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nérales: il n'iroit pas jusqu'à cet excès, de croire que Dieu feroit des efforts inutiles, s'il ajoutoit des exceptions aux règles générales, au-delà d'un certain nombre.

Dès que l'on connoît la simplicité de la volonté de Dieu, toujours égale, soit dans les règles, soit dans les exceptions, il faut conclure sans hésiter, que cent mille volontés particulières ne lui coûtent pas plus que dix; puisque cent mille, non plus que dix, ne sont véritablement qu'un seul et indivisible acte de volonté. Dieu peut, quand il lui plaira, réduire toute la conduite de son ouvrage à une seule règle, pour montrer sa sagesse immuable; il peut aussi, quand il lui plaira, par une autre vue de sa sagesse infinie, faire, défaire, changer, unir, diviser, multiplier les règles, pour montrer qu'il est audessus d'elles par son domaine souverain.

Mais quand Dieu fait un ouvrage, dira l'auteur, sa sagesse ne doit-elle pas rapporter à un seul but général toutes les choses diverses qui arriveront dans cet ouvrage? Par-là on y trouvera toujours la simplicité des lois générales.

Si cela étoit, tous les ouvrages possibles seroient également simples; ceux même qui renfermeroient un plus grand nombre d'exceptions aux règles générales seroient aussi simples que ceux qui n'en renfermeroient aucune; tout ce qui y arriveroit auroit un rapport général et essentiel à la gloire de Dieu, qui en est la dernière fin. Ce que l'auteur cherche n'est donc pas le rapport de tout ce qui est dans l'ouvrage à sa dernière fin, mais le rapport de tous les effets particuliers à une règle générale, en conséquence

de

de laquelle ils arrivent ; c'est ce que nous avons déjà

réfuté.

Il est vrai même qu'il doit y avoir, dans tous les ouvrages de Dieu, une certaine unité de dessein. Dès qu'il fait un tout, il faut que toutes les parties de ce tout aient entre elles quelque proportion et quelque convenance pour former le tout; c'est ce concours de toutes les parties qui rend le tout un. S'il n'y avoit dans les parties aucun rapport, aucune proportion, aucune unité, cet ouvrage n'auroit point la marque de la sagesse divine; il n'auroit même aucun degré de bonté et d'être; car, comme dit saint Augustin (1), une chose n'a l'être et la bonté qu'autant qu'elle ressemble à Dieu, qui est la souveraine unité. Il est vrai que cette ressemblance avec l'unité souveraine peut être plus ou moins grande à l'infini, parce qu'il reste toujours une distance infinie entre les unités imparfaites qui sont les êtres créés, et l'unité parfaite qui est Dieu. Mais quand il y a dans un être plus d'unité, il est plus parfait, il approche davantage de la perfection souveraine ; quand il y a dans un être moins d'unité, il approche moins de cette souveraine perfection. Mais si vous ôtez toute unité, vous ôtez toute perfection et tout degré d'être il ne reste que le pur néant. Par-là vous voyez qu'il y a dans tout ouvrage de Dieu quelque degré d'ordre et d'unité; autrement il seroit contraire à la sagesse et à l'unité suprême. Mais outre que cette sorte d'unité n'est point la simplicité des lois générales, dont l'auteur fait le fondement de son

:

(1) De Morib. Eccl. et Man. lib, 11, cap. v1: tom. 1.

FÉNÉLON. III.

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systême; d'ailleurs, nous avons prouvé que le plus ou le moins d'unité et d'ordre est toujours indifférent à Dieu, et que le choix lui en est purement arbitraire.

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Mais encore, dira peut-être l'auteur, la souveraine simplicité ne doit-elle pas tendre toujours à l'ouvrage le plus simple?

Non; car l'ouvrage le plus simple seroit le plus parfait; et Dieu, comme nous l'avons montré tant de fois, ne peut jamais faire la plus parfaite de toutes les choses possibles. Si vous me demandez ce qui l'en empêche, je vous réponds : C'est l'impossibilité de donner des bornes précises à une puissance infinie. Il faut encore observer que ce qui a trompé l'auteur est une comparaison qui n'a rien de juste, entre Dieu qui a créé le monde, et les hommes qui font quelque ouvrage. Par exemple, si deux ouvriers font chacun une machine pour élever des eaux, on trouve que la plus composée est la moins parfaite; elle est la moins parfaite de la part de l'invention de l'ouvrier, parce qu'on présume qu'il n'a employé tant de ressorts que faute d'en savoir trouver un seul qui suffît, ou qu'ayant d'abord conçu un dessein défectueux, il a eu besoin dans la suite de le rectifier, en y ajoutant quelque ressort nouveau. Cette machine est encore la moins parfaite en elle-même ; car, lorsqu'il s'agit de ressorts fragiles qui s'usent, dont l'entretien cause aux hommes beaucoup de dépense et de travail, c'est un grand défaut que cette composition de tant de ressorts, parce qu'il y en a toujours quelques-uns qui manquent, et qui arrêtent tout. Il n'en est pas de même de l'ouvrage de Dieu;

s'il est composé, ce n'est pas que le créateur n'ait point vu d'abord d'une seule vue à quelles règles il pouvoit réduire tout son ouvrage : d'ailleurs la composition de beaucoup de ressorts, qui est une imperfection par rapport à la foiblesse des hommes, n'en est pas une pour celui à qui rien ne coûte, ni dépense ni travail, et qui fait tout par une seule volonté.

CHAPITRE XVII.

Les causes occasionelles, bien loin d'épargner à Dieu des volontés particulières, en augmentent le nombre.

L'AUTEUR n'oseroit dire que Dieu ait établi les causes occasionelles sans aucun motif qui l'y ait déterminé. S'il dit que Dieu les a établies sans se proposer aucune fin de cet établissement, je lui réponds: Vous avouez donc que Dieu, qui, selon vous, ne peut jamais rien faire que pour la plus grande perfection, a fait néanmoins une des princi pales choses qu'il ait jamais faites, non-seulement sans y chercher la plus grande perfection, mais même sans y chercher aucune perfection. Accordez→ vous avec vous-même.

Cette absurdité est trop manifeste; l'auteur ne peut éviter de dire que Dieu s'est proposé une fin, dont l'établissement des causes occasionelles a été le moyen : mais quelle est cette fin ? C'est, me direzvous, de rendre par-là son ouvrage plus parfait qu'il ne le seroit, s'il ne produisoit que ce qu'il peut pro

duire lui seul par des volontés générales sans causes occasionelles.

Premièrement, il s'ensuit de là que Dieu ne pouvoit point par sa seule volonté faire l'ouvrage le plus parfait, et qu'il a eu besoin de suppléer à ce qui manquoit du côté de sa volonté par celles de ses créatures; ce qui est en elles une étonnante perfection, et en lui une imperfection très-indigne d'un être qu'on suppose infiniment parfait. Si l'auteur attribue les moules des plantes et des animaux à des causes occasionelles; s'il persiste à regarder l'ame de Jésus-Christ comme la cause occasionelle de toutes les grâces, il faut conclure que selon lui la seule volonté de Dieu a fait les choses les moins admirables dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce, et que, sans la volonté de ses créatures, la sienne étoit impuissante pour faire tout ce qu'il y a de plus merveilleux dans ces deux ordres. Ainsi l'auteur, à force de vouloir rendre Dieu parfait, et de le déterminer toujours aux choses les plus parfaites, le rabaisse jusqu'à l'impuissance de les faire, et de les vouloir jamais par lui-même.

Secondement, cet accroissement de perfection que Dieu cherche par l'établissement des causes occasionelles,' comment le cherche-t-il? Se propose-t-il en général de vouloir tout ce que les causes occasionelles, par exemple les anges, voudront, sans être assuré de la détermination de leur volonté; ou bien veut-il établir les anges causes occasionelles, parce qu'il lui plaît de leur faire vouloir précisément certaines choses nécessaires pour l'accomplissement de l'ordre?

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