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SCÈNE XXII.

UN SÉNATEUR, TROUPE DE DANSEURS.

ENTRÉE DE BALLET.

Plusieurs danseurs, vêtus en Maures, dansent devant le sénateur, et finissent la comédie.

FIN BU SICILEN.

NOMS DES PERSONNES

QUI ONT DANSÉ ET CHANTÉ DANS LE SICILIEN.

DON PEDRE, le sieur MOLIÈRE.
ADRASTE, le sieur LA GRANGE.
ISIDORE, mademoiselle DEBRIE.
ZAIDE, mademoiselle MOLIÈRE.
HALI, le sieur LA THORILLIÈRE.

UN SENATEUR, le sieur DU CROISY.

MUSICIENS chantans, les sieurs BLONDEL, GAYE, NOBLET.

ESCLAVE TURC chantant, le sieur GAYE.

ESCLAVES TURCS dansans, les sieurs LE PRÊTRE, CHICANNEAU, MAYEU, PESAN.

MAURES de qualité, ROI, M. LE GRAND, les marquis DE VILLEROY et de

RASSAN.

MAURESQUES de qualité, MADAME, mademoiselle DE LA VALLIÈRE, madame DE ROCHEFORT, mademoiselle DE BRANCAS.

MAURES nus, MM. COCQUET, DE SOUVILLE, les sieurs BEAUCHAMP, NOBLET, CHICANNEAU, LA PIERRE, FAVIER et DES-AIRS-GALAND.

MAURES à capot, les sieurs LA MARE, DU FEU, ARNALD, VAGNARD et BONNARD

LE TARTUFFE

OU

L'IMPOSTEUR

COMÉDIE

Représentée pour la première fois à Versailles devant la cour, dans les Plaisirs de l'Ile enchantée (1664). Les trois premiers actes, sur le théâtre du Palais-Royal, le 5 août 1667; défendue le lendemain, et reprise sans interruption le 5 février 1669.

En 1664, comme nous l'avons dit, le 10 mai, les trois premiers actes d'une œuvre conçue depuis longtemps par Molière, et dès lors terminée si ce n'est corrigée, furent représentés comme essai pendant les fêtes de Versailles.

C'était à la fois une singulière audace et une grande habileté. L'œuvre était évidemment dirigée contre le jansénisme même et la rigidité extérieure. Le roi, dont les austères et les dévots contrariaient les amours et prétendaient régenter les plaisirs, allait-il prendre parti contre eux et reconnaître l'auteur dramatique pour premier ministre de ses vengeances et de ses plaisirs? ou bien imposerait-il silence à Molière et concéderait-il implicitement aux censeurs le droit de critiquer les préférences de son cœur et les voluptés de son trône?

Un puritanisme hypocrite, cherchant à se rendre maître du crédit, de l'autorité et de la fortune, plus vicieux en secret, plus sensuel en réalité que ceux dont il blàmait les penchants, occupait le centre de la composition nouvelle; et l'on peut croire que le comédien nomade, élève de Gassendi, traducteur de Lucrèce, lié avec Bernier, Chapelle et les libertins, eut exactement la même pensée qui dicta plus tard à Fielding son Tom Jones; la haine du pédant et des dehors hypocrites; une grande foi dans les penchants naturels de l'hu

manité, une grande répugnance pour les austérités affectées. La société anglaise de Fielding et de Richardson, entre 1688 et 1780, vivait de décence et de formalisme comme la société de Louis XIV entre 1660 et 1710. Ce sont les œuvres parallèles, mais non égales en mérites, que l'Ecole de la médisance et Tartuffe.

Au seizième siècle, le même point de vue avait inspiré à Shakspeare l'admirable portrait de ce magistrat sévère qui, dans Measure for Measure (Un prété pour un rendu), se laisse entraîner à sa passion, commet des crimes épouvantables et devient d'autant plus coupable que sa doctrine est plus rigide. Sheridan n'a pas imité Molière, Molière n'a pas imité Shakspeare. Tous trois ont pénétré l'extrême faiblesse humaine, sa pente facile vers l'excès, et la fragilité de nos

vertus.

L'œuvre de Shakspeare est plus générale et plus philosophique; celle de Sheridan, plus légère et plus vive de ton; celle de Molière contient une leçon sociale plus puissante et plus forte. Un bourgeois simple et honnête, sans doute quelque conseiller de parlement, qui aura touché dans sa jeunesse aux troubles de la Fronde, et qui gouverne assez mal sa famille, donne accès chez lui à un dévot de robe courte, cheveux plats, ajustements simples mais élégants, homme de bien à ce qu'il dit lui-même et à ce que l'on croit, que le père de famille a rencontré dans une église, toujours en dévotes prières, poussant des hélas! mystiques et des soupirs affectés, et prouvant sa piété tendre par la componction la plus fervente et la plus humble. C'est M. Tartuffe. Notre bourgcois s'intéresse, s'informe, apprend que le personnage fait l'aumône aux pauvres, qu'il vit modestement, qu'il est gentilhomme, peu riche il est vrai, mais en passe de le devenir. C'est un saint. On le répète dans le quartier. Poussé du désir de sanctifier son logis magistral, d'inculquer le bon exemple à son jeune fils, de morigéner sa femme, jeune, belle, ai

mant, quoique sage, la parure et les divertissements mondains, le père offre un asile au prétendu modèle de la perfection chrétienne, qui amène Laurent, son valet, dévot comme lui, portant soigneusement la haire et la discipline. L'aspect extérieur de ce M. Tartuffe n'avait rien de redoutable. Un heureux embonpoint et une face riante, des yeux modestement baissés, un costume noir de la propreté la plus exquise, les mains jointes sur la poitrine, l'air béat et le sourire doucereux, il n'inspirait que bienveillante confiance. C'était le papelard de la Fontaine, et non le scélérat lugubre. Une voix moelleuse, caressante et mystique achevait ce personnage.

Dès que M. Tartuffe a pénétré dans la maison, il y fait son nid, il s'y incarne; sa sensualité se gorge des bons diners de son hòte et s'endort voluptueusement dans la couche molle qu'on lui apprète. Pour exploiter la situation il n'a pas besoin de faire jouer d'autres ressorts que l'apparente sincérité de sa vie dévote; il prêche, il gourmande doucement les vices, il sert d'espion domestique. Son crédit augmente; sa grimace sacrée suffit pour l'enraciner dans ce lieu de délices. Comme Sganarelle, avec trois mots latins, guérit tout le monde; comme Don Juan, avec des révérences et des politesses soutenues de son habit brodé, paye M. Dimanche ; M. Tartuffe n'a besoin que d'un rosaire et d'un scapulaire pour vivre gros et gras, s'emparer des esprits et monter au ciel. Il doit une partie de son succès à la doctrine qu'il préche; doctrine d'apparences qui permet à un père l'égoïsme foncier et la cruauté réelle envers les siens, sous le voile de l'austérité dévote. Il peut affamer et déshériter sa famille sous prétexte de son propre salut, il ne doit compte qu'à Dieu; la formule le sauvera; qu'il soit mauvais père et méchant homme en sûreté de conscience.

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Voilà M. Tartuffe maître et roi de la situation; sa santé prospère, son corps et son âme fleurissent, il est à la fleur

de l'àge, et, malgré son humilité, il aime à vivre. Voilà son écueil. La femme du maître est jolie et passe pour coquette. Attachée à son mari par devoir plus que par sentiment, cette situation la rapproche sans cesse de M. Tartuffe, et la tentation de la chair vient saisir le saint homme. L'amour sensuel s'empare de cette âme béate. Malgré lui il jette son masque, ou du moins le soulève et laisse entrevoir à la femme de son bienfaiteur, sous un spiritualisme de formules, le fond même de cette nature grossière et dissimulée, qui veut des réalités et qui s'en repaît; nature friande et onctueuse, brutale et subtile, lourde et intéressée, qui trompe le monde au moyen de quelques dehors, d'un rôle appris et d'une facile hypocrisie. Alors et sous le coup de ses mêmes vices qui éclatent, tout l'édifice du dévot s'écroule au moment même de son triomphe. Le père voulait lui donner sa fille, bien qu'il eût engagé sa parole à un autre prétendant; il lui avait même cédé la partie la plus nette de sa fortune et lui avait confié un secret d'État relatif à ses jeunes années, secret qui compromettait jusqu'à sa vie. Dénoncé par la famille, livré par la jeune femme, Tartuffe est renversé. Mais les armes que l'engouement lui a prêtées, il les emploie sans pitié, et le saint homme devient scélérat. L'autorité royale intervient, foudroie Tartuffe, rétablit la paix, et après ce grand enseignement remet Orgon au sein de sa famille.

Telle est cette admirable conception, méditée par Molière depuis le moment de son entrée à Paris, élaborée avec l'amour le plus persévérant pendant sept années, et qui, pour être enfin jouée, a coûté à son auteur autant de diplomatie, de démarches, de persévérance et d'adresse qu'il avait fallu de sagacité, de génie et de combinaison pour la créer. Ninon de Lenclos, le prince de Condé, les libres esprits, tous ceux qui préparaient l'ascendant futur des idées philosophiques, le groupe croissant des libertins (comme on les nom

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