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Et vous faire un sujet de plainte légitime.

ALCESTE.

Ah! traîtresse! mon foible est étrange pour vous;

Vous me trompez, sans doute, avec des mots si doux;
Mais il n'importe, il faut suivre ma destinée :

A votre foi mon âme est tout abandonnée;
Je veux voir jusqu'au bout quel sera votre cœur,
Et si de me trahir il aura la noirceur.

CÉLIMÈNE.

Non, vous ne m'aimez point comme il faut que l'on aime.

ALCESTE.

Ah! rien n'est comparable à mon amour extrême;
Et, dans l'ardeur qu'il a de se montrer à tous,
Il va jusqu'à former des souhaits contre vous.
Oui, je voudrois qu'aucun ne vous trouvât aimable,
Que vous fussiez réduite en un sort misérable;
Que le ciel, en naissant, ne vous eùt donné rien;
Que vous n'eussiez ni rang, ni naissance, ni bien,
Afin
que de mon cœur l'éclatant sacrifice
Vous pût d'un pareil sort réparer l'injustice;
Et que j'eusse la joie et la gloire en ce jour
De vous voir tenir tout des mains de mon amour.
CÉLIMÈNE.

C'est me vouloir du bien d'une étrange manière !
Me préserve le ciel que vous ayez matière...
Voici monsieur Dubois plaisamment figuré 1.

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Qu'est-ce?

Quoi?

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Nous sommes mal, monsieur, dans nos affaires.

ALCESTE.

DUBOIS.

Parlerai-je haut?

ALCESTE.

Oui, parle, et promptement.

DUBOIS.

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Il faut partir, monsieur, sans dire adieu.

ALCESTE.

Mais par quelle raison me tiens-tu ce langage?

DUBOIS.

Par la raison, monsieur, qu'il faut plier bagage.

ALCESTE.

Ah! je te casserai la tête assurément,

Si tu ne veux, maraud, t'expliquer autrement.

DUBOIS.

Monsieur, un homme noir et d'habit et de mine
Est venu nous laisser, jusque dans la cuisine,
Un papier griffonné d'une telle façon,

Qu'il faudroit, pour le lire, être pis qu'un démon.
C'est de votre procès, je n'en fais aucun doute;
Mais le diable d'enfer, je crois, n'y verroit goutte.

ALCESTE.

Eh bien, quoi? Ce papier, qu'a-t-il à démêler,
Traitre, avec le départ dont tu viens me parler?

DUBOIS.

C'est pour vous dire ici, monsieur, qu'une heure ensuite
Un homme qui souvent vous vient rendre visite
Est venu vous chercher avec empressement,
Et, ne vous trouvant pas, m'a chargé doucement,
Sachant que je vous sers avec beaucoup de zèle,
De vous dire... Attendez, comme est-ce qu'il s'appelle?

ALCESTE.

Laisse là son nom, traitre, et dis ce qu'il t'a dit.

DUBOIS.

C'est un de vos amis; enfin, cela suffit.
Il m'a dit que d'ici votre péril vous chasse,
Et que d'être arrêté le sort vous y menace.

ALCESTE.

Mais quoi! n'a-t-il voulu te rien spécifier?

DUBOIS.

Non. Il m'a demandé de l'encre et du papier,
Et vous a fait un mot où vous pourrez, je pense,
Du fond de ce mystère avoir la connoissance.

Donnc-le donc !

ALCESTE.

CÉLIMÈNE.

Que peut envelopper ceci?

ALCESTE.

Je ne sais; mais j'aspire à m'en voir éclairci.
Auras-tu bientôt fait, impertinent au diable?

DUBOIS, après avoir longtemps cherché le billet.
Ma foi, je l'ai, monsieur, laissé sur votre table.

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Je ne sais qui me tient......

ALCESTE.

CÉLIMÈNE.

Ne vous emportez pas,

Et courez démêler un pareil embarras.

ALCESTE.

Il semble que le sort, quelque soin que je prenne,
Ait juré d'empêcher que je vous entretienne;
Mais, pour en triompher, souffrez à mon amour
De vous revoir, madame, avant la fin du jour.

ACTE V

SCÈNE I. ALCESTE, PHILINTE.

ALCESTE.

La résolution en est prise, vous dis-je.

PHILINTE.

Mais, quel que soit ce coup, faut-il qu'il vous oblige...

ALCESTE.

-Non, vous avez beau faire et beau me raisonner,
Rien de ce que je dis ne peut me détourner;
Trop de perversité règne au siècle où nous sommes,
Et je veux me tirer du commerce des hommes.
Quoi! contre ma partie on voit tout à la fois
L'honneur, la probité, la pudeur, et les lois
On publie en tous lieux l'équité de ma cause;
Sur la foi de mon droit mon âme se repose:
Cependant je me vois trompé par le succès,
J'ai pour moi la justice, et je perds mon procès !
Un traitre, dont on sait la scandaleuse histoire,
Est sorti triomphant d'une fausseté noire!
Toute la bonne foi cède à sa trahison !

Il trouve, en m'égorgeant, moyen d'avoir raison!
Le poids de sa grimace, où brille l'artifice,

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Renverse le bon droit et tourne la justice!
Il fait par un arrêt couronner son forfait!
Et, non content encor du tort que l'on me fait,
11 court parmi le monde un livre abominable,
Et de qui la lecture est même condamnable;
Un livre à mériter la dernière rigueur,

Dont le fourbe a le front de me faire l'auteur 1!
Et là-dessus on voit Oronte qui murmure,

Et tâche méchamment d'appuyer l'imposture!
Lui qui d'un honnête homme à la cour tient le rang,
A qui je n'ai rien fait qu'ètre sincère et franc,
Qui me vient malgré moi, d'une ardeur empressée,
Sur des vers qu'il a faits demander ma pensée;
Et, parce que j'en use avec honnêteté,
Et ne le veux trahir, lui, ni la vérité,
Il aide à m'accabler d'un crime imaginaire!
Le voilà devenu mon plus grand adversaire!
Et jamais de son cœur je n'aurai de pardon,
Pour n'avoir pas trouvé que son sonnet fût bon!
Et les hommes, morbleu! sont faits de cette sorte!
C'est à ces actions que la gloire 2 les porte!
Voilà la bonne foi, le zèle vertueux

La justice et l'honneur que l'on trouve chez eux!
Allons, c'est trop souffrir les chagrius qu'on nous forge,
Tirons-nous de ce bois et de ce coupe-gorge.

Puisque entre humains ainsi vous vivez en, vrais loups;
Traîtres, vous ne m'aurez de ma vie avec vous !

PHILINTE.

Je trouve un peu bien prompt le dessein où vous êtes;
Et tout le mal n'est pas si grand que vous le faites.
Ce que votre partie ose vous imputer

N'a point eu le crédit de vous faire arrêter;
On voit son faux rapport lui-mème se détruire,
Et c'est une action qui pourroit bien lui nuire.

Allusion à un libelle attribué à Molière par ses ennemis.

Pour vanité. Expression archaïque encore usitée dans le patois du Languedoc : glória:

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