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ALCESTE.

Et, s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contens?
CÉLIMÈNE.

La solitude effraye une âme de vingt ans.

Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds;
Et l'hymen...

ALCESTE.

Non. Mon cœur à présent vous déteste,

Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux,
Pour trouver tout en moi1, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse; et ce sensible outrage

De vos indignes fers pour jamais me dégage.

SCÈNE VIII.

ÉLIANTE, ALCESTE, PHILINTE.

ALCESTE, à Éliante.

Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité;
De vous depuis longtemps je fais un cas extrême;
Mais laissez-moi toujours vous estimer de même,
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l'honneur de vos fers;

Je m'en sens trop indigne, et commence à connoitre
Que le ciel pour ce nœud ne m'avoit point fait naître ;
Que ce seroit pour vous un hommage trop bas,
Que le rebut d'un cœur qui ne vous valoit pas;
Et qu'enfin...

ÉLIANTE.

Vous pouvez

suivre cette pensée :

Ma main de se donner n'est

pas

embarrassée ;

Pour résolue à trouver en moi. Ellipse et licence très-hardie et trèsénergique.

Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priois, la pourroit accepter.

PHILINTE.

Ah! cet honneur, madame, est toute mon envie, Et j'y sacrifierois et mon sang et ma vie.

ALCESTE.

Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentemens,
L'un pour l'autre à jamais garder ces sentimens !
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,
Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté.

PHILINTE.

Allons, madame, allons employer toute chose Pour rompre le dessein que son cœur se propose.

FIN DU MISANTHROPE.

1666-1667

ŒUVRES ÉCRITES POUR LA COUR ET DIVERTISSEMENTS

XIX. 1666. LE MÉDECIN MALGRÉ LUI.

XX. 1666. MÉLICERTE.

XXI. 1666. LA PASTORALE COMIQUE.

XXII. 1667. LE SICILIEN, ou L'AMOUR PEINTRE.

LE

MÉDECIN MALGRÉ LUI'

COMÉDIE

REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS

A PARIS, SUR LE THEATRE DU PALAIS-ROYAL LE 9 AOUT 1666,

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Le Misanthrope, le chef-d'œuvre comique non-seulement. de la scène française, mais de la scène noble et de bon ton en Europe, faisait peu d'argent. La farce du Médecin malgré lui, qui succéda immédiatement à ce bel ouvrage, fut évidemment composée pour relever les intérêts financiers du théâtre, et pour compenser, au moyen d'une vogue populaire, la froide estime inspirée par le chef-d'œuvre.

L'idée d'un médecin pour rire, devant son crédit et sa réputation à de grands mots, à une robe et à un bonnet, avait depuis longtemps pris possession de l'esprit de Molière on la retrouve déjà dans le Médecin volant. L'idée collatérale et l'invention comique de cette femme qui, pour se venger d'un mari, l'indique comme excellent médecin,

• Annoncé aussi sous le nom du Fagotier.

mais ne livrant ses ordonnances que sous le bâton, est venue renforcer la donnée première, à laquelle toutes les querelles ridicules de la Faculté et des apothicaires, leurs grands combats sur l'antimoine et l'émétique, prêtèrent un corps plus solide.

De là cette délicieuse comédie du Fagoteux ou Fagotier, à laquelle Molière avait rêvé depuis sa jeunesse, de là le plus burlesque et le plus philosophique ensemble: un long éclat de rire aux dépens de la formule pédantesque et de l'antique empirisme. On a peine à croire aujourd'hui que Boileau, cet homme d'un goût si sûr, et qui aimait Molière, lui ait encore reproché, à ce propos, sérieusement, le langage patois qu'il a prêté à ses paysans, tant le sentiment de la décence et de l'élégance convenuc dominait alors, tant les meilleurs esprits avaient peu de goût pour la vraie peinture du caractère et la reproduction fidèle de la personnalité humaine. Il n'y avait qu'un pas à franchir pour arriver aux bergers enrubanés de Fontenelle et de Lamothe.

le

Molière fut récompensé par un succès étourdissant, succès bourgeois et roturier, aussi net, aussi durable que succès élégant et classique du Misanthrope.

Ce fut, dit-on, dans un conte plaisant, dont Louis XIV avait ri, que Molière trouva sa fable, qui se rapporte à la vieille légende ainsi résumée par Anguilbert : « Quædam

mulier percussa a viro suo ivit ad castellanum infirmum, « dicens virum suum esse medicum, sed non mederi cuique « nisi forte percuteretur, et sic eum fortissime percuti pro«< curavit.» (Mensa philosophica, cap. xvш, de Mulieribus, in fine, fol. 58.)- « Une certaine femme, frappée par « son mari, alla chez son seigneur malade, disant que son «< mari était médecin, mais qu'il ne guérissait que ceux qui «<le battaient bien; et par là elle le fit rosser de la bonne « manière. » Get Anguilbert, qui avait, comme beaucoup de

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moines et de savants du moyen âge, recueilli, pour en garnir son Festin philosophique, toutes les miettes anecdotiques ayant cours de son temps, accorde trois ligues à ce vieux conte, que l'on retrouve dans le fabliau du Vilain mire ou du Manant médecin, et que sans doute Molière avait entendu répéter sous une forme ou sous une autre à la cour de Louis XIV.

On le voit, Molière ne làche pas sa proie; la guerre commencée à la porte de Nesle dans le Médecin volant, la lutte contre l'empirisme et la crédulité, ne finira qu'avec le Malade imaginaire et avec sa vie.

PERSONNAGES

GÉRONTE, père de Lucinde.
LUCINDE, fille de Géronte.
LEANDRE, amant de Lucinde.
SGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
M. ROBERT, voisin de Sganarelle.
VALÈRE, domestique1 de Géronte.

LUCAS, mari de Jacqueline.

JACQUELINE, nourrice chez Géronte, et femme de Lucas

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Non, je te dis que je n'en veux rien faire, et que c'est à moi de parler et d'être le maître.

Pour vivant dans la maison de Géronte. Du latin domesticus, attaché à la famille; sans doute un intendant ou un secrétaire.

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