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VALÈRE.

J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée offensante: elle est trop sage et trop honnête pour cela.

HARPAGON.

Ma cassette trop honnête!

VALÈRE.

Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue; et 5 rien de criminel n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.

HARPAGON.

Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant d'une maîtresse.

VALÈRE.

Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aven- 10 ture, et elle vous peut rendre témoignage . . .

HARPAGON.

Quoi? ma servante est complice de l'affaire?

VALÈRE.

Oui, Monsieur, elle a été témoin de notre engagement; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader votre fille de me 15 donner sa foi, et recevoir la mienne.

HARPAGON.

Eh? Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer? Que nous brouilles-tu ici de ma fille ?1

VALÈRE.

Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire consentir sa pudeur à ce que voulait mon

amour.

HARPAGON.

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La pudeur de qui?

VALÈRE.

De votre fille; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se résoudre à nous signer1 mutuellement une promesse de mariage.

HARPAGON.

Ma fille t'a signé une promesse de mariage!

VALÈRE.

Oui, Monsieur, comme, de ma part, je lui en ai signé

Io une.

HARPAGON.

O Ciel! autre disgrâce! 2

MAÎTRE JACQUES.

Écrivez, Monsieur, écrivez.

HARPAGON.

Rengrégement de mal! surcroît de désespoir! Allons, Monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui15 moi5 son procès, comme larron, et comme suborneur.

VALÈRE.

Ce sont des noms qui ne me sont point dus; et quand on saura qui je suis . . .

SCÈNE IV

ÉLISE, MARIANE, FROSINE, HARPAGON, VALÈRE, MAÎTRE JACQUES, LE COMMISSAIRE, SON CLERC

HARPAGON.

Ah! fille scélérate! fille indigne d'un père comme moi! c'est ainsi que tu pratiques les leçons que je t'ai données? Tu te laisses prendre d'amour pour un voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans mon consentement? Mais vous serez trompés l'un et l'autre. Quatre bonnes 5 murailles1 me répondront de ta conduite; et une bonne potence me fera raison de ton audace.2

VALÈRE.

Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire; et l'on m'écoutera, au moins, avant que de me condamner.

HARPAGON.

Je me suis abusé de dire une potence, et tu seras roué 10 tout vif.3

ÉLISE, à genoux devant son père.

Ah! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers mouvements5 15 de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous vous offensez : il est tout autre que vos yeux ne le jugent; et vous trouverez moins étrange que

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je me sois donnée à lui, lorsque vous saurez que sans lui vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille dont . . .

HARPAGON.

Tout cela n'est rien; et il valait bien mieux pour moi qu'il te laissât noyer que de faire ce qu'il a fait.1

ÉLISE.

Mon père, je vous conjure, par l'amour paternel, de

me...

HARPAGON.

ΙΟ Non, non, je ne veux rien entendre; et il faut que la justice fasse son devoir.

MAÎTRE JACQUES.

Tu me payeras mes coups de bâton.

FROSINE.

Voici un étrange embarras.

SCÈNE V

ANSELME, HARPAGON, ÉLISE, MARIANE, FROSINE, VALÈRE, MAÎTRE JACQUES, LE COMMISSAIRE, SON CLERC

ANSELME.

Qu'est-ce, Seigneur Harpagon? je vous vois tout ému.

HARPAGON.

Ah! Seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes; et voici bien du trouble et du désordre au1 contrat que vous venez faire! On m'assassine dans le bien,2 on m'assassine dans l'honneur; et voilà un traître, un scélérat, qui a violé tous les droits 5 les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre de domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille.

VALÈRE.

Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ?3

HARPAGON.

Oui, ils se sont donné l'un et l'autre une promesse de mariage. Cet affront vous regarde, Seigneur Anselme, et c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui,* et faire toutes les poursuites de la justice, pour vous venger de son insolence.

IO

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ANSELME.

Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un cœur qui se serait donné; mais pour vos intérêts, je suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres.

HARPAGON.

Voilà Monsieur qui est un honnête commissaire, qui 20 n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office. Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien criminelles.

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