Images de page
PDF
ePub

raison au profit de la foi, et leurs descendants suppriment la foi au profit de la raison. Il nous semble que ni la foi ni la raison n'y ont gagné.

A cette époque funeste où le Protestantisme naissant exerçait tant de ravages dans l'Église de Jésus-Christ, un théologien belge que nous avons déjà nommé abandonna aussi la grande voie de la tradition catholique et se mit à enseigner sur le péché originel une doctrine semblable à celle de Luther. Baïus, c'est le nom de ce théologien tristement fameux, prétendit avec le père de la Réforme que l'homme déchu est dépouillé de facultés essentielles à sa nature, qu'il est privé du libre arbitre dans les choses morales et religieuses, et que sans la grâce il pèche toujours et nécessairement. Nous n'entrerons dans aucun détail sur la doctrine de Baïus, qui fut reproduite plus tard par Jansenius et ses trop nombreux sectateurs; mais nous tenons à faire nettement ressortir le vrai caractère de la théorie de ce théologien qui inspira Jansénius et fut ainsi le promoteur du Jansénisme. Au fond la doctrine de Baïus nous paraît identique à celle de Luther, elle provient de la même source, savoir la confusion de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel, de la nature et de la grâce. Nous l'avons dit dans le livre précédent, le docteur belge débute, comme le moine saxon, par établir que l'état d'innocence et de bonheur du premier homme était un état purement naturel, que les prérogatives dont jouissait Adam avant son péché étaient inhérentes à sa nature comme l'ouïe et toute autre faculté naturelle, bref que cet état était la condition

naturelle de l'homme (1). Or, s'il en est ainsi, il est clair que le péché, ayant fait déchoir l'homme de cet état et l'ayant dépouillé des prérogatives qui y étaient attachées, lui a enlevé des facultés essentielles à sa nature. C'est là une conséquence à laquelle on est fatalement amené lorsque, ne distinguant pas entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, on prend l'état primitif de l'homme comme un état purement naturel. Les facultés naturelles perdues par la chute doivent être avant tout les facultés morales et religieuses l'homme a perdu, dit Baïus, toute force, toute puissance pour le bien; la volonté, le libre arbitre n'a plus en lui de force que pour le mal. La justice primitive a fait place à la concupiscence, qui est précisément le péché originel lui-même, et cette concupiscence, qui fait désormais partie de notre nature et qui est essentiellement mauvaise, nous rend fatalement mauvais, nous fait pécher toujours et nécessairement. L'homme tombé, avant d'être guéri par la grâce de Jésus-Christ, esclave en tout de la concupiscence, est absolument incapable de poser un seul acte moral, un seul acte bon; tous ses actes sont autant de péchés.

Voilà les traits fondamentaux de la doctrine de Baïus. On voit qu'il serait difficile de signaler une différence réelle entre cette doctrine et celle de Luther (2).

(1) De prima hom. justitia, c. vIII. Voyez aussi la Constitution par laquelle le pape saint Pie V condamne les erreurs de Baïus.

(2) Baïus a erré comme Luther en cette matière; mais, à la différence du moine de Wittemberg, il ne devint point hérétique, parce qu'il ne s'obstina point dans son erreur: Errare potero, disait le grand évêque d'Hippone, haereticus non ero. On n'est hérétique que quand on refuse de LES DOGMES CATHOLIQUES. II.

Les erreurs de Baïus, combattues dès le principe par plusieurs docteurs de la faculté de théologie de Louvain, furent solennellement condamnés en 1567 par le Pape saint Pie V. En 1579 Grégoire XIII proscrivit de nouveau ces erreurs que la bulle de saint Pie V n'avait pu éteindre. Reprises plus tard par Jansénius et par Quesnel, elles furent encore condamnées par Innocent X (1653) et par Clément XI (1713).

§ II.

Des incrédules.

Je l'ai dit tout à l'heure, la plupart des théologiens protestants de nos jours n'appartiennent plus simplement à la classe des hérétiques, ce sont de vrais incrédules qui rejettent toute révélation divine proprement dite et n'envisagent les dogmes révélés que comme des opinions sur lesquelles la raison a le droit de prononcer avec la plus entière liberté. Mais je n'entends point parler spécialement ici de ce rationalisme des écoles théologiques du Protestantisme, je ne veux signaler que les doctrines du rationalisme philosophique.

Les incroyants contemporains sont unanimes à nier le dogme catholique du péché originel; mais il y a parmi eux deux opinions tout à fait opposées sur l'état actuel de la nature humaine. Les uns, et c'est le plus grand nom

se soumettre à l'autorité de l'Eglise. Or Baïus se soumit pleinement à la décision du chef de l'Eglise.

bre, prétendent que la nature humaine, telle qu'elle est aujourd'hui, n'est point dégradée; ils regardent son état présent comme son état normal; par conséquent dans leur système il ne saurait être question de péché originel. D'autres au contraire reconnaissent la dégradation de la nature humaine et proclament très-haut qu'elle n'a pas toujours été ce qu'elle est aujourd'hui, qu'elle n'a pas pu être faite en cet état; mais, au lieu d'expliquer sa dégradation par la doctrine catholique de la chute et du péché originel, ils cherchent à l'expliquer par une vie antérieure à la vie présente et dans laquelle chacun de nous aurait commis des fautes personnelles dont il subirait en ce moment les tristes conséquences. Entrons dans quelques détails sur ces deux opinions. Et d'abord parlons de celle qui nie le fait de la dégradation de notre nature.

I.

Du rationalisme vulgaire.

Presque tous les incrédules nient la dégradation de la nature humaine. Mais il y a dans les défenseurs de cette opinion deux nuances bien tranchées que la justice ne nous permet point de confondre. Les uns, tout en prétendant que l'homme ne naît point déchu et dégradé, reconnaissent néanmoins que les tendances qui s'agitent dans les profondeurs de son être ne sont pas toutes également pures et légitimes: l'homme, ils le confessent avec nous, a des passions qu'il est tenu de combattre; mais cette sourde agitation, ce trouble, cette lutte, dont notre nature

est le théâtre, n'atteste, selon eux, nulle dégradation, c'est là l'état normal de l'humanité. Il en est d'autres qui invoquent un principe tout différent pour combattre la doctrine du péché originel. A les entendre, l'homme naît dans un état d'intégrité et de bonté si parfaite que toutes ses tendances sont pures et saintes, tous ses mouvements légitimes. Il n'y a donc rien à combattre dans sa nature, il doit laisser un libre cours au développement de ses passions. Tel est particulièrement le langage brutal de Fourier et d'un certain nombre d'écrivains qui ne rougissent pas de célébrer l'apothéose des plus détestables penchants.

Cette dernière classe d'adversaires n'est pas très-redoutable au point de vue doctrinal, parce qu'elle n'est point sérieuse; les armes qu'elle emploie contre nous, ce n'est pas à la raison qu'elle les demande, mais aux passions : là est toute sa force, là sont toutes ses ressources. Chez les fauteurs de cette ignoble doctrine, c'est moins l'esprit que le cœur qu'il faudrait s'efforcer de guérir; le cœur est malade, profondément malade, et jamais ils ne feront de prosélytes que parmi les hommes atteints de la même maladie et qui, en désespoir de cause, seraient heureux de pouvoir saluer du nom de Dieu l'idole honteuse au pied de laquelle ils gisent enchaînés. De pareilles théories ne se discutent point, c'est au mépris public à en faire justice, elles doivent tomber sous le coup de la flétrissure et de la honte.

Les rationalistes sérieux et qui se respectent méritent seuls notre attention.

Le chef du rationalisme français, M. Cousin, ne parle

« PrécédentContinuer »