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CHAPITRE IV.

Des adversaires du dogme catholique du péché originel.

Les adversaires du dogme catholique se partagent en deux classes générales: les uns attaquent ce dogme sur le terrain même de la révélation, les autres sur le terrain de la raison; les premiers admettent avec nous une révélation positive et surnaturelle comme source et fondement des doctrines religieuses, tandis que les seconds ne reconnaissent point cette révélation et prétendent ne relever en toutes choses que de la raison: ceux-là sont encore chrétiens et croyants, mais incomplets, ce sont des hérétiques; ceux-ci ne sont plus chrétiens, ce sont des rationalistes et des incrédules. Nous glisserons assez légèrement sur les erreurs des hérétiques pour nous occuper un peu plus des attaques des incrédules, parce que de nos jours la lutte n'est plus guère engagée entre le catholicisme et l'hérésie, celle-ci tend de plus en plus à perdre toute valeur dogmatique, mais entre le catholicisme et l'incrédulité. Nous tenons à dire quelques mots des hérétiques sur le dogme qui nous occupe en ce moment, non pas précisément pour les combattre, la chose nous semble inutile, mais pour faire de mieux en mieux ressortir par

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le contraste la vraie physionomie de la doctrine catholique et aussi pour que les personnes qui nous feront l'honneur de nous lire sachent ensuite rendre à chacun selon ses œuvres. Parlons d'abord du Pélagianisme; puis nous exposerons la doctrine du Protestantisme et du Jansénisme.

§ I.

Des hérétiques. Les Pélagiens. Les Protestants et les
Jansénistes.

Nous avons déjà mentionné les glorieux combats de saint Augustin contre le Pélagianisme, et l'on a vu que les partisans de cette secte niaient positivement le dogme du péché originel. Les Pélagiens, comme nous l'avons dit dans le livre précédent (1), ne reconnaissaient point l'état surnaturel du premier homme et n'admettaient même pas qu'Adam eût été créé dans cet état de perfection et d'intégrité naturelle que nous avons défini en traitant de l'homme primitif; suivant eux, Adam se trouvait primitivement dans l'état où nous naissons nous-mêmes aujourd'hui (2), et par conséquent il ne pouvait pas être question pour nous de déchéance, de dégradation, de péché originel. Ces hérétiques enseignaient donc que les enfants naissent exempts de tout péché, de toute tache,

(1) Tom. 1. liv. VIII. chap. п, p. 326.

(2) << Infantes nuper nati in illo statu sunt, in quo Adam fuit ante praevaricationem. » Ap. August. De gestis Pelagii, c. xi, n. 23.

de toute souillure; et que, s'ils meurent sans être baptisés, ils obtiennent néanmoins le salut et la vie éternelle en vertu de leur innocence (1). Quant à la mort et aux infirmités de tout genre auxquelles nous sommes sujets, ils les regardaient, non comme la peine et la solde du péché, suivant l'expression de saint Paul, mais comme la condition naturelle de l'homme. Les Pélagiens raisonnaient à peu près de la même manière quant à la concupiscence, la considérant, non comme la marque d'une nature déchue, mais comme le résultat normal de la nature humaine. Et fermant autant que possible les yeux sur les ravages dont nous portons en nous des traces malheureusement trop visibles, ils se plaisaient à exalter la nature humaine, à la proclamer tout à fait saine et pure, aussi capable de faire le bien qu'elle l'était au sortir des mains de Dieu. Le Pélagianisme est l'hérésie de l'orgueil, qui vante sa grandeur tout en étalant sa faiblesse.

Cette hérésie eut pour principaux défenseurs Pélage, qui lui donna son nom, Célestin, Théodore de Mopsueste et Julien, évêque d'Eclane, contre lequel saint Augustin a tant écrit.

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Le Protestantisme est précisément l'inverse du Pélagianisme. Les chefs de la réforme du XVIe siècle, loin de nier le péché originel, l'outrèrent prodigieusement; et non contents de confesser avec l'Eglise catholique la déchéance de l'homme et l'affaiblissement de ses facultés morales et religieuses, ils en vinrent au point de ne plus

(1) De peccat. merit. et remiss., lib. 1, c. xxx, n. 58.

reconnaître aucune force à ces facultés et de proclamer ainsi, non plus le simple affaiblissement, mais la ruine totale de l'homme moral et religieux. Il est piquant d'entendre ces prétendus vengeurs des droits de la raison et de la liberté préconiser et défendre contre les catholiques cette doctrine monstrueuse et abrutissante. Moehler, dans sa Symbolique, résume en ces termes les enseignements des premiers Réformateurs: « D'après ce qui précède, dit-il, voici toute la doctrine protestante: le péché originel a changé fondamentalement la nature humaine; principe négatif et positif à la fois, il a détruit les facultés religieuses et morales pour y substituer une essence mauvaise; il a arraché la raison supérieure et le libre arbitre du fond de notre être spirituel, et fait de la concupiscence aveugle et brutale une partie intégrante de nous-mêmes; à la place de l'image de Dieu, il a profondément empreint dans nos âmes l'image de Satan. Certes, ajoute le grand controversiste catholique, nous ne prendrons pas la peine de réfuter directement cette inqualifiable doctrine (1). » -Non sans doute, il ne faut pas la réfuter directement, on ne réfute point l'absurde; mais il faut la faire bien connaître et la montrer à tous les yeux dans sa repoussante nudité.

Cette doctrine des Réformateurs sur le péché originel découle logiquement de la théorie qu'ils s'étaient faite sur l'état primitif de l'homme, et que nous avons exposée au livre précédent (2). A leurs yeux, l'état d'Adam avant son

(1) Symbolique, liv. 1, chap. 11, § vì.

(2) Voyez tom. 1, liv. vIII, c. II, p. 327-328.

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péché n'était pas un état surnaturel, mais un état purement naturel; en sorte que la justice primitive, toutes les prérogatives qui y étaient attachées, pas un don surnaturel, mais une qualité propre à la nature de l'homme et faisant partie de son essence; et cette justice, Luther la plaçait dans la faculté de connaître et d'aimer Dieu. Par conséquent le péché originel, ayant dépouillé l'homme de la justice primitive, avait dû le dépouiller par là même de la faculté de connaître et d'aimer Dieu, c'est-à-dire de toute faculté morale et religieuse. C'est ce que le père du Protestantisme affirme en termes exprès. Il va même jusqu'à remplacer la justice primitive dans l'homme déchu par une entité mauvaise qui se serait identifiée avec sa nature et serait devenue ainsi en nous le principe et la source de toute iniquité : « Comme la justice primitive, dit-il, appartenait à l'essence de l'homme, ainsi le péché qui l'a remplacée y appartient également (1). » La nature de l'homme déchu serait donc essentiellement et positivement mauvaise. N'est-ce point là une sorte de résurrection du Manichéisme?

Moehler a mis dans tout son jour la doctrine protestante sur le péché originel, et il n'est pas possible de contester le jugement qu'il en porte; son exposition, constamment appuyée sur les textes, défie toute critique.

(1) « Vide quid sequatur ex illa sententia, si statuamus justitiam originalem non fuisse naturae (comme l'établissaient les docteurs catholiques que Luther combat), sed donum quoddam superfluum (!), superadditum. Annon sicut ponis, justitiam non fuisse de essentia hominis, ita etiam sequitur peccatum, quod successit, non esse de essentia hominis? » In Genes. c. 111.

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