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SCÈNE X.

GERONTE, SGANARELLE, MARTINE.

GERONTE, à Sganarelle.

Le commissaire viendra bientôt, et l'on s'en va vous mettre en lieu où l'on me répondra de vous.

SGANARELLE, à genoux.

Hélas! cela ne se peut-il point changer en quelques coups de bâton?

GÉRONTE.

Non, non; la justice en ordonnera. Mais que vois-je?

SCÈNE XI.

GÉRONTE, LÉANDRE, LUCINDE, SGANARELLE, LUCAS,
MARTINE.

LEANDRE.

Monsieur, je viens faire paroître Léandre à vos yeux, et remettre Lucinde en votre pouvoir. Nous avons eu dessein de prendre la fuite nous deux, et de nous aller marier ensemble; mais cette entreprise a fait place à un procédé plus honnête. Je ne prétends point vous voler votre fille, et ce n'est que de votre main que je veux la recevoir. Ce que je vous dirai, monsieur, c'est que je viens tout à l'heure de recevoir des lettres par où j'apprends que mon oncle est mort, et que je suis héritier de tous ses biens 1.

GÉRONTE.

Monsieur, votre vertu m'est tout à fait considérable, et je vous donne ma fille avec la plus grande joie du monde.

SGANARELLE, à part.

La médecine l'a échappé belle!

MARTINE.

Puisque tu ne seras point pendu, rends-moi grâce d'être médecin; car c'est moi qui t'ai procuré cet honneur.

SGANARELLE.

Oui! c'est toi qui m'as procuré je ne sais combien de coups de

bâton!

Dénoûment imité de la dernière scène de la Zélinde de de Villiers, pièce satirique dirigée contre Molière lui-même.

LEANDRE, à Sganarelle.

L'effet en est trop beau pour en garder du ressentiment.

SGANARELLE.

Soit. (A Martine.) Je te pardonne ces coups de bâton en faveur de la dignité où tu m'as élevé mais prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect avec un homme de ma conséquence, et songe que la colère d'un médecin est plus à craindre qu'on ne peut croire.

IIN DU MÉDECIN MALGRE LUI

MÉLICERTE

ET

LA PASTORALE COMIQUE

BALLETS

REPRÉSENTÉS OUR LA PREMIÈRE FOIS, A SAINT-GERMAIN-EN-LAYE, DEVANT LA COUR, DANS LE BALLET DES MUSES, LE 2 DÉCEMBRE 1666.

Fatigué de sa vie conjugale, Molière, qui avait écrit le Tartuffe sans pouvoir le jouer, et fait représenter le Misanthrope, jouissait, à Auteuil, dans une maison qu'il louait à très-haut prix, d'une aisance considérable et de l'amitié de Boileau, de Chapelle, de la Fontaine. Il faisait du bien, disposait généreusement de sa fortune, protégeait les jeunes talents et se consolait ainsi. Le hasard lui envoya un jeune enfant en haillons, fils de comédien, né parmi les bohèmes, d'une beauté rare, d'une vive intelligence, d'une grande aptitude à tout comprendre et à tout imiter. Molière le retira chez lui, lui apprit l'histoire, cultiva ses qualités d'esprit, l'adopta et le produisit auprès de ses amis. Baron (c'était son nom) devait traverser la fin du dix-septième et la première moitié du dix-huitième siècle en triomphateur, adoré des femmes, le premier comédien de son siècle. Molière l'avait formé de ses propres mains.

Lorsqu'il reçut du roi l'ordre de composer une pastorale et une comédie nouvelle pour le Ballet des Muses, que disposait Benserade, et où devait danser le roi lui-même à SaintGermain, le 2 décembre 1666, le rôle principal fut réservé au jeune enfant que le poëte protégeait. Objet des innocentes caresses et des préférences de trois ou quatre jeunes femmes de la troupe de Molière, cet enfant, d'une beauté rare et d'une grâce parfaite, placé comme l'Indien Crichna au mi

lieu des bergères ou gopis, offrait un spectacle neuf, charmant, naïf, intéressant, digne de la Pastorale, et dont le tact pittoresque de l'artiste se plut à s'emparer pour orner de ses couleurs les plus fraîches les contours délicats du tableau. Mademoiselle Duparc, mademoiselle Debrie, avaient rivalisé de complaisances et d'amabilités pour l'enfant choisi, et Molière mit en scène ce riant ensemble, C'est Mélicerte.

Mais depuis longtemps Armande, perle étincelante, étoile adorée de ce petit monde, concentrait tous les hommages. Elle trouva mauvais que ce jeune enfant l'éclipsât. Sa vanité de femme et d'actrice en fut blessée. S'il faut en croire la tradition, elle prodigua les mauvais traitements à l'enfant et le mit en fuite. En vain Molière essaya de le retenir. Baron osa se présenter lui-même à Louis XIV, et lui demander de quitter la troupe de son bienfaiteur, permission que le roi lui accorda. Baron consentit seulement à jouer son rôle dans Mélicerte, dont Molière, arrêté sans doute par tant de contrariétés irritantes, ne termina que les deux premiers actes.

Fraîcheur de sentiment, grâce de détail, un ton élégiaque et lyrique, rare chez Molière, distinguent ce charmant débris, ce fragment précieux et léger, imitation souvent heureuse de la pastorale italienne et espagnole, qui ne trouva place que dans la troisième entrée du Ballet des Muses. De la Pastorale comique, qui suivait Mélicerte, il ne nous reste que les paroles, les airs mis en musique par Lulli, airs que rien ne rattache l'un à l'autre : amas confus de ruines poétiques à travers lesquelles on entrevoit quelques traces des inventions pittoresques et la profonde perturbation d'esprit que ressentit Molière, privé de tout ce que son cœur aimait, désirait ou protégeait. Ces fragments, qui sont dans le goût du Pastor fido et des Loas, de Calderon, ou lui parurent indignes d'être conservés, ou lui rappelèrent de trop douloureux souvenirs de cette époque de sa vie, car il les brûla de sa main.

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La scène est en Thessalie, dans la vallée de Tempé.

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