Images de page
PDF
ePub

M. TOMÈS.

Cela est impossible. Hippocrate dit que ces sortes de maladies ne se terminent qu'au quatorze ou au vingt-un; et il n'y a que six jours qu'il est tombé malade.

LISETTE.

Hippocrate dira ce qu'il lui plaira; mais le cocher est mort,

SGANARELLE.

Paix, discoureuse! allons, sortons d'ici! Messieurs, je vous supplie de consulter de la bonne manière. Quoique ce ne soit pas la coutume de payer auparavant, toutefois, de peur que je l'oublie, et afin que ce soit une affaire faite, voici...

Il leur donne de l'argent, et chacun, en le recevant, fait un geste différent.

SCÈNE III.

MM. DESFONANDRÈS, TOMÈS, MACROTON, BAHIS

Ils s'asseyent et toussent.

M. DESFONANDRES 1.

Paris est étrangement grand, et il faut faire de longs trajets quand la pratique donne un peu.

M. TOMÈS.

Il faut avouer que j'ai une mule admirable pour cela, et qu'on a peine à croire le chemin que je lui fais faire tous les jours. M. DESFONANDRÈS.

J'ai un cheval merveilleux, et c'est un animal infatigable.
M. TOMÈS.

au

Savez-vous le chemin que ma mule a fait aujourd'hui ? J'ai été, premièrement, tout contre l'Arsenal; de l'Arsenal, bout du faubourg Saint-Germain; du faubourg Saint-Germain, au fond du Marais; du fond du Marais, à la porte Saint-Honoré; de la porte Saint-Honoré, au faubourg Saint-Jacques; du faubourg Saint-Jacques, à la porte de Richelieu 2; de la porte de Richelieu, ici; et d'ici je dois aller encore à la place Royale.

:

Pour le tueur d'hommes. Mot grec également inventé par Boileau. 11 s'agit de Desfougerais, chimiste aussi, boiteux, partisan de l'antimoine, gué rissant toutes les maladies avec de la poudre blanche, rouge et jaune, qu'il portait dans sa poche.

2 Cette porte s'élevait à l'extrémité de la rue de Richelieu; elle fut démolie en 1701.

M. DESFONANDRÈS.

Mon cheval a fait tout cela aujourd'hui; et de plus j'ai été à Ruel voir un malade.

M. TOMÈS.

Mais, à propos, quel parti prenez-vous dans la querelle des deux médecins Théophraste et Artémius? car c'est une affaire qui partage tout notre corps.

M. DESFONANDRÈS.

Moi, je suis pour Artémius.

M. TOMÈS.

Et moi aussi. Ce n'est pas que son avis, comme on a vụ, n'ait tué le malade, et que celui de Théophraste ne fût beaucoup meilleur assurément; mais enfin il a tort dans les circonstances, et ne devoit pas être d'un autre avis que son ancien. Qu'en ditesvous ?

il

M. DESFONANDRÈS.

Sans doute. Il faut toujours garder les formalités, quoi qu'il puisse arriver.

M. TOMÈS.

Pour moi, j'y suis sévère en diable, à moins que ce soit entre - amis; et l'on nous assembla, un jour, trois de nous autres, avec un médecin de dehors, pour une consultation où j'arrêtai toute l'affaire, et ne voulus point endurer qu'on opinât, si les choses n'alloient dans l'ordre. Les gens de la maison faisoient ce qu'ils pouvoient, et la maladie pressoit; mais je n'en voulus point dé. mordre, et la malade mourut bravement pendant cette contestation.

M. DESFONANDRÈS.

C'est fort bien fait d'apprendre aux gens à vivre, et de leur montrer leur bec jaune1.

M. TOMÈS.

Un homme mort n'est qu'un homme mort, et ne fait point de conséquence; mais une formalité négligée porte un notable préJudice à tout le corps des médecins.

1 Voyez plus haut la note première, page 57.

SCÈNE IV.

SGANARELLE, MM. TOMÈS, DESFONANDRÈS, MACROTON,

BAHIS.

SGANARELLE.

Messieurs, l'oppression de ma fille augmente; je vous prie de me dire vite ce que vous avez résolu.

M. TOMÈS, à M. Desfonandrès.

Allons, monsieur.

[blocks in formation]

Eh! de grâce, messieurs, laissez toutes ces cérémonies, et

songez que les choses pressent.

[blocks in formation]

SGANARELLE.

Eh! messieurs, parlez l'un après l'autre, de grâce.

1 Pour le lent. Mot grec inventé aussi par Boileau. Il s'agit du fameux Guénaud, dont le cheval, dit Boileau, éclaboussait tout Paris; qui parlait par poids et mesures et faisait tout pour de l'argent.

2 Pour l'aboyeur. Mot grec inventé par Boileau. Il s'agit d'Esprit, médecin qui bredouillait.

M. TOMÈS.

Monsieur, nous avons raisonné sur la maladie de votre fille, et mon avis, à moi, est que cela procède d'une grande chaleur de sang ainsi je conclus à la saigner le plus tôt que vous

pourrez.

M. DESFONANDRÈS.

Et moi, je dis que sa maladie est une pourriture d'humeurs causée par une trop grande réplétion; ainsi je conclus à lui donner de l'émétique.

M. TOMÈS.

Je soutiens que l'émétique la tuera.

M. DESFONANDRÈS.

Et moi, que la saignée la fera mourir.

M. TOMÈS.

C'est bien à vous de faire l'habile homme !

M. DESFONANDRÈS.

Oui, c'est à moi; et je vous prêterai le collet1 en tout genre d'érudition.

M. TOMÈS.

Souvenez-vous de l'homme que vous fites crever ces jours passés.

M. DESFONANDRES.

Souvenez-vous de la dame que vous avez envoyée en l'autre monde il y a trois jours.

M. TOMÈS, à Sganarelle.

Je vous ai dit mon avis.

M. DESFONANDRES, à Sganarelle.

Je vous ai dit ma pensée.

M. TOMÈS.

Si vous ne faites saigner tout à l'heure votre fille, c'est une personne morte.

M. DESFONANDRÈS.

Il sort.

Si vous la faites saigner, elle ne sera pas en vie dans un quart d'heure.

ll sort.

Pour accepter le combat. Locution archaïque, par allusion au collet que saisissent et secouent les deux combattants.

SCÈNE V. -SGANARELLE, MM. MACROTON, BAHIS.

SGANARELLE.

A qui croire des deux? et quelle résolution prendre sur des avis si opposés? Messieurs, je vous conjure de déterminer mon esprit, et de me dire, sans passion, ce que vous croyez le plus propre à soulager ma fille.

M. MACROTON.

Mon-si-eur, dans ces ma-ti-è-res-là, il faut pro-cé-der a-vec-que cir-con-spec-ti-on, et ne ri-en fai-re, com-me on dit, à la vo-lé-e; d'au-tant que les fau-tes qu'on y peut fai-re sont, se-lon no-tre maî-tre Hip-po-cra-te, d'u-ne dan-ge-reu-se con-sé-quen-ce.

M. BAHIS, bredouillant.

Il est vrai, il faut bien prendre garde à ce qu'on fait; car ce ne sont pas ici des jeux d'enfant; et, quand on a failli, il n'est pas aisé de réparer le manquement, et de rétablir ce qu'on a gâté: experimentum periculosum. C'est pourquoi il s'agit de raisonner auparavant comme il faut, de peser mûrement les choses, de regarder le tempérament des gens, d'examiner les causes de la maladie, et de voir les remèdes qu'on y doit apporter.

SGANARELLE, à part.

L'un va en tortue, et l'autre court la poste.

M. MACROTON.

Or, mon-si-eur, pour venir au fait, je trou-ve que vo-tre fil-le a u-ne ma-la-di-e chro-ní-que, et qu'el-le peut pé-ri-cli-ter, si on ne lui don-ne du se-cours, d'au-tant que les symp-tô-mes qu'el-le a sont in-di-ca-tifs d'u-ne va-peur fu-li-gi-neu-se et mordi-can-te qui lui pi-co-te les mem-bra-nes du cer-veau. Or cet-te va-peur, que nous nom-mons en grec at-mos, est cau-sé-e par des hu-meurs pu-tri-des, te-na-ces et con-glu-ti-neu-ses, qui sont conte-nu-es dans le bas-ven-tre.

M. BAHIS.

Et, comme ces humeurs ont été là engendrées par une longue succession de temps, elles s'y sont recuites, et ont acquis cette malignité qui fume vers la région du cerveau.

« PrécédentContinuer »