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Les doutes sont fàcheux plus que toute autre chose;
Et je voudrois, pour moi, qu'on ne me fît savoir
Que ce qu'avec clarté l'on peut me faire voir.
ARSINOÉ.

Eh bien, c'est assez dit; et, sur cette matière,
Vous allez recevoir une pleine lumière.

Oui, je veux que de tout vos yeux vous fassent foi.
Donnez-moi seulement la main jusque chez moi ;
Là je vous ferai voir une preuve
fidèle

De l'infidélité du cœur de votre belle;
Et, si pour d'autres yeux le vôtre peut brùler,
On pourra vous offrir de quoi vous consoler.

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Non, l'on n'a point vu d'âme à manier si dure.
Ni d'accommodement plus pénible à conclure:
En vain de tous côtés on l'a voulu tourner,
Hors de son sentiment on n'a pu l'entraîner;
Et jamais différend si bizarre, je pense,
N'avoit de ces messieurs occupé la prudence.
« Non, messieurs, disoit-il, je ne me dédis point,
« Et tomberai d'accord de tout, hors de ce point.
« De quoi s'offense-t-il? et que veut-il me dire?
«Y va-t-il de sa gloire à ne pas bien écrire?
«< Que lui fait mon avis, qu'il a pris de travers?

« On peut être honnête homme, et faire mal des vers:
« Ce n'est point à l'honneur que touchent ces matières,
« Je le tiens galant homme en toutes les manières,
« Homme de qualité, de mérite et de cœur,

«Tout ce qu'il vous plaira ; mais fort méchant auteur. «Je louerai, si l'on veut, son train et sa dépense,

« Son adresse à cheval, aux armes, à la danse;

« Mais, pour louer ses vers, je suis son serviteur;
« Et, lorsque d'en mieux faire on n'a pas. le bonheur,
« On ne doit de rimer avoir aucune envie,

« Qu'on n'y soit condamné sur peine de la vie. »
Enfin toute la gràce et l'accommodement
Où s'est avec effort plié son sentiment,

C'est de dire, croyant adoucir bien son style,
« Monsieur, je suis fàché d'être si difficile ;

« Et, pour l'amour de vous, je voudrois de bon cœur,
« Avoir trouvé tantòt votre sonnet meilleur. »

Et dans une embrassade on leur a, pour conclure,
Fait vite envelopper toute la procédure.

ÉLIANTE.

Dans ses façons d'agir il est fort singulier;
Mais j'en fais, je l'avoue, un cas particulier;
Et la sincérité dont son âme se pique

A quelque chose en soi de noble et d'héroïque.
C'est une vertu rare, au siècle d'aujourd'hui,
Et je la voudrois voir partout comme chez lui.

PHILINTE.

Pour moi, plus je le vois, plus surtout je m'étonne
De cette passion où son cœur s'abandonne.
De l'humeur dont le ciel a voulu le former,
Je ne sais pas comment il s'avise d'aimer;
Et je sais moins encor comment votre cousine
Peut être la personne où son penchant l'incline.
ÉLIANTE.

Cela fait assez voir que l'amour, dans les cœurs,
N'est pas toujours produit par un rapport d'humeurs;
Et toutes ces raisons de douces sympathies
Dans cet exemple-ci se trouvent démenties.

PHILINTE.

Mais croyez-vous qu'on l'aime, aux choses qu'on peut voir?
ÉLIANTE.

C'est un point qu'il n'est pas fort aisé de savoir.
Comment pouvoir juger s'il est vrai qu'elle l'aime?
Son cœur de ce qu'il sent n'est pas bien sûr lui-même;.

Il aime quelquefois sans qu'il le sache bien,
Et croit aimer aussi, parfois qu'il n'en est rien.

PHILINTE.

Je crois que notre ami, près de cette cousine,
Trouvera des chagrins plus qu'il ne s'imagine;
Et, s'il avoit mon cœur, à dire vérité,

Il tourneroit ses voeux tout d'un autre côté :
Et, par un choix plus juste, on le verroit, madame,
Profiter des bontés que lui montre votre âme.

ÉLIANTE.

Pour moi, je n'en fais point de façons, et je croi
Qu'on doit, sur de tels points, être de bonne foi.
Je ne m'oppose point à toute sa tendresse ;

1

Au contraire, mon cœur pour elle s'intéresse;
Et, si c'étoit qu'à 1 moi la chose pût tenir,
Moi-même à ce qu'il aime on me verroit l'unir.
Mais, si dans un tel choix, comme tout se peut faire,
Son amour éprouvoit quelque destin contraire,
S'il falloit que d'un autre on couronnât les feux,
Je pourrois me résoudre à recevoir ses vœux;
Et le refus souffert en pareille occurrence
Ne m'y feroit trouver aucune répugnance.

PHILINTE.

Et moi, de mon côté, je ne m'oppose pas,
Madame, à ces bontés qu'ont pour lui vos appas;
Et lui-même, s'il veut, il peut bien vous instruire
De ce que là-dessus j'ai pris soin de lui dire.
Mais si, par un hymen qui les joindroit eux deux,
Vous étiez hors d'état de recevoir ses vœux,
Tous les miens tenteroient la faveur éclatante
Qu'avec tant de bonté votre âme lui présente:
Heureux si, quand son cœur s'y pourra dérober,
Elle pouvoit sur moi, madame, retomber !
ÉLIANTE.

Vous vous divertissez, Philinte.

Pour et si cela arrivait que. Ellipse un peu obscure.

PHILINTE.

Non, madame,

Et je vous parle ici du meilleur de mon âme.
J'attends l'occasion de m'offrir hautement,
Et de tous mes souhaits j'en presse le moment.

SCÈNE II. ALCESTE, ÉLIANTE, PHILINTE.

ALCESTE.

Ah! faites-moi raison, madame, d'une offense
Qui vient de triompher de toute ma constance.

ÉLIANTE.

Qu'est-ce donc? Qu'avez-vous qui vous puisse émouvoir ?

ALCESTE.

J'ai ce que, sans mourir, je ne puis concevoir;
Et le déchaînement de toute la nature

Ne m'accableroit pas comme cette aventure.
C'en est fait... Mon amour... Je ne saurois parler.
ÉLIANTE.

Que votre esprit un peu tâche à 1 se rappeler 2.

ALCESTE.

O juste ciel! faut-il qu'on joigne à tant de grâces
Les vices odieux des âmes les plus basses !

ÉLIANTE.

Mais encor, qui vous peut...

ALCESTE.

Ah! tout est ruiné;

Je suis, je suis trahi, je suis assassiné.

Célimène... (eût-on pu croire cette nouvelle ?)
Célimène me trompe, et n'est qu'une infidèle.
ÉLIANTE.

Avez-vous, pour le croire, un juste fondement ?

PHILINTE.

Peut-être est-ce un soupçon conçu légèrement;

1 Voyez plus haut la note, p. 156.

Pour se retrouver, rappeler ses forces. Archaïsme et ellipse.

Ces

six derniers vers ont déjà été placés par Molière dans Don Garcie de N1varre; il se les est empruntés à lui-même. Voyez tome 1er p. 358.

Et votre esprit jaloux prend parfois des chimères...

ALCESTE.

Ah! morbleu, mêlez-vous, monsieur, de vos affaires.
A Éliante.

C'est de sa trahison n'être que trop certain,
Que l'avoir, dans ma poche, écrite de sa main.
Oui, madame, une lettre, écrite pour Oronte,
A produit à mes yeux ma disgrâce et sa honte;
Oronte, dont j'ai cru qu'elle fuyoit les soins,
Et que
de mes rivaux je redoutois le moins.

PHILINTE.

Une lettre peut bien tromper par l'apparence,
Et n'est pas quelquefois si coupable qu'on pense.

ALCESTE.

Monsieur, encore un coup, laissez-moi, s'il vous plait, Et ne prenez souci que de votre intérêt.

ÉLIANTE.

Vous devez modérer vos transports; et l'outrage...

ALCESTE.

Madame, c'est à vous qu'appartient cet ouvrage;
C'est à vous que mon cœur a recours aujourd'hui
Pour pouvoir s'affranchir de son cuisant ennui.
Vengez-moi d'une ingrate et perfide parente
Qui trahit lâchement une ardeur si constante,
Vengez-moi de ce trait qui doit vous faire horreur.
ÉLIANTE.
Moi, vous venger ? Comment?

ALCESTE.

En recevant mon cœur.

Acceptez-le, madame, au lieu de l'infidèle :
C'est par là que je puis prendre vengeance d'elle,
Et je la veux punir par les sincères vœux,
Par le profond amour, les soins respectueux,
Les devoirs empressés et l'assidu service,
Dont ce cœur va vous faire un ardent sacrifice.
ÉLIANTE.

Je compatis, sans doute, à ce que vous souffrez,
Et ne méprise point le cœur que vous m'offrez;

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