoyen usant du droit » de pétition; soit que, laissant un libre essort à » ma reconnoissance, vous permettiez à un vieil » ami de la liberté de vous rendre ce qu'il vous » doit, pour la protection dont vous l'avez honoré, je vous supplie de ne point repousser des vérités » utiles. J'ose depuis long-tems parler aux rois de

» leurs devoirs; souffez qu'aujourd'hui je parle » au peuple de ses erreurs, et à ses représentans, » des dangers qui nous menacent. Je suis, je vous » l'avoue, profondément attristé des crimes qui » couvrent de deuil cet empire. Seroit-il donc vrai qu'il fallût me rappeler avec effroi que je suis

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un de ceux qui, en éprouvant une indignation » généreuse contre le pouvoir arbitraire, ont » peut-être donné des armes à la licence? La re» ligion, les loix, l'autorité royale, l'ordre pu» blic, redemandent-ils donc à la philosophie, à » la raison, les liens qui les unissoient à cette grande société de la nation française; comme » si, en poursuivant les abus, en rappelant les » droits des peuples et les devoirs des princes, "nos efforts criminels avoient rompu ces liens ? » Mais non, jamais les conceptions hardies de la 55 philosophie, n'ont été présentées par nous, » comme la mesure rigoureuse des actes de la » législation.

» Vous ne pouvez vous attribuer, sans erreur, » ce qui n'a pu résulter que d'une fausse interprétation de nos principes. Eb! cependant prêt » à descendre dans la nuit du tombeau, prêt à quitter une famille immense, dont j'ai ardem»ment desiré le bonheur, que vois-je autour de » moi! des troubles religieux, des discussions ci» viles, la consternation des uns, la tyrannie et » l'audace des autres, un gouvernement esclave

» de la tyrannie populaire, le sanctuaire des loix » environné d'hommes effrénés, qui veulent al»ternativement ou les dicter ou les braver; des » soldats sans discipline, des chefs sans autorité, » des ministres sans moyens; un roi, le premier » ami de son peuple, plongé dans l'amertume, » outragé, menacé, dépouillé de toute autorité, et » la puissance publique n'existant plusque dans les » clubs, où des hommes ignorans et grossiers osent » prononcer sur toutes les questions politiques.

» Telle est, n'en doutez pas, telle est la véri" table situation de la France. Un autre que moi » n'oseroit peut-être vous le dire; mais je l'ose, » parce que le dois, parce que je touche à ma » quatre-vingtième année, parce qu'on ne sau» roit m'accuser de regretter l'ancien régime, » parce qu'en gémissant sur l'état de désolation » où est l'église de France, on ne m'accusera pas » d'être un prêtre fanatique ; parce qu'en regar>> dant, comme le seul moyen de salut, le réta»blissement de l'autorité légitime, on ne m'ac»cusera pas d'en être le partisan, et d'en at» tendre les faveurs; parce qu'en attaquant devant » vous les citoyens qui ont incendié le royaume,

qui en ont perverti l'esprit public par leurs » écrits, on ne m'accusera pas de méconnoître » le prix de la liberté de la presse. Hélas! j'étois » plein d'espérance et de joie lorsque je vous ai »vu poser les fondemens de la félicité publique,

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poursuivre les abus, proclamer tous les droits, » soumettre aux mêmes loix, à un régime uni» forme, les différentes parties de l'empire; mes » yeux se sont remplis de larmes, quand j'ai vu » les plus méchans des hommes. employer les » plus viles intrigues pour souiller la révolution; quand j'ai vu le saint nom de patriotisme pros» titué à la scélératesse, et la licence marcher » en triomphe sous les enseignes de la liberté. "L'effroi s'est mêlé à ma juste douleur, quand » j'ai vu briser tous les ressorts du gouvernement, » et substituer d'impuissantes barrières à la né» cessité d'une force active et réprimante. Par» tout j'ai cherché les vestiges de cette autorité » centrale, qu'une grande nation dépose dans les » mains du monarque pour sa propre sûreté; ję » ne les ai plus trouvés nulle part. J'ai cherché » les principes conservateurs des propriétés, et » je les ai vus attaqués. J'ai cherché sous quel » abri repose la liberté individuelle, et j'ai vu » l'audace toujours croissante, invoquant, atten»dant le signal de la destruction, que sont prêts » à donner les factieux et les novateurs aussi dan» gereux que les factieux. J'ai entendu ces voix » insidieuses qui vous environnent de fausses ter»reurs, pour détourner vos regards des véri» tables dangers; qui vous inspirent de funestes » défiances, pour vous faire abattre successive»ment tous les appuis du gouvernement monar

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