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passif, qui est notre âme proprement dite, est mortel (ó de maentixos vous expres); il périt avec le corps. Aristote ajoute que l'entendement actif, une fois séparé de l'entendement passif, perd toute conscience et toute intelligence (xaɩ äveu toutou Õudev vcer) (1). — Il est donc manifeste qu'Aristote n'a pas su maintenir le dogme de l'immortalité de l'âme. Sous ce rapport, sa philosophie est même inférieure à la mythologie populaire de la Grèce.

De pareils principes ne permettaient pas à Aristote de professer une morale bien pure. Sur ce point encore il est beaucoup au-dessous de son maître. Ne connaissant plus les peines et les récompenses de la vie d'au-delà du tombeau, il doit tout renfermer dans le cercle étroit des intérêts de la vie présente. Aussi réduit-il toute la morale à l'intérêt bien entendu (2). C'est la négation même de l'ordre moral.

Voilà ce que devenaient les dogmes fondamentaux de la religion naturelle entre les mains de la philosophie; non pas de cette philosophie plébéienne dont les misérables systèmes sont la honte éternelle de la raison humaine, mais de la philosophie patricienne, comme parle Cicéron, de cette haute et grande philosophie que l'on se plaît à honorer comme la gloire de la raison et le suprême effort de l'esprit humain non éclairé de la lumière de la révélation. Je ne triomphe point de ces tristes égarements, et je ne songe nullement à insulter à cette effrayante infirmité

(1) De anima, III, 5.

(2) Voyez particulièrement la Morale à Nicomaque.

de la raison païenne représentée par ses plus nobles et ses plus illustres interprètes. Mais en présence d'un pareil résultat, j'ai bien le droit d'affirmer que la raison, privée de la lumière et de l'appui d'une autorité divine, est impuissante même à conserver dans leur pureté et leur intégrité les dogmes et les préceptes de la religion naturelle. Il lui faut une lumière surnaturelle pour connaître clairement et sûrement les vérités morales et religieuses mêmes qui sont de son ressort; il lui faut un appui divin pour les conserver. Voilà ce que démontre invinciblement l'expérience des peuples païens.

La plus haute philosophie avait conscience de sa faiblesse et de son impuissance en matière de religion; et s'emparant de l'idée d'un Libérateur futur qu'elle trouvait confusément exprimée dans les traditions, elle appelait de tous ses vœux le jour où cet envoyé du Ciel viendrait enseigner aux hommes la manière de se conduire dans l'ordre religieux. On rencontre dans les œuvres de Platon plus d'un passage qui atteste à la fois le sentiment profond de son insuffisance et l'attente d'un maître céleste. Bornons-nous à signaler le passage qui termine le second Alcibiade. Alcibiade se rend au temple pour offrir un sacrifice. Il rencontre Socrate, et un dialogue s'engage entre eux sur la question de savoir ce qu'il faut demander aux dieux. Après avoir discouru pendant quelque temps sur ce sujet, Socrate conclut qu'il n'est pas possible de résoudre cette question, que par conséquent il est prudent de s'abstenir de toute demande et d'attendre que quelqu'un vienne nous instruire de la manière dont nous devons nous comporter envers les dieux et envers les hommes. Il est donc

nécessaire d'attendre, dit Socrate, jusqu'à ce que quelqu'un vienne qui sache et qui nous enseigne comment on doit se comporter envers les dieux et envers les hommes (1). Mais quand donc viendra ce temps, ô Socrate, reprend Alcibiade? Et qui nous enseignera ces choses? Car il me semble que j'ai un désir ardent de connaître ce personnage.

Socrate. C'est un personnage qui prend soin de toi; mais il le fait, à mon avis, à la manière dont Homère raconte que Minerve en agit à l'égard de Diomède. Minerve dissipa le brouillard qu'il avait devant les yeux, afin qu'il pût distinguer clairement les dieux d'avec les hommes. Il est pareillement nécessaire que le brouillard qui couvre maintenant ton âme soit dissipé, afin qu'ensuite tu puisses distinguer au juste le bien d'avec le mal. Alcibiade.Qu'il dissipe donc, quand il lui plaira, ce brouillard ou quoi que ce soit qui m'empêche de voir. Quant à moi, je suis disposé à ne rien omettre de ce qu'il me prescrit, quel que soit enfin ce personnage (2), pourvu que je puisse devenir meilleur que je ne suis. Socrate. Je le répète, celui dont je parle s'intéresse à toi d'une manière étonnante. Alcibiade. Le mieux me paraît donc aussi d'attendre et de différer le sacrifice jusqu'à ce qu'il vienne. Tu as raison. C'est le parti le plus sûr. Ainsi quand ce jour-là sera venu, nous ferons nos offrandes aux dieux. Et il ne tardera pas longtemps à venir, s'ils veulent (3). »

Socrate.

Alcibiade.

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ὡς δεῖ πρὸς θεοὺς καὶ πρὸς ἀνθρώπους διακεῖσθαι. »

ὅστις ποτ ̓ ἐστὶν ὁ ἄνθρωπος. »

ἥξει δ ̓ οὐ διὰ μακροῦ τούτων θελόντων. »

Voilà comment parlait le plus sage des Grecs. On ne saurait confesser en termes plus nets et plus vifs l'insuffisance de la sagesse antique.

CHAPITRE VI.

De l'état moral et religieux du monde à la veille de l'incarnation du Fils de Dieu.

De Platon à Jésus-Christ le monde ne progressa point dans la voie de la vérité et de la vertu, il ne fit au contraire que s'enfoncer chaque jour plus profondément dans l'abîme de l'erreur et du vice. Je n'insisterai pas sur ce fait, il ne saurait être contesté par quiconque a lu l'histoire avec des yeux non prévenus. L'idée de Dieu alla s'altérant et se corrompant de plus en plus; l'imagination et les sens, prenant la place de la raison, multiplièrent le nombre des divinités sensibles et souvent immorales; le culte idolâtrique se matérialisa davantage et ne fut bientôt plus qu'une révoltante école d'immoralité. Dans les religions de la Grèce et de Rome, surtout à l'époque voisine de celle où parut Jésus-Christ, on ne trouve presque pas une seule idée morale: tout est matérialisé; partout on voit l'homme et les dieux également enfouis dans la fange. Le matérialisme a pénétré si avant dans les âmes, que les meilleurs esprits ne peuvent plus croire à la réalité d'un être qui ne tombe point sous les sens. Qu'on est loin de la croyance au Dieu vivant et véritable, au Dieu

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